mercredi 30 septembre 2015

Prison.

Vendredi le 18 septembre 2015, le Conseil constitutionnel de la France a refusé d'aller de l'avant dans la protection des travailleuses et travailleurs en détention. En effet, alors que l'avocat d'un détenu, appuyé par une pétition signée par 375 personnes, réclamait la mise en place d'un système de droit prenant en considération les spécificités du système carcéral, le Conseil a plutôt « jugé les dispositions contestées conformes à la Constitution ».

Ce refus des membres du Conseil de légiférer les modalités actuelles implique que les conditions de travail des personnes détenues resteront telles quelles : un salaire horaire oscillant entre 20 et 45% du salaire horaire minimum brut national, des difficultés à toucher les indemnités, une interdiction de former un syndicat ou de faire la grève... En bref, « Le droit du travail en milieu carcéral est quasi inexistant ».

Contrairement à certaines idées reçues, le travail des personnes détenues ne se limite pas à l'entretien de leur milieu de vie, puisque celles-ci sont également engagées par des grandes entreprises du secteur industriel (souvent par l'intermédiaire d'employeurs sous-traitants). Les personnes incarcérées effectuent alors principalement les tâches manuelles les plus simples et à plus faible valeur ajoutée pour les entreprises. Leur capacité productive est d'ailleurs mise en concurrence avec d'autres sous-traitants, notamment dans les pays où la main d'oeuvre est encore moins chère. La compétition prend d'ailleurs une tournure illégale dans bien des cas, notamment lorsque les travailleurs et travailleuses sont rémunérées à la pièce afin que leurs employeurs soient à même de répondre aux exigences économiques de l'entreprise mère.

Le « laisser-faire » du Conseil est donc une prise de position politique ayant des conséquences directes sur la façon avec laquelle les marchés économiques s'organisent. En refusant de protéger les conditions des personnes incarcérées, le Conseil permet aux employeurs d'être en compétition sur le marché de la production, favorisant ainsi le développement économique des entreprises qui peuvent alors bénéficier du taux le plus bas. Mais, pendant ce temps, les personnes détenues - dont la seule punition « devrait » être la limitation de leur liberté – sont contraintes à une forme d'emploi s'apparentant à l'esclavage.

Le pouvoir de négociation des personnes détenues est incomparable à celui de leur employeur, ce qui explique que ces derniers payent parfois en deçà des restrictions déjà établies, ou encore imposent une rémunération à la pièce. Ces pratiques formellement interdites ne sont pas sanctionnées, les employeurs pouvant agir en toute impunité face aux personnes dont les droits sont parmi les moins reconnus dans la société. Il faut enfin souligner que les personnes incarcérées qui travaillent le font certes par choix (le travail n'est plus obligatoire dans les prisons françaises depuis les années '70), mais qu'en prenant en compte les contraintes qui pèsent sur celles-ci (absence d'autres revenus dans un contexte précaire, influence sur le dossier des détenus en vue de leur libération conditionnelle… ), la notion de choix demande à être articulée en relation avec leur statut de dépendance et de subordination.

Le néolibéralisme ici évoqué ne favorise donc pas les libertés individuelles, il enferme plutôt à double tour les personnes incarcérées : dans la prison et dans le précariat.

+++++



+++++

Friedman, Milton. 2002 [1962]. « Introduction » et « Monopoly and the Social Responsibility of Business and Labor », dans Capitalism and Freedom, The University of Chicago Press, Chicago. Pp. 1-6; 119-120; 123-125.

Durand, Jean-Pierre. 2004. « Introduction » et « Fragmentation des marchés du travail et mobilisation des salariés », dans La chaîne invisible, travailler aujourd’hui : flux tendu et servitude volontaire, Éditions du Seuil, Paris. Pp. 11-18; 175-206. 

Standing, Guy. 2011. « The Precariat », dans The Precariat : The New Dangerous Class, Bloomsbury, New York. Pp. 1-25.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire