mercredi 23 septembre 2015

Chine: Alors que la crise économique s'approfondit, la précarité frappe durement les migrants chinois

Il y a à peine une dizaine d'année, la Chine était élevée en élève exemplaire par les tenants du développement économique et de la libéralisation des échanges commerciaux. La croissance rapide et spectaculaire du géant chinois avait en effet de quoi frapper l'imaginaire par sa démesure: des centaines de millions de migrants, attirés par les emplois industriels qui se développaient dans les zones économiques spéciales de la côte est, insufflaient un des plus vaste et des plus rapide mouvement d'urbanisation de l'histoire. En moins d'une trentaine d'années, la Chine est passée d'un pays rural et agricole, urbanisé à 18%, au statut d'atelier du monde, attirant la plus grande part des investissements productifs internationaux et devenant le premier exportateur mondial, alors que sa population urbaine franchissait, en 2010, le cap du 50% de citadins (Chan 2012).

Mais ce miracle économique pourrait se révéler avoir créé un géant au pied d'argile. Depuis la crise économique mondiale de 2008, la croissance chinoise, entravée par la baisse de la demande de ses exportations, a fortement ralenti, et la récente crise immobilière s'est transmise à l'économie tout entière en faisant éclater une bulle boursière à saveur spéculative, un scénario qui inquiète et rapelle, par bien des aspects, la crise américaine des subprimes. Dans ce contexte de volatilité financière et de ralentissement de la production, la main-d'oeuvre chinoise, confrontée au chômage de masse et à l'insécurité économique, s'est mise à réclamer des améliorations à sa condition et à exiger le respect plus systématique d'un code du travail jusqu'ici appliqué de manière plutôt discrétionnaire par des fonctionnaires ayant souvent des liens d'affaires et des relations de clientélisme politique avec les employeurs. Le contrat social proposé par Deng Xiaoping en 1978, qui promettait une croissance économique et une stabilité politique à un pays paralysé par les conflits sociaux, s'effrite donc sous les effets conjugués du ralentissement économique mondial et du renouveau militant du mouvement ouvrier. 

Alors que les grèves de masse se multiplient et que les conflits de travail deviennent de plus en plus durs à mesure que la situation économique se détériore, les faiblesses structurelles du mode de développement chinois se révèlent. Celui-ci, basé sur l'abondance d'une main-d'oeuvre docile et bon marché “libérée” de l'encadrement collectiviste par la libéralisation de l'économie et la mise en concurence des entreprises d'État, a fragilisé le statut des travailleurs tout en les soumettant à la concurence internationale. En effet, en Chine, même si une bonne partie des grandes entreprises demeurent de propriété publique, ces dernières ont été graduellement soumises à des impératifs concurentiels et aux contraintes d'un marché libéralisé1 qui s'avère avoir jeté dans la précarité une masse énorme de travailleurs migrants évaluée à 275 millions de personnes. Dans le collectivisme en effet, tous les aspects de la vie des travailleurs, du logement à la retraite en passant par la scolarisation et les soins de santé, étaient pris en charge par les collectifs de travail, tant à la ville qu'à la campagne, mais les réformes économiques ont démantelé ce filet de sécurité sociale et les emplois à vie qui plombaient la compétitivité des entreprises, entraînant une précarisation non seulement des statuts d'emploi mais de l'ensemble de la situation économique des salarié-es (Andreas 2008). 

Bien avant le ralentissement économique actuel, par conséquent, l'apparent miracle économique cachait une profonde restructuration du mode de régulation qui travail qui avait eu pour effet de “désencastrer”, pour reprendre l'expression de Polanyi (Polanyi 1983), l'économie de la société. Ainsi l'émergence du miracle économique chinois est-elle accompagnée d'une précarisation qui n'est pas sans rapeller celle vécue ici, aux États-Unis ou au Japon, par les travailleurs soumis aux impératifs de la compétitivité. Si en Occident ce précariat peine, semble-t-il, à émerger comme un véritable acteur collectif, centré sur des enjeux de classe et capable de porter une vision du monde contre-hégémonique (Standing 2011), les récents conflits industriels en Chine suggèrent que la Chine pourrait prendre une voie différente.


Par Mathieu Jean

Andreas, Joel. 2008. « Changing colors in China. » New Left Review, no 54, p. 123‑142.
Chan, Kam Wing. 2012. « Crossing the 50 Percent Population Rubicon: Can China Urbanize to Prosperity? » Eurasian Geography and Economics, vol. 53, no 1, p. 63‑86.
Friedman, Milton. 2009. Capitalism and Freedom: Fortieth Anniversary Edition. University of Chicago Press.
Harvey, David. 2005. A brief history of neoliberalism. Oxford;;New York : Oxford University Press.
Polanyi, Karl. 1983. La grande transformation: aux origines politiques et économiques de notre temps. Paris : Gallimard.
Standing, Guy. 2011. « The Precariat », dans The Precariat : The New Dangerous Class,

Bloomsbury, New York. Pp. 1-25.

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