Le diplôme universitaire représente aujourd’hui la
lumière vive au bout du tunnel, assurée, confiante, pleine d’espoir pour l’avenir. Tout le long du
tunnel, on voit nos études comme une garantie, un savoir nécessaire, ou même
une chance pour certains. Et au bout du tunnel, pour de plus en plus d’entre
nous, c’est le vide…de sens.
Quand
on tente de définir les Bullshits jobs, les réponses sont vagues, mêmes des
employés eux- même : «Leur réponse, des
tentatives d’explications mâtinées d’anglicismes, eux-mêmes imbriqués dans un
langage commercio-managérial, est généralement suivie d’un grand silence[1]». En tout cas, ce que l’on
sait, c’est qu’ils ont des titres alambiqués et des salaires au-dessus de la
moyenne…
Dans son article parût en 2013[2],
Graeber dénonce les progrès technologiques qui ont permis l’accélération du
secteur administratif, allant selon lui à l’encontre des valeurs capitalistes :
est-ce rentable de payer un salarié à compter les cases de tableau Excel? En s’appuyant sur la théorie de Keynes
envisageant notre présent remplis de semaines à 15h, Graeber confirme que ce
temps est bien celui de la réelle productivité des jobs à la con, le reste ne
serait que du brassage d’air : « Même nous, les chercheurs, on passe
plus de temps à remplir des formulaires, à se conformer à des procédures, à s’envoyer des e-mails dans tous
les sens pour prendre des décisions, qu’à vraiment faire de la recherche»
The Economist répond que les Bullshits
jobs modernes ne sont rien d’autre qu’une pâle copie de ce qui existe depuis
toujours : «Certes, la
dématérialisation peut donner une impression de vacuité (…), puisque l’époque
où le minerai de fer se transformait en voitures est révolue.
Mais l’idée reste la même[3] ». Cependant,
pouvons-nous imaginer que cette période ultra bureaucratique que nous vivons en
ce moment n’est «qu’une transition entre les jobs à la con dans l’industrie et pas de job du tout[4]»?
Cette transition ne vient pas sans
son lot de conséquences : le bore out, s’opposant au burn out, correspond
à un surplus d’ennui. Si l’on s’appuie sur Marx, on peut dire qu’on assiste à
l’aboutissement de notre aliénation au travail, allant au-delà manque de
mainmise sur notre production en ne sachant même pas de quoi il s’agit. De son
côté, Bourdieu élabore le système néolibéral[5] :
une société emprunte de liberté économique, fondée sur un régime
politico-économique où les marchés financiers règnent. Les structures
collectives disparaissent peu à peu pour laisser place à un souvenir flou de ce
qu’était le travail tel qu’on le connaissait.
Ce que je trouve paradoxal est
principalement le fait que ce système est directement issu de la montée de la
rationalisation scientifique du travail, de toutes les théories du management,
de la lutte contre le gaspillage, la perte de temps et la paresse, comme le
disait Taylor[6],
et que l’on voit qu’il en devient tout le contraire. Le combat est alors tout
autre aujourd’hui : il ne s’agit plus de lutter pour les intérêts des
salariés, d’atteindre un équilibre entre les patrons et travailleurs, mais de
donner une raison d’être à leurs actions. Sommes-nous en train de nous faire
dépasser par notre propre système si même les experts ne savent plus ce qu’ils
font? Ou bien est-il préférable de garder les citoyens occupés (même à rien) au
travail, de centrer leurs valeurs sur l’entreprise, plutôt que de les laisser
s’émanciper du système et avoir réellement du temps «pour eux»?
Par Florie Le Liboux
Bibliographie
Bourdieu,
Pierre. Mars 1998. « L’essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique,
Paris
De
Foucher Lorraine «absurdes et vides de sens : ces jobs d’enfer», Le Monde,
22 mars 2016 [http://www.lemonde.fr/m-perso/article/2016/04/22/dans-l-enfer-des-jobs-a-la-con_4907069_4497916.html], consulté le 30 octobre 2016.
Graeber David,
«On the Phenomenon of Bullshit Jobs», Strike Mag, 17 aout 2013 [http://strikemag.org/bullshit-jobs/] consulté le 30 octobre 2016
Noiseux,
Yanick. SOL2015 «Powerpoint : révolution industrielle et essor du rapport
salarial» 19 septembre 2016
[1] De Foucher Lorraine «absurdes et
vides de sens : ces jobs d’enfer», Le Monde, 22 mars 2016 [http://www.lemonde.fr/m-perso/article/2016/04/22/dans-l-enfer-des-jobs-a-la-con_4907069_4497916.html],
consulté le 30 octobre 2016.
[2] Graeber David, «On
the Phenomenon of Bullshit Jobs», Strike Mag, 17 aout 2013 [http://strikemag.org/bullshit-jobs/] consulté le 30
octobre 2016
[5]
Bourdieu, Pierre. Mars 1998. « L’essence du néolibéralisme », Le Monde
diplomatique, Paris
[6] Noiseux, Yanick. SOL2015
«Powerpoint : révolution industrielle et essor du rapport salarial» 19
septembre 2016
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