Au début de la semaine est parue la dernière édition
du magazine nouveau projet. Ce dernier numéro a pour titre 15 visions du travail en 2015. Si parmi ces visions certaines sont davantage optimistes et porteuses
d’espoir, force est d’admettre que d’autres jettent un regard plutôt sombre sur
la réalité de l’emploi.
Le thème sur lequel nous avons
choisi de nous arrêter est le sujet de la quatorzième vision présentée dans
cette revue, soit le travail dissocié de la rémunération. Qu’on lui attribue le
nom d’allocation universelle, de dividende citoyen, de revenu de base
inconditionnel ou de revenu minimum garanti, ces appellations semblent toutes
définir la même réalité. En effet, ce dont il s’agit c’est d’une somme d’argent
allouée à l’ensemble des citoyenNEs indépendamment de leur situation et de
leurs activités quotidiennes. Cet « idéal politique » pour certainEs,
catastrophe économique pour d’autres, semble de plus en plus se tailler une
place dans les débats politiques au Québec. Québec Solidaire en faisait
d’ailleurs une proposition politique aux élections de 2014 allant même jusqu’à
chiffrer le montant de celui-ci; 12 600$. Plus récemment, l’idée fût
présentée dans la section des idées en revues dans le journal Le Devoir en date du premier septembre 2015. Il est d’ailleurs
fait mention dans cet article que la Finlande, la région administrative de
l’Aquitaine en France ainsi que la ville de l’Utrecht aux Pays-Bas, se
questionneraient sur une possible législation en la matière.
L’implantation de cette modalité impliquerait l’uniformisation
des prestations –pension de la vieillesse, bien-être social, chômage, etc.- sous
une seule, celle du revenu minimum garanti. Ainsi, il serait possible de
simplifier la gestion administrative de ces nombreuses prestations, ce qui
réduirait le coût occasionné par l’application de cette mesure. Dans une
perspective à plus long terme, l’accès à l’éducation, à des soins de santé
complémentaires, à de l’activité physique, etc. Mais surtout, à un revenu
minimal descend pourrait engendrer une diminution de coûts sur le long terme.
Effectivement, une population plus éduquée pourrait effectuer de meilleurs choix
en plus d’avoir les moyens financiers de prendre soin de sa santé, mais
surtout, de diminuer une quantité effarante de stress que de nombreux ménages
vivent à l’échelle du Québec. Qu’il s’agisse de la peur de perdre un emploi, du
malheur qui prévaut à notre travail, de l’incapacité de travailler temps plein
parce qu’il faut prendre soin d’une personne à la maison, le revenu minimum
garanti atténuerait de nombreuses situations de stress et de détresse. Qui plus
est, ce choix politique n’encouragerait en rien l’oisiveté puisque l’incitatif
de travailler demeurerait fonction des conditions salariales plus intéressantes
qui prévaudraient sur le marché de l’emploi. Cette modalité permettrait à
toutes les personnes désireuses d’entreprendre un projet, aussi bien en art que
de lancer une entreprise, pourrait s'y consacrer durant une ou plusieurs années
sans encourir de risques trop importants. Cette mesure pourrait ainsi devenir
un vecteur de créativité, de progrès et de stimulation économique. Finalement,
le revenu minimum garanti pourrait être considéré comme une rémunération de
toutes les tâches effectuées, notamment les tâches domestiques; ce qui
permettrait une plus importante reconnaissance du travail des femmes.
Si le droit au travail est de plus en plus
reconnu mondialement, cette politique pourrait transformer celui-ci en ce qu’Andrea
Fumagalli nomme le droit du choix au
travail. La reconnaissance de ce droit aurait deux fonctions principales.
D’une part, il permettrait de reconnaître que les individus ne doivent pas
obligatoirement occuper n’importe quel type d’emploi, particulièrement, celles
et ceux ayant des études dans un certain champ. Ces personnes pourraient se
permettre de poursuivre plus longuement leurs recherches afin de trouver un
travail qui convient à leurs compétences, qualifications, mais surtout,
aspirations. D’autre part, tel que mentionné par revenu de base Québec dans
Nouveau projet, le droit au choix du travail engendrerait fort probablement une
transformation drastique du marché du travail. Suite à l’instauration de cette
mesure, les citoyennes et citoyens n’accepteraient probablement plus d’occuper
des emplois sous des conditions misérables. Qui plus est, un salaire légèrement
plus élevé ne constituerait certainement pas un incitatif suffisant. Donc, soit
les entreprises feraient en sorte de rehausser les conditions d’emploi qu’ils
proposent. Soit, les gouvernements légifèreraient pour rehausser les conditions
sur le marché du travail afin de proposer un incitatif raisonnable au retour en
emploi. Fumagalli croit d’ailleurs que l’on assisterait à la transformation du labor au profit du opus. Dit autrement, l’activité de travail, source de douleur et de
fatigue serait désormais une expression des capacités et de la créativité
humaine (Fumagalli 2015, 10). Revenu de base Québec postule par ailleurs que
les allez et venu en la formation l’emploi et le bénévolat serait devenu chose
courante.
Évidemment, l’application de cette politique serait
l’affirmation de la non-croyance en la capacité autorégulatrice du marché. Nous
y voyons également une mise à terme de ce que Bourdieu nommait « le règne
absolu de la flexibilité » (Bourdieu 1998, 12). Peut-être
assisterions-nous également à la fin de ce que Dardot et Laval nomment
« La gestion néolibérale de l’entreprise » (Dardot et Laval 2009,
309-15). Les citoyenNEs ne seraient plus contraintEs d’accepter « les contraintes
de rentabilité financière dans l’entreprise même et (…) les nouvelles normes d’efficacité productive et de performance
individuelle » par peur de se faire limoger.
Références :
Bourdieu, Pierre. Mars 1998. « L’essence du
néolibéralisme », Le Monde diplomatique, Paris, p. 11-15.
Dardot et
Laval. 2009. « Discipline (1) : un nouveau système de disciplines» et
«Discipline (3) : la gestion néolibérale de l’entreprise», dans La
nouvelle raison du monde : essai sur la société néolibérale, La
découverte, Paris. p. 299-306; 309-314.
Fumagalli,
Andrea. 2015. La mise au travail :
Nouvelles formes du capitalisme cognitif. Paris. Eterotopia. Rhizome. Pp.
97.
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