mercredi 23 septembre 2015

Lorsque la sympathie pour une institution l'emporte sur celle pour ses membres

Le gouvernement japonais a émis une requête la semaine dernière auprès de ses 60 universités leur demandant de réduire, voire même de démanteler tous les programmes de sciences sociales ne correspondant pas «aux besoins réels» de la société nippone.  Celle-ci serait selon le ministère de l’éducation mieux servie par une orientation pratique des sciences naturelles, excluant même les disciplines plus fortement professionnalisées comme le droit et l’économie.  Cette directive ne sera toutefois pas respectée par 36 institutions dont celles situées à Tokyo et Kyoto, où le grand achalandage étudiant n’entraîne aucune pression financière légitimant ces coupures drastiques.  En effet, l’inversion de la pyramide démographique résultant du maigre taux de natalité depuis quelques années se traduit par un fonctionnement ralenti des activités universitaires plus régionales, parfois jusqu’à 50% de ses capacités maximales.  Difficile de ne pas voir dans cette manœuvre une nouvelle facette de la rhétorique de l’inéluctabilité de l’équilibre budgétaire, que des facteurs contemporains encouragent de part et d’autre au rythme des particularités nationales des législatures y souscrivant. 

Le parallèle est trop alléchant pour s’abstenir d’une mention. «Les cerveaux des étudiants doivent correspondre aux besoins des entreprises», fameuse formule du recteur Guy Breton devenue cliché suite à sa publicisation par ses nombreux opposants trouve ici une application littérale.  Comment interpréter cette redéfinition du rôle de l’école, jonglant traditionnellement entre une introduction à la vie citoyenne et la formation concrète à un travail aux fins marchandes? Alors que chacun annonce la fin prochaine des États-nations sous l’emprise grandissante des organisations internationales, il semble que la production scientifique forme encore un bastion de la compétition interétatique, au nom de laquelle la maximisation de la profitabilité est de mise.  De nombreux critiques ont fait valoir le danger de cette dérive, à savoir l’atrophie certaine du savoir fondamental possédant une grande valeur en soi et contribuant qui plus est aux avancées de la science appliquée si prisée. 


Ces communiqués de presse soigneusement relayés par plusieurs agences d’information possèdent un angle mort significatif dans leurs nobles considérations pour l’avenir de la vie intellectuelle japonaise.  Si ces coupures représentent il est vrai une attaque à l’intégrité de la Science, les craintes pour les individus y faisant carrière ―professeurs et chercheurs mais aussi étudiants et membres du personnel administratif― sont absolument absentes.  On devine bien que ces mesures affectant des milliers de travailleurs à travers le pays seront la cible de luttes à venir pour des mois entre leurs collectifs de travail en place et les gestionnaires dociles.  Le silence sur un tel enjeu témoigne d’une myopie partielle aux valeurs que le Conseil de la science du Japon prétend défendre : si les sciences sociales sont d’une valeur inestimable afin de comprendre les aléas de la société, comment ignorer les répercussions immédiates des compressions, indices de la précarisation en cours au sein d’un domaine vulnérable à ses préceptes idéologiques?

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