mercredi 16 septembre 2015

Quelles perspectives pour le revenu minimum garanti?

Au début de la semaine est parue la dernière édition du magazine nouveau projet. Ce dernier numéro a pour titre 15 visions du travail en 2015. Si parmi ces visions certaines sont davantage optimistes et porteuses d’espoir, force est d’admettre que d’autres jettent un regard plutôt sombre sur la réalité de l’emploi.
         
      Le thème sur lequel nous avons choisi de nous arrêter est le sujet de la quatorzième vision présentée dans cette revue, soit le travail dissocié de la rémunération. Qu’on lui attribue le nom d’allocation universelle, de dividende citoyen, de revenu de base inconditionnel ou de revenu minimum garanti, ces appellations semblent toutes définir la même réalité. En effet, ce dont il s’agit c’est d’une somme d’argent allouée à l’ensemble des citoyenNEs indépendamment de leur situation et de leurs activités quotidiennes. Cet « idéal politique » pour certainEs, catastrophe économique pour d’autres, semble de plus en plus se tailler une place dans les débats politiques au Québec. Québec Solidaire en faisait d’ailleurs une proposition politique aux élections de 2014 allant même jusqu’à chiffrer le montant de celui-ci; 12 600$. Plus récemment, l’idée fût présentée dans la section des idées en revues dans le journal Le Devoir en date du premier septembre 2015. Il est d’ailleurs fait mention dans cet article que la Finlande, la région administrative de l’Aquitaine en France ainsi que la ville de l’Utrecht aux Pays-Bas, se questionneraient sur une possible législation en la matière.

L’implantation de cette modalité impliquerait l’uniformisation des prestations –pension de la vieillesse, bien-être social, chômage, etc.- sous une seule, celle du revenu minimum garanti. Ainsi, il serait possible de simplifier la gestion administrative de ces nombreuses prestations, ce qui réduirait le coût occasionné par l’application de cette mesure. Dans une perspective à plus long terme, l’accès à l’éducation, à des soins de santé complémentaires, à de l’activité physique, etc. Mais surtout, à un revenu minimal descend pourrait engendrer une diminution de coûts sur le long terme. Effectivement, une population plus éduquée pourrait effectuer de meilleurs choix en plus d’avoir les moyens financiers de prendre soin de sa santé, mais surtout, de diminuer une quantité effarante de stress que de nombreux ménages vivent à l’échelle du Québec. Qu’il s’agisse de la peur de perdre un emploi, du malheur qui prévaut à notre travail, de l’incapacité de travailler temps plein parce qu’il faut prendre soin d’une personne à la maison, le revenu minimum garanti atténuerait de nombreuses situations de stress et de détresse. Qui plus est, ce choix politique n’encouragerait en rien l’oisiveté puisque l’incitatif de travailler demeurerait fonction des conditions salariales plus intéressantes qui prévaudraient sur le marché de l’emploi. Cette modalité permettrait à toutes les personnes désireuses d’entreprendre un projet, aussi bien en art que de lancer une entreprise, pourrait s'y consacrer durant une ou plusieurs années sans encourir de risques trop importants. Cette mesure pourrait ainsi devenir un vecteur de créativité, de progrès et de stimulation économique. Finalement, le revenu minimum garanti pourrait être considéré comme une rémunération de toutes les tâches effectuées, notamment les tâches domestiques; ce qui permettrait une plus importante reconnaissance du travail des femmes.

Si le droit au travail est de plus en plus reconnu mondialement, cette politique pourrait transformer celui-ci en ce qu’Andrea Fumagalli nomme le droit du choix au travail. La reconnaissance de ce droit aurait deux fonctions principales. D’une part, il permettrait de reconnaître que les individus ne doivent pas obligatoirement occuper n’importe quel type d’emploi, particulièrement, celles et ceux ayant des études dans un certain champ. Ces personnes pourraient se permettre de poursuivre plus longuement leurs recherches afin de trouver un travail qui convient à leurs compétences, qualifications, mais surtout, aspirations. D’autre part, tel que mentionné par revenu de base Québec dans Nouveau projet, le droit au choix du travail engendrerait fort probablement une transformation drastique du marché du travail. Suite à l’instauration de cette mesure, les citoyennes et citoyens n’accepteraient probablement plus d’occuper des emplois sous des conditions misérables. Qui plus est, un salaire légèrement plus élevé ne constituerait certainement pas un incitatif suffisant. Donc, soit les entreprises feraient en sorte de rehausser les conditions d’emploi qu’ils proposent. Soit, les gouvernements légifèreraient pour rehausser les conditions sur le marché du travail afin de proposer un incitatif raisonnable au retour en emploi. Fumagalli croit d’ailleurs que l’on assisterait à la transformation du labor au profit du opus. Dit autrement, l’activité de travail, source de douleur et de fatigue serait désormais une expression des capacités et de la créativité humaine (Fumagalli 2015, 10). Revenu de base Québec postule par ailleurs que les allez et venu en la formation l’emploi et le bénévolat serait devenu chose courante.

Évidemment, l’application de cette politique serait l’affirmation de la non-croyance en la capacité autorégulatrice du marché. Nous y voyons également une mise à terme de ce que Bourdieu nommait « le règne absolu de la flexibilité » (Bourdieu 1998, 12). Peut-être assisterions-nous également à la fin de ce que Dardot et Laval nomment « La gestion néolibérale de l’entreprise » (Dardot et Laval 2009, 309-15). Les citoyenNEs ne seraient plus contraintEs d’accepter « les contraintes de rentabilité financière dans l’entreprise même et (…) les nouvelles normes d’efficacité productive et de performance individuelle » par peur de se faire limoger.

Références :

Bourdieu, Pierre. Mars 1998. « L’essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique, Paris, p. 11-15.

Dardot et Laval. 2009. « Discipline (1) : un nouveau système de disciplines» et «Discipline (3) : la gestion néolibérale de l’entreprise», dans La nouvelle raison du monde : essai sur la société néolibérale, La découverte, Paris. p. 299-306; 309-314.

Fumagalli, Andrea. 2015. La mise au travail : Nouvelles formes du capitalisme cognitif. Paris. Eterotopia. Rhizome. Pp. 97.








Aucun commentaire:

Publier un commentaire