"Reconnaissons au moins ce mérite au monde du travail: il produit des pathologies professionnelles sans cesse renouvelées, résultant du caractère protéiforme des tortures qui sont infligées au salarié".
C'est sur ces propos pour le moins caustiques que Nicolas Santolaria, chroniqueur au quotidien français Le Monde, dans son édition du 13 octobre dernier, introduit une nouvelle pathologie du travail: le brown-out.
Pour faire court, le phénomène se définit "comme une sorte de dévitalisation (du corps et de l'esprit) provoquée par l’absurdité quotidienne des tâches à accomplir".
Les tribulations menant à cet état pathologique ? Pour le journaliste, "la perspective d’un salaire régulier finit par entrer en opposition avec le caractère rebutant des missions qui sont confiées. (...) (T)ravailler pour un client dont vous savez pertinemment que l’action produit un effet néfaste sur la marche du monde, se prosterner devant les chiffres et favoriser ainsi l’avancée de cette froide logique statistique devenue étalon existentiel : les occasions de participer à l’édification d’un monde qu’on exècre sont légion entreprise". Tourmenté par sa condition professionnelle - donc son statut - mais dans un contexte néolibéral où l'évolution de celle-ci est improbable (si l'on se réfère aux travaux de Durand, par exemple), voilà notre travailleur happé par le brown-out.
Dans un article paru en septembre 2015, le Telegraph, quotidien britannique à grand tirage, s'intéresse également au phénomène nouveau.
Le brown-out tient donc à la fois du burn-out et du bore-out, deux pathologies du travail essentiellement antagoniques, elles aussi contemporaines, mais aux contours déjà mieux cernés. Toutefois, et bien qu'elle ne soit pas aussi brutale que son grand-frère le burn-out, cette nouvelle pathologie serait beaucoup plus fréquente.
Parmi les symptômes décrits par le quotidien, on retrouve le fait de compléter de longues journées de travail mais sans y démontrer quelconque intérêt, de consulter constamment sa boîte courriel et son téléphone, peu importe l'heure de la journée, mais aussi d'inventer toute excuse pour ne pas se présenter sur le lieu de travail, entre autres (des conditions ou comportements qu'on pourrait assimiler à l'état d'esprit "précarisé" soutenu par Standing).
Les causes sont multiples, mais émergeraient essentiellement de la structure du marché du travail moderne, comme le démontre Sir Cary Cooper, professeur à la Manchester Business School:
"One of the main factors behind it (le brown-out) is very large amounts of rather dull work. In the recession, companies tended to either eliminate roles or not replace those who left. The extra workload was picked up by those who stayed. The trouble is this means the work isn’t challenging or stimulating. (...) In a similar vein, the delayering that has taken place over the last few decades means that the traditional corporate pyramid often now has just four layers between the top and the bottom. Thus, the kind of incremental career progress our parents knew no longer exists. This is one of the reasons that brownout often affects those in their mid-thirties. When they started as graduates they were shown a glittering ladder that could be climbed. Now, it barely exists". Encore une fois, cette difficulté, voire impossibilité de progresser dans certains secteurs du marché du travail actuel.
À la lumière de ces informations, et en lien avec ce cours, il semble évident que la centrifugation croissante de l'emploi vers les marchés périphériques du travail, et la précarisation qui en découle, sont en cause, du moins partiellement, dans l'apparition de cette pathologie profeussionnelle du 21e siècle.
http://www.telegraph.co.uk/men/the-filter/11866571/Are-you-suffering-from-brownout.html
http://mobile.lemonde.fr/m-perso/article/2016/10/13/apres-le-burn-out-et-le-bore-out-voici-le-brown-out_5012742_4497916.html?xtref=http://m.facebook.com&utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook
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