La hausse du salaire minimum : un cordial
dissensus !
Dans
un pamphlet qu’il a publié récemment, le sociologie Alain Accardo avance que
bien souvent les débats publics contradictoires constitueraient :
la
part fonctionnelle de dissensus dont le régime [capitaliste] a besoin pour
s’affirmer démocratique, dans la mesure où elle focalise l’attention et
l’énergie des populations sur les difficultés nées de l’application des principes,
tout en maintenant ces principes eux-mêmes hors du champ de la discussion
légitime 1.
Le récent débat public sur l’augmentation du
salaire minimum à 15$ de l’heure au Québec en est la preuve. Renchéri depuis
l’adoption en Alberta du plan qui permettra l’augmentation progressivement du
salaire minimum à 15 $ de l’heure2, ce « débat public » (ou plus
sérieusement ce débat entre les groupes légitimés socialement pour prendre la
parole en public) peut être résumé en quelques principales positions : le gouvernement,
en la personne de son Ministre des finances, sans rentrer dans ses arguties,
juge approprié le salaire minimum en vigueur au Québec3. Quant aux
patrons, si on exclue l’homme d’affaires Alexandre
Taillefer plaidant pour son augmentation au nom de
la « décence »4 (car ce n’est pas avoir à sa merci des hommes et des
femmes qui serait indécent mais c’est de travailler 40 heures par semaine et «
de ne pas y arriver» ), la plupart des patrons au Canada et autres
thuriféraires du discours économique dominant pensent intelligemment que les
petites entreprises souffriraient de l’adoption d’une telle politique publique
ou que sa mise en œuvre aura un impact négatif sur l’emploi ou encore, créera
de l’inflation et plus que tout, ce débat non basé sur les faits, relève de
l’idéologie 5. À l’opposé, les groupes syndicaux plaident
naturellement pour la hausse du salaire minimum à 15$. D’ailleurs, la CSN
invite les politiques à « descendre de
[leur] tour d'ivoire pour voir comment vivent les milliers de familles qui sont
incapables de sortir de la pauvreté même si les parents travaillent à temps plein
6 ». Dans
la même veine d’idées, les chercheurs de L’institut de recherches et
d’informations socioéconomiques (IRIS), avancent que l’adoption d’un salaire
minimum à 15$ /heure serait un « salaire viable »7 pour les
travailleurs à temps plein. En d’autres termes, ce taux permettrait à tout un
pan de la population de subvenir à leurs besoins de base et de participer
minimalement à la vie culturelle et économique de leur communauté. En dans
termes moins jargonneux, fixer le salaire minimum à 15,10 $ permettraient à
d’autres individus de consommer plus (même les plus progressistes pensent en
des termes capitalistes, drôle d’hétérodoxie !).
Ceci dit, il faudrait être insensé pour ne pas reconnaître
que dans la société travailliste dans laquelle nous sommes jetés, l’augmentation
du salaire minimum permettrait à de nombreux ménages de subvenir à leurs
besoins de base, toutes choses étant égales par ailleurs. Mais telle n’est pas
la question : ce qu’il faut constater, outre le
fait qu’en amont ce débat (contradictoire qu’en apparence) évacue la mise en
question de la légitimité d’une organisation sociale permettant à un groupe
restreint d’humains (les 1% diront les ferreux en maths) d’exploiter leurs semblables,
celui-ci ne tient pas compte des tares et des nombreuses contradictions du
régime salarial en lui-même.
Ainsi
donc, il est tout à fait légitime de questionner en quoi la hausse d’un salaire
minimum augmenterait substantiellement les revenus des travailleurs travaillant
à temps partiel et de façon discontinue sur l’année (situation dans laquelle se
trouvent particulièrement des jeunes et des femmes), en quoi celle-ci rendrait
moins précaires certains emplois déjà faiblement rémunérés, en quoi elle
réduirait la souffrance, le stress au travail et la pénibilité de certaines tâches.
Ou encore, il faudrait nous démontrer en quoi serait-elle un meilleur outil de
redistribution des richesses constatant la hausse exponentielle depuis quelques
années des revenus des actionnaires des grandes corporations et aussi, en quoi
la hausse du salaire minimum, avec l’effritement de l’État providence,
réduirait les disparités sociales considérant que les écarts entre les emplois à
faible revenus ( serveurs, personnel de soutien de vente etc.) et ceux aux
gains les plus élevés ( hauts cadres, gestionnaires etc.) ne cessent de
s’agrandir.
Qui
plus est, le débat sur l’augmentation ou non du salaire minimum évacue la
question écologique : implicitement c’est une logique de consommation qui
la sous-tend. En fait, il s’agit de permettre à d’autres catégories sociales
d’avoir accès aux produits de la société capitaliste (et par là, de se conformer
de plus en plus aux normes de consommation bourgeoises) sans questionner l’impact
qu’a déjà cette surconsommation sur l’environnement. Ainsi, en ne visant
qu’apporter des changements ponctuels, l’augmentation du salaire minimum à 15 $
/heure (pourquoi pas à 18 $ ou à 20 $ ?) serait une « imposture réformiste »
: une nécessaire concession qui permettrait au système de continuer à fonctionner
8.
Tout
compte fait, ce débat sur le salaire minimum nous aura au moins appris une
chose : l’économie semble devenir la grille d’analyse prédominante de l’homme
occidental le faisant appréhender les problèmes sociaux ainsi que leurs
résolutions à partir « d’un universel économique » selon le mot de Serge Latouche
9. Tout se passe comme si le régime capitaliste apparaîtrait comme
notre horizon indépassable trahissant ainsi notre incapacité à penser une autre
société avec d’autres modalités de redistribution de la richesse sociale.
À
quand le prochain vrai débat subversif ?
Lensley Dave DAUPHIN
(étudiant du SOL 2015)
Références
1.
ACCARDO, A. (2009). Le
petit-bourgeois gentilhomme. Sur les prétentions hégémoniques des classes
moyennes, Marseille, Agone, coll. « Contre-feux », p.45
2.
RETTINO-PARALELLI, K.
(2016). « Salaire minimum- 15 $ l’heure : au Canada, l’Alberta donne le
ton », Le Devoir, 14 septembre, p. B1-
B2.
3.
Ibid.
4.
RÉMILLARD, D. (2016). « Les
10,75 $ actuels suffisent, dit Leitão », Le
Soleil, vol.120, n0 226, p.4.
5.
RETTINO-PARALELLI, K., op.cit.
6.
RÉMILLARD, D. op.cit.
7.
HURTEAU, P. et M. NGUYEN
(2016). Les conditions d’un salaire
viable au Québec en 2016 ? Calculs pour Montréal, Québec, Trois-Rivières,
Saguenay et Sept-Îles, Montréal, Institut de recherches et d’informations
socioéconomiques, 8 p.
8.
ACCARDO, A., op.cit., p.119.
9.
LATOUCHE, S. (2001). La déraison de la raison économique. Du
délire d’efficacité au principe de précaution, Paris, Albin Michel, 221 p.
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