L’article présenté ici [1]
dresse un vif survol de la situation actuelle dans le secteur de l’emploi au
Canada et au Québec. Cette dernière souligne que « le marché canadien a affiché
le mois dernier une meilleure performance que prévu, avec la création nette de
67 200 emplois. » (Blatchford,
2016) Bonne nouvelle !
Toutefois, c’est «
essentiellement grâce aux emplois à temps partiel et aux travailleurs autonomes
» (Blatchford, 2016). En effet,
44 100 et 23 000 nouveaux emplois sont respectivement des emplois à
temps partiel et à temps plein. De plus, il y a 50 100 nouveaux
travailleurs autonomes sur le marché au cours du mois de septembre. Au Québec, la troisième analyse trimestrielle
indique que l’emploi a progressé, mais uniquement dans l’emploi à temps
partiel.
Trois économistes semblaient se réjouir de ses
résultats. Ce n’est pas mon cas.
Il n’est pas surprenant, dans la
mouvance des grands changements dans laquelle s’inscrit la nouvelle logique de
rationalité de l’entreprise (Dardot & Laval, 2009), de constater que ce sont
des emplois à temps partiel qui voient le jour et qu’il y est autant de
nouveaux travailleurs autonomes.
En effet, dans l’ère néolibérale
de la gestion de l’entreprise, dans les nouvelles formes d’organisation visant
la maximisation des profits, il va de soi que davantage d’emplois à temps
partiel que de temps plein soient créés. En effet, la fragmentation du marché
du travail répond à ce désir des entreprises de réduire le coût de la
main-d'œuvre, en offrant plus de postes à temps partiel ou de contrat de
travail à des indépendants. De plus, avec la responsabilisation croissante et
les demandes toujours plus grandes de performance (Dardot & Laval, 2009),
l’employé n’a pas d’autre choix que d’augmenter sa productivité s’il ne veut
pas être remplacé par un autre, par la mise en concurrence de plus en plus
accrue des salariés entre eux.
De plus, dans l’ « entreprise néolibérale [2]»,
caractérisé par une grande flexibilisation, l’emploi de travailleurs autonomes
est plus bénéfique puisqu’elle permet aux entreprises d’ajuster selon leurs
besoins le nombre de travailleurs embauchés, tout en limitant au maximum les
frais (sachant qu’en général, les travailleurs autonomes ont moins d’avantages
sociaux). Pas étonnant que les entreprises préfèrent créer des emplois de périphérie que des emplois de cœur (Durand 2004). Les emplois
périphériques n’ayant aucune garantie d’emploi, les entreprises sont libres de
mettre à pied les travailleurs dès qu’ils n’en ont plus besoin, et d’engager à
la pièce des travailleurs indépendants tout en offrant des contrats à
l’individu qui sais le mieux se « vendre. »
Cela illustre également l’idée de Durand, selon laquelle ce qui relevait
de la périphérie tend de plus en plus à être amené au cœur des systèmes
productifs (Durand, 2004; 186). En effet, l’emploi plus important de
travailleurs de la périphérie fait en
sorte que ce sont ses derniers qui remplissent pas à pas les tâches auparavant
remplit par le cœur. Il en résulte également une plus grande
difficulté à entreprendre des actions collectives et une plus difficile
syndicalisation par la mise en miette des collectifs de travailleurs (Dardot
& Laval, 2009 ; Durand, 2004) (Au profit de l’entreprise, évidemment !)
Sachant que les emplois
périphériques, selon Durand, sont précaires et offrent moins de possibilités
d’avancement (les entreprises font plutôt miroiter des possibilités
d’avancement, mais tributaires d’un succès irréaliste dans un contexte de
compétition accru) (Durand, 2004), ce ne sont pas le genre d’emploi d’une
société fondée sur les valeurs que sont la solidarité, l’entraide et la
réussite collective. (À mon grand dam !)
Dans le contexte où ses nouveaux
emplois sont plus précaires, qu’ils peuvent se traduire par une pression de
performance toujours plus grande sur l’employer, ainsi qu’une mise en
compétition inhumaine entre les individus, tout en réduisant les potentielles
actions de mobilisation collectives, la constatation de ces données n’est pas
encourageant.
Quelle signification voulons-nous donner au travail
? Dans quels genres de conditions voulons-nous travailler ? Doit-on obéir à la
nouvelle logique des entreprises, inspirée du néolibéralisme, qui s’impose
comme une réalité plutôt que comme un choix de société (Bourdieu, 1998) ? Nous
laisserons nous asservir à cette logique d’imposition de la réalité néolibérale
(Durand, 2004) ? L’heure est au questionnement et à la mobilisation.
Félix Lavigne
Références
-
Blatchford, Andy. 2016. « Le Québec affiche les
gains les plus importants au Canada », Le
devoir, 8 octobre 2016, [En ligne] http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/481862/emploi-le-quebec-affiche-les-gains-les-plus-importants-au-canada
(page consultée le 10 octobre 2016)
-
Bourdieu, Pierre. Mars 1998. « L’essence du
néolibéralisme », Le Monde diplomatique,
Paris.
-
Dardot, Pierre et Christian Laval. 2009. La nouvelle raison du monde. Essai sur la
société néolibérale, La Découverte, Paris. Pp. 299-306 ; 309-313.
-
Durand, Jean-Pierre. 2004. « Les réformes
structurelles de l’entreprise : l’intégration réticulaire et le flux tendu »,
dans La chaîne invisible, Travailler aujourd’hui : Flux tendu et servitude
volontaire, Éditions du Seuil, Paris. Pp. 11-18 ; 175-206.
-
T. Courtrot. 1998. L’entreprise néo-libérale, nouvelle utopie capitaliste. Enquête sur les
modes d’organisation du travail, La Découverte, Paris
[1]
http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/481862/emploi-le-quebec-affiche-les-gains-les-plus-importants-au-canada
[2]
T. Courtrot,
L’entreprise néo-libérale, nouvelle
utopie capitaliste. Enquête sur les modes d’organisation du travail, La
Découverte, Paris in Dardot, Pierre
et Christian Laval. 2009. La nouvelle
raison du monde. Essai sur la société néolibérale, La Découverte, Paris.
Pp. 299-306 ; 309-313
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