Le
gouvernement japonais a émis une requête la semaine dernière auprès de ses 60
universités leur demandant de réduire, voire même de démanteler tous les
programmes de sciences sociales ne correspondant pas «aux besoins réels» de la
société nippone. Celle-ci serait selon le
ministère de l’éducation mieux servie par une orientation pratique des sciences
naturelles, excluant même les disciplines plus fortement professionnalisées
comme le droit et l’économie. Cette
directive ne sera toutefois pas respectée par 36 institutions dont celles
situées à Tokyo et Kyoto, où le grand achalandage étudiant n’entraîne aucune
pression financière légitimant ces coupures drastiques. En effet, l’inversion de la pyramide
démographique résultant du maigre taux de natalité depuis quelques années se
traduit par un fonctionnement ralenti des activités universitaires plus régionales,
parfois jusqu’à 50% de ses capacités maximales.
Difficile de ne pas voir dans cette manœuvre une nouvelle facette de la
rhétorique de l’inéluctabilité de l’équilibre budgétaire, que des facteurs
contemporains encouragent de part et d’autre au rythme des particularités
nationales des législatures y souscrivant.
Le parallèle est trop alléchant
pour s’abstenir d’une mention. «Les cerveaux des étudiants doivent correspondre
aux besoins des entreprises», fameuse formule du recteur Guy Breton devenue
cliché suite à sa publicisation par ses nombreux opposants trouve ici une
application littérale. Comment
interpréter cette redéfinition du rôle de l’école, jonglant traditionnellement
entre une introduction à la vie citoyenne et la formation concrète à un travail
aux fins marchandes? Alors que chacun annonce la fin prochaine des
États-nations sous l’emprise grandissante des organisations internationales, il
semble que la production scientifique forme encore un bastion de la compétition
interétatique, au nom de laquelle la maximisation de la profitabilité est de
mise. De nombreux critiques ont fait
valoir le danger de cette dérive, à savoir l’atrophie certaine du savoir
fondamental possédant une grande valeur en soi et contribuant qui plus est aux
avancées de la science appliquée si prisée.
Ces communiqués de presse soigneusement
relayés par plusieurs agences d’information possèdent un angle mort significatif
dans leurs nobles considérations pour l’avenir de la vie intellectuelle
japonaise. Si ces coupures représentent
il est vrai une attaque à l’intégrité de la Science, les craintes pour les
individus y faisant carrière ―professeurs et chercheurs mais aussi étudiants et
membres du personnel administratif― sont absolument absentes. On devine bien que ces mesures affectant des
milliers de travailleurs à travers le pays seront la cible de luttes à venir
pour des mois entre leurs collectifs de travail en place et les gestionnaires dociles. Le silence sur un tel enjeu témoigne d’une myopie
partielle aux valeurs que le Conseil de la science du Japon prétend défendre :
si les sciences sociales sont d’une valeur inestimable afin de comprendre les
aléas de la société, comment ignorer les répercussions immédiates des compressions,
indices de la précarisation en cours au sein d’un domaine vulnérable à ses
préceptes idéologiques?
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