lundi 31 octobre 2016

Augmentation du travail à temps partiel & autonomes : bonne nouvelle ?


L’article présenté ici [1] dresse un vif survol de la situation actuelle dans le secteur de l’emploi au Canada et au Québec. Cette dernière souligne que « le marché canadien a affiché le mois dernier une meilleure performance que prévu, avec la création nette de 67 200 emplois. »  (Blatchford, 2016) Bonne nouvelle !

Toutefois, c’est « essentiellement grâce aux emplois à temps partiel et aux travailleurs autonomes » (Blatchford, 2016).  En effet, 44 100 et 23 000 nouveaux emplois sont respectivement des emplois à temps partiel et à temps plein. De plus, il y a 50 100 nouveaux travailleurs autonomes sur le marché au cours du mois de septembre.  Au Québec, la troisième analyse trimestrielle indique que l’emploi a progressé, mais uniquement dans l’emploi à temps partiel.



Trois économistes semblaient se réjouir de ses résultats. Ce n’est pas mon cas.



Il n’est pas surprenant, dans la mouvance des grands changements dans laquelle s’inscrit la nouvelle logique de rationalité de l’entreprise (Dardot & Laval, 2009), de constater que ce sont des emplois à temps partiel qui voient le jour et qu’il y est autant de nouveaux travailleurs autonomes.

En effet, dans l’ère néolibérale de la gestion de l’entreprise, dans les nouvelles formes d’organisation visant la maximisation des profits, il va de soi que davantage d’emplois à temps partiel que de temps plein soient créés. En effet, la fragmentation du marché du travail répond à ce désir des entreprises de réduire le coût de la main-d'œuvre, en offrant plus de postes à temps partiel ou de contrat de travail à des indépendants. De plus, avec la responsabilisation croissante et les demandes toujours plus grandes de performance (Dardot & Laval, 2009), l’employé n’a pas d’autre choix que d’augmenter sa productivité s’il ne veut pas être remplacé par un autre, par la mise en concurrence de plus en plus accrue des salariés entre eux.

 De plus, dans l’ « entreprise néolibérale [2]», caractérisé par une grande flexibilisation, l’emploi de travailleurs autonomes est plus bénéfique puisqu’elle permet aux entreprises d’ajuster selon leurs besoins le nombre de travailleurs embauchés, tout en limitant au maximum les frais (sachant qu’en général, les travailleurs autonomes ont moins d’avantages sociaux). Pas étonnant que les entreprises préfèrent créer des emplois de périphérie que des emplois de cœur (Durand 2004). Les emplois périphériques n’ayant aucune garantie d’emploi, les entreprises sont libres de mettre à pied les travailleurs dès qu’ils n’en ont plus besoin, et d’engager à la pièce des travailleurs indépendants tout en offrant des contrats à l’individu qui sais le mieux se « vendre. »  Cela illustre également l’idée de Durand, selon laquelle ce qui relevait de la périphérie tend de plus en plus à être amené au cœur des systèmes productifs (Durand, 2004; 186). En effet, l’emploi plus important de travailleurs de la périphérie fait en sorte que ce sont ses derniers qui remplissent pas à pas les tâches auparavant remplit par le cœur.  Il en résulte également une plus grande difficulté à entreprendre des actions collectives et une plus difficile syndicalisation par la mise en miette des collectifs de travailleurs (Dardot & Laval, 2009 ; Durand, 2004) (Au profit de l’entreprise, évidemment !)

Sachant que les emplois périphériques, selon Durand, sont précaires et offrent moins de possibilités d’avancement (les entreprises font plutôt miroiter des possibilités d’avancement, mais tributaires d’un succès irréaliste dans un contexte de compétition accru) (Durand, 2004), ce ne sont pas le genre d’emploi d’une société fondée sur les valeurs que sont la solidarité, l’entraide et la réussite collective. (À mon grand dam !)

Dans le contexte où ses nouveaux emplois sont plus précaires, qu’ils peuvent se traduire par une pression de performance toujours plus grande sur l’employer, ainsi qu’une mise en compétition inhumaine entre les individus, tout en réduisant les potentielles actions de mobilisation collectives, la constatation de ces données n’est pas encourageant.

Quelle signification voulons-nous donner au travail ? Dans quels genres de conditions voulons-nous travailler ? Doit-on obéir à la nouvelle logique des entreprises, inspirée du néolibéralisme, qui s’impose comme une réalité plutôt que comme un choix de société (Bourdieu, 1998) ? Nous laisserons nous asservir à cette logique d’imposition de la réalité néolibérale (Durand, 2004) ? L’heure est au questionnement et à la mobilisation.


Félix Lavigne


Références

-          Blatchford, Andy. 2016. « Le Québec affiche les gains les plus importants au Canada », Le devoir, 8 octobre 2016, [En ligne] http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/481862/emploi-le-quebec-affiche-les-gains-les-plus-importants-au-canada (page consultée le 10 octobre 2016)

-          Bourdieu, Pierre. Mars 1998. « L’essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique, Paris.

-          Dardot, Pierre et Christian Laval. 2009. La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, La Découverte, Paris. Pp. 299-306 ; 309-313.

-          Durand, Jean-Pierre. 2004. « Les réformes structurelles de l’entreprise : l’intégration réticulaire et le flux tendu », dans La chaîne invisible, Travailler aujourd’hui : Flux tendu et servitude volontaire, Éditions du Seuil, Paris. Pp. 11-18 ; 175-206.

-          T. Courtrot. 1998. L’entreprise néo-libérale, nouvelle utopie capitaliste. Enquête sur les modes d’organisation du travail, La Découverte, Paris



[1]  http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/481862/emploi-le-quebec-affiche-les-gains-les-plus-importants-au-canada
[2] T. Courtrot, L’entreprise néo-libérale, nouvelle utopie capitaliste. Enquête sur les modes d’organisation du travail, La Découverte, Paris in Dardot, Pierre et Christian Laval. 2009. La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, La Découverte, Paris. Pp. 299-306 ; 309-313

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