Dans la foulée de la
journée de la fête du Travail, il est opportun de discuter d'enjeux actuels et
de l'évolution du travail et de ses conditions ainsi que de syndicalisme.
Ainsi, en date du sept septembre, de nombreuses dépêches dans les différents journaux
canadiens et états-uniens ont abordé ces questions. Celle ayant retenu notre
attention se titrait Fête du Travail: la précarité grandissante des travailleurs est dénoncée (Radio-Canada). Il est mentionné
dans cette une que de nombreuses personnes ont défilé dans les maritimes afin
de dénoncer les abus entrainés par les modalités du travail sur appel.
L'article mentionne que
les employéEs de certains secteurs en font davantage les frais tels que «
les secteurs de la vente au détail et des services, comme les comptoirs de
restauration rapide» (Radio-Canada, 2015). Concrètement, le travail sur
appel impose aux travailleuses et travailleurs de
téléphoner leur employeur afin de savoir si leurs services sont requis ou
non. À première vue, plusieurs auront l'impression que ce type de pratique
n'entraine en rien des conditions misérables. En effet, passer un coup de
fil tôt le matin afin de savoir si vous devez
vous diriger au boulot ou si vous disposez de votre journée peut même
sembler être une condition plutôt intéressante si elle est réfléchie en termes
de flexibilité.
Il est primordial de
s'interroger sur les possibles dérives que ces pratiques de gestion des
ressources humaines peuvent entrainer. Nous entrevoyons trois types
possibles de dérives. Le premier est de l'ordre de ce que nous
pourrions nommer la « sur» disponibilité ou ce que Bourdieu (1998)
qualifierait de « surinvestissement dans le travail» (p. 13). L'un des
constats tient au fait que le travail sur appel implique souvent l'absence d'un
nombre d'heures garanties. En effet, de plus en plus d'employeurs embauchent
sans pouvoir assurer la possibilité d'obtenir un poste voire un horaire
stable à court ou moyen terme. Ainsi, afin de s'assurer de
travailler un nombre raisonnable d'heures pour subvenir à leurs besoins,
une part importante des employéEs nouvellement embauchéEs
s'impose ce qu'il convient d'appeler une disponibilité totale. Jour, soir,
nuit, fin de semaine, heures supplémentaires, face à l'incertitude, il vaut
mieux accepter ce que l'on nous offre plutôt que de vivre sans les fonds
suffisants. Dans certains cas, cela va jusqu'à se rendre disponible à
plusieurs endroits. Nous entendons par plusieurs endroits deux réalités
distinctes. D'une part, il s'agit d'être disponible dans plusieurs
succursales, établissements, d'un même employeur. Cette réalité va
généralement de pair avec l'augmentation, parfois drastique, de
la distance à parcourir et donc du temps de voyagement. D'autre part,
par peur ou par constat d'un manque d'heures, un individu peut se voir
contraint d'occuper le même statut auprès d'employeurs multiples. Dans ce cas,
il devient encore plus difficile de coordonner ses disponibilités et
ses horaires. Les journées de travail peuvent être doubles tout en conservant
un taux horaire simple. Ou alors, le voyagement peut être
effarant malgré des délais pouvant être restreints.
Le second type de
dérives est d'ordre personnel et familial. D'abord, en ce qui concerne les
conciliations travail-famille, il est certain que le travail sur appel peut
entrainer un certain nombre de problèmes que nous pourrions qualifier de
logistiques. Toute personne ayant à sa charge une autre personne
-enfant(s), aînéE(s), personne(s) non autonome(s)- aura, nous présumons, de la
difficulté à gérer le fait de devoir trouver «unE gardienNe » puis de se
rendre au travail dans les plus brefs délais. Dans un autre ordre d'idées,
entre examens, travaux d'équipes, cours et études, les personnes aux
études se trouveront dans l'obligation de faire des choix qui les
positionneront dans une situation plutôt délicate. Il s’agit de sacrifier des
heures de travail et possiblement se positionner dans une précarité financière,
ou alors, de s’absenter des cours et d’être dans l’obligation d’effectuer un
rattrapage. Cette situation ne favorise certainement pas la réussite scolaire. Par
ailleurs, la possibilité d’avoir des engagements devient de moins en moins
envisageable. Qu’il s’agisse de cours extrascolaires, de bénévolat, d’implication
sportive, il est réaliste de croire que les personnes risquent de s’y
soustraire. De deux choses l’une, la peur de ne pas avoir les ressources
pécuniaires nécessaires peut constituer un frein à la participation. Puis, la
croyance, réelle ou fictive de devoir s’absenter à plusieurs occasions peut
décourager les gens de s’inscrire. Cela engendrera nécessairement un certain
retrait de la vie sociale. En ce qui concerne le volet social, il faut
également noter qu’il sera de plus en plus difficile de créer des relations de
proximité ainsi que des liens d’amitié avec les collègues. En effet, les
horaires instables, les changements de lieux ainsi que le cumul d’emplois peuvent
engendrer une situation où les gens ne sont jamais exposés aux mêmes personnes
et où les activités hors travail qui permettent de tisser des liens deviennent
superflues.
Finalement, le dernier volet concerne plutôt la gestion des employeurs.
Le travail sur appel a pour conséquence d’introduire une nouvelle catégorie de
travailleuses et de travailleurs, précaires, que nous pourrions considérer
comme étant en périphérie (Castells 1998). En contrepartie de leurs homologues
au centre –titulaires de poste, temps plein- les personnes en périphérie se
voient exclues de nombreux avantages. En plus d’avoir un nombre d’heures
inférieur; les vacances, les assurances, les congés de maladie, les journées de
bénévolats, l’adhésion à un syndicat, constitue une énumération non exhaustive
des bénéfices desquels ils sont la plupart du temps excluEs. Si le travail sur
appel semble devenu aussi attrayant pour les entreprises, c’est certainement
parce qu’il permet de réduire les dépenses et donc d’augmenter les profits.
D’une part, il permet d’économiser sur les bénéfices énumérés ci-haut qu’il
n’octroie pas aux temps partiels. D’autre part, celui-ci permet de rentabiliser
au maximum chaque effectif en fonction des besoins quotidiens de l’entreprise. Dans
cet esprit, il ne serait pas surprenant que les entreprises poussent la
logique. Se pourrait-il que les employéEs se voient contraintEs d’appeler
plusieurs fois par jour? En fonction des quarts de travail ou des périodes
d’achalandages? Les quarts de travail pourraient-ils se voir réduits, dans une
proportion beaucoup plus importante, au minimum autorisé par les normes du
travail? Ainsi, le nombre de travailleuses et de travailleurs du centre
pourrait être limité au strict minimum. Les heures de travail devenant
synonymes de denrées rares et les avantages sociaux étant constamment limités à
un nombre réduit de personnes, l’employeur disposera d’un contrôle notable sur
les travailleuses et les travailleurs. Cette réalité n’est pas sans rappeler ce
que Dardot et Laval nomment la discipline (Dardot et Laval 2009). Les
employéEs pâtiront de la situation puisqu’afin de travailler le plus d’heures
possibles, ils resteront à la maison afin d’être certain de ne pas manquer «l’appel au travail ».
Références :
Bourdieu, Pierre. Mars 1998. « L’essence du
néolibéralisme », Le Monde diplomatique, Paris, p. 11-15.
Castells, Manuel. 1998. « La transformation du
travail et de l’emploi. Travail en réseau, chômage et travail flexible» dans La
sociétét en réseaux. L’ère de l’information, Fayard, Paris. Pp. 267-280;
307-322.
Dardot et Laval. 2009. « Discipline (1) : un
nouveau système de disciplines» et «Discipline (3) : la gestion
néolibérale de l’entreprise», dans La nouvelle raison du monde : essai
sur la société néolibérale, La découverte, Paris. Pp. 299-306; 309-314.
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