Vendredi le 18
septembre 2015, le Conseil constitutionnel de la France a refusé
d'aller de l'avant dans la protection des travailleuses et
travailleurs en détention. En effet, alors que l'avocat d'un détenu,
appuyé par une pétition signée par 375 personnes, réclamait la
mise en place d'un système de droit prenant en considération les
spécificités du système carcéral, le Conseil a plutôt « jugé
les dispositions contestées conformes à la Constitution ».
Ce refus des membres
du Conseil de légiférer les modalités actuelles implique que les
conditions de travail des personnes détenues resteront telles
quelles : un salaire horaire oscillant entre 20 et 45% du
salaire horaire minimum brut national, des difficultés à toucher
les indemnités, une interdiction de former un syndicat ou de faire
la grève... En bref, « Le
droit du travail en milieu carcéral est quasi inexistant ».
Contrairement à
certaines idées reçues, le travail des personnes détenues ne se
limite pas à l'entretien de leur milieu de vie, puisque celles-ci
sont également engagées par des grandes entreprises du secteur
industriel (souvent par l'intermédiaire d'employeurs
sous-traitants). Les personnes incarcérées effectuent alors
principalement les tâches manuelles les plus simples et à plus
faible valeur ajoutée pour les entreprises. Leur capacité
productive est d'ailleurs mise en concurrence avec d'autres
sous-traitants, notamment dans les pays où la main d'oeuvre est
encore moins chère. La compétition prend d'ailleurs une tournure
illégale dans bien des cas, notamment lorsque les travailleurs et
travailleuses sont rémunérées à la pièce afin que leurs
employeurs soient à même de répondre aux exigences économiques de
l'entreprise mère.
Le « laisser-faire »
du Conseil est donc une prise de position politique ayant des
conséquences directes sur la façon avec laquelle les marchés
économiques s'organisent. En refusant de protéger les conditions
des personnes incarcérées, le Conseil permet aux employeurs d'être
en compétition sur le marché de la production, favorisant ainsi le
développement économique des entreprises qui peuvent alors
bénéficier du taux le plus bas. Mais, pendant ce temps, les
personnes détenues - dont la seule punition « devrait »
être la limitation de leur liberté – sont contraintes à une
forme d'emploi s'apparentant à l'esclavage.
Le pouvoir de
négociation des personnes détenues est incomparable à celui de
leur employeur, ce qui explique que ces derniers payent parfois en
deçà des restrictions déjà établies, ou encore imposent une
rémunération à la pièce. Ces pratiques formellement interdites ne
sont pas sanctionnées, les employeurs pouvant agir en toute impunité
face aux personnes dont les droits sont parmi les moins reconnus dans
la société. Il faut enfin souligner que les personnes incarcérées
qui travaillent le font certes par choix (le travail n'est plus
obligatoire dans les prisons françaises depuis les années '70),
mais qu'en prenant en compte les contraintes qui pèsent sur
celles-ci (absence d'autres revenus dans un contexte précaire,
influence sur le dossier des détenus en vue de leur libération
conditionnelle… ), la notion de choix demande à être articulée
en relation avec leur statut de dépendance et de subordination.
Le néolibéralisme
ici évoqué ne favorise donc pas les libertés individuelles, il
enferme plutôt à double tour les personnes incarcérées :
dans la prison et dans le précariat.
+++++
+++++
Friedman, Milton. 2002 [1962]. « Introduction » et « Monopoly and the Social Responsibility of
Business and Labor », dans Capitalism and Freedom, The University of Chicago Press, Chicago.
Pp. 1-6; 119-120; 123-125.
Durand, Jean-Pierre. 2004. « Introduction » et « Fragmentation des marchés du travail et mobilisation
des salariés », dans La chaîne invisible, travailler aujourd’hui : flux tendu et servitude
volontaire, Éditions du Seuil, Paris. Pp. 11-18; 175-206.
Standing, Guy. 2011. « The Precariat », dans The Precariat : The New Dangerous Class,
Bloomsbury, New York. Pp. 1-25.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire