Lors
de la grève estudiantine de 2012, surnommée printemps érable par les médias, nous,
étudiants, critiquions la marchandisation de l’éducation. Nous revendiquions un
meilleur accès à l’éducation universitaire, que ce soit par l’augmentation du
financement public des universités, la bonification de l’AFE (Aide Financière
aux Études) ou l’abolition des frais afférents. Est-ce que la logique de marché
s’est réellement incrustée dans nos institutions universitaires ? Peut-on
encore parler d’institutions qui appartiennent à la société civile, comme l’a
été à l’origine la création des Universités du Québec ?
Mais
d’abord, qu’entendons-nous par logique de marché ? D’un point de vue
organisationnel, on tend à se la représenter par un nouveau managment où l’effort de travail est
rentabilisé à son maximum, par diverses stratégies de mise en concurrence des
travailleurs ou encore de fragmentation des collectifs de travail au profit de
relations d’emploi individualisées. Le secret de la productivité serait l’émancipation
au travail. Notre emploi devrait être si passionnant que les gratifications non
monétaires, pour reprendre l’expression de Jean-Michel Menger, nous
engageraient entièrement dans notre tâche. D’un point de vue formel, nous nous représentons
la logique de marché comme l’effet sine qua
non d’un nouvel ordre planétaire néolibéral. Nous serions assujettis à la
tendance économique ; l’État se voit obligé d’économiser, de réduire ses
dépenses puisque les gouvernements passés avaient été trop dépensiers (ô filet
social comme tu es onéreux). On nous propose l’analogie d’une petite famille,
ayant fait des dépenses extravagantes, et qu’à mauvaise conjectures, elle doit
mettre les bouchées doubles au travail et se serrer la ceinture pour rembourser
l’hypothèque de la trop grande maison qu’elle s’est procurée, pour palier à l’augmentation
du prix de l’essence (soyons conséquent, nous refusons-les oléoducs), etc. Dardot
et Laval nous rappellent que ce que l’on nous présente comme des réalités
objectives issues du néolibéralisme (la logique de marché), n’est qu’autre qu’une
subjectivité assimilable à une idéologie qui traverse et conditionne nos
logiques d’action.
Lors
de la grève de 2012, nous valorisions l’idéal d’une liberté d’expression au
sein d’une institution universitaire autonome ayant comme vocation la
production d’un savoir désintéressé. À l’époque, le jeu des comparaisons
démagogiques du pire au pire, nous faisait comprendre que l’on était des
enfants gâtés puisque nous avions des conditions estudiantines nettement plus
favorables qu’ailleurs (« la belle vie ; terrasse-sangria » disait R.
Martineau). Force est de constater que cette subjectivité néolibérale s’est
incrustée dans les structures universitaires.
Paul
Sabourin affirmait dernièrement dans un cours d’épistémologie que la contrepartie
de cette autonomie universitaire est « l’évaluation permanente ». Tout ce passe
dans notre cursus comme si nous n’avions pas droit à l’erreur. L’hégémonie de
la cote universitaire agit comme si un faux pas ou un parcours non orthodoxe
était une tache à notre dossier lorsque nous voudrions appliquer pour les cycles
supérieurs et leurs bourses corrélatives (FRQSC – CRSH). C’est pourquoi
celui-ci a adopté une grille d’évaluation à cinq travaux cumulatifs dont
seulement deux sont évalués, pour nous permettre de commettre des erreurs
puisque c’est une démarche inhérente au processus d’apprentissage.
Cécile
Van de Velde affirmait quant à elle dans un séminaire, que depuis les dix
dernières années, elle a vu l’augmentation de l’exigence de la publication en
sociologie chez les étudiants de la maîtrise poindre chez les futurs bacheliers.
Pour accéder à ces fameuses bourses, il faudrait déjà au BAC publier des
articles. Dans une rencontre préparatoire à ces demandes de bourses, Jacques
Hamel disait que les étudiants de l’Université de Laval s’accaparaient bien
plus les bourses que ceux de l’Université de Montréal. Pourquoi donc,
pourrions-nous nous demander ? La raison étant que ces premiers ont une revue
estudiantine sociologique et que le facteur de la publication favorise l’allocation
d’une bourse. Si nous étions véritablement cyniques, nous pourrions nous
demander si la revue des cycles supérieurs de l’Université de Montréal, Cycles Sociologiques, en phase d’être
créée, n’a pas aussi cet état des choses dernière la tête.
Un
récent article du Devoir intitulé ; «
La grande désillusion. Les professeurs d’université broyés par la recherche de
financement et le multitâche », relevait l’augmentation de la détresse psychologique
chez les professeurs universitaires. Se basant sur une étude réalisée par deux
chercheurs de l’Université Laval, l’article en étale les causes. Les professeurs
sont soumis à une exigence de performer afin de maintenir ou gagner une
réputation professionnelle, ainsi qu’une augmentation de la charge de l’enseignement.
On augmente leur charge puisque les universités sont sous-financées, les
classes se remplissent et les professeurs ont moins de soutien. Le financement
public des universités, n’est-ce pas une cible que les étudiants dans la rue en
2012 partageaient avec les recteurs ? De plus, les professeurs sont aussi
écrasés sous le poids d’une course aux bourses, dues notamment à une
survalorisation de la recherche en terme réputationel au détriment de l’enseignement.
Mais aussi à la fameuse injonction ; publish
or perish. Enfin, la culture de l’excellence est devenue conditionnelle au
monde universitaire et cela pose la question de savoir si elle bénéficie à la création
de nouvelles connaissances et à la démarche d’apprentissage.
Cette
question reste ouverte. La cible du combat que nous avions tenté de mener en
2012 est toujours d’actualité. Après s’être fait tabassés, poivrés et gazés
nous nous demandons de qu’elle manière provoquer des brèches dans cette
insidieuse subjectivité néolibérale qui s’infiltre comme partout ailleurs dans les
universités, mais aussi dans la condition des étudiants et des professeurs,
ceci sans parler des chargés de cours et du personnel auxiliaire. Cette
question reste ouverte, et doit dépasser la critique pour proposer d’autres
modèles alternatifs.
Par
Olivier Lavoie-Ricard
Dardot,
Pierre et Chritian Laval. La nouvelle
raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, LaDécouverte, pp.
299-306 ; 309-313.
Gravel,
Pauline. « La grande désillusion. Les professeurs d’université broyés par la
recherche de financement et le multitâche », Le Devoir, les samedi 17 et dimanche 18 septembre 2016, B6, [En
ligne : http://www.ledevoir.com/societe/science-et-technologie/480207/recherche-la-grande-desillusion
].
Menger,
Jean-Michel. Portrait de l’artiste en
travailleur. Métamorphoses du capitalisme, Paris, Le Seuil, 2002.
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