mercredi 30 septembre 2015

Travailleurs temporaires mauriciens risquent l’expulsion du Canada



Travailleurs temporaires mauriciens risquent l’expulsion du Canada

Dix-neuf travailleurs temporaires mauriciens risquent d’être expulsés du pays d’un jour à l’autre.   Ces personnes travaillent depuis presque quatre ans comme bouchers chez Olymel, une entreprise québécoise de transformation de viande, notamment de porc et de volaille. Nous savons déjà que les travailleurs étrangers temporaires,  précarisés, accèdent difficilement aux services publics de santé, de services sociaux, de protection en cas de chômage et à la syndicalisation. La situation particulière de ces personnes nous invite à réfléchir sur les discours dominant sur la qualification et la centralité du travail ainsi que sur le rôle du syndicalisme.

Ces bouchers détiennent des permis de travailleurs étrangers temporaires (TET) qui viennent à échéance incessamment. Comme leur métier était considéré qualifié, ils pouvaient effectuer une demande de résidence permanente avant l’échéance de leur permis. C’est ce qu’ils ont fait comme  des  compatriotes et collègues d’Olymel avant eux. Or, les modifications apportées au Programme d’étrangers temporaires PTET par Emploi et Développement social Canada viennent changer la situation.  Depuis l’automne dernier, c’est le salaire médian, et non plus le niveau de qualification d’un emploi, qui determine la possibilité de demander la résidence permanente pour des travailleurs étrangers temporaires.  Toutefois, leurs demandes de Certificat de sélection du Québec, nécessaires à l’obtention de la résidence permanente, ont été refusées sous prétexte que leur métier n’est pas qualifié et ce, même si le programme fédéral exige maintenant que le salaire des travailleurs soit le critère d’amissibilité.  Ces dix-neuf personnes sont donc désormais indésirables, même si elles ont tissé des liens et eu des enfants au Québec.  Comme d’autres travailleurs étrangers temporaires ayant séjourné au Canada pendant quatre ans, ils doivent maintenant quitter le pays pendant une période de quatre ans avant de pouvoir y revenir comme travailleurs temporaires.

La qualification du travail  se construit à l’intersection de plusieurs rapports de domination, notamment de genre, de classe et de race. (Kergoat, 2009 dans Yerochewski et al) Est-il donc plus facile de déclasser un métier quand il est exercé par des travailleurs migrants temporaires racisés, par exemple des bouchers mauriciens? Le cas des immigrants mauriciens est particulièrement emblématique de la construction de la déqualification; comment une personne peut-elle être qualifiée un jour et déqualifiée le lendemain? Le critère du salaire médian est loin d’être une panacée ;  plusieurs travailleurs étrangers temporaires exercent un travail très qualifié mais reçoivent un salaire inférieur au salaire médian. De manière plus générale, nous devons nous poser la question si la qualification est un critère juste pour permettre l’immigration, temporaire ou pas. Ce qui nous mène à notre prochaine préoccupation l’hyper-centralité du travail contemporaine.

Le discours dominant réduit les personnes à leur statut de travailleurs d’autant plus si elles sont immigrantes et racisées; nous oublions donc que ces personnes ont et tissent des liens ; elles ont des familles, des amis, des amants et des collègues. De plus en plus, c’est le fait qu’une personne puisse répondre aux demandes flexibles à souhait du marché du travail qui constitue, dans les lois sur l’immigration et dans le sens commun, une condition à son droit d’immigrer et de rester. Mais ces personnes ont aussi des rêves et  certaines s’engagent dans des associations, comme certains des Mauriciens qui sont membres de l’Association des travailleurs et des travailleuses étrangers temporaires (ATTET), fondée par le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants de Montréal (CTI).  Au lieu de réfléchir à ces personnes en terme de compétences spécifiques qu’elles apportent au marché du travail, ne devons nous pas simplement nous rappeler qu’elles sont des personnes?

Et le syndicat dans tout ça? Les dix neuf mauriciens sont syndiqués, comme tous les travailleurs d’Olymel, par le syndicat des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce Canada (TUAC).  Malheureusement, le syndicat brille par son absence. Ce sont l’ATTET et le CTI qui ont organisé des manifestations et une conférence de presse et offrent du soutien, dans la mesure de leurs capacités, à ces personnes. À l’ère de la précarisation du travail,  les syndicats ne devraient-ils pas s’engager dans une lutte qui inclut les personnes qui vivent des dénis de droits, notamment les travailleurs étrangers temporaires? Ils récupèreraient peut-être ainsi une part de leur légitimité quelque peu égratignée…   

Yerochewski, Carole, E. Gareland, F. Lesemann, Y. Noiseux, S. Soussi et
     L .St-Germain. « Non qualifiés les travailleurs pauvres ? dans La crise des
    emplois non qulifiés
(sous la direction de S. Amine). Montréal : Presses
    internationales Polytechnique. Pp. 125-155
 

Susana Ponte Rivera

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