dimanche 2 octobre 2016

La hausse du salaire minimum : un cordial dissensus !

Dans un pamphlet qu’il a publié récemment, le sociologie Alain Accardo avance que bien souvent les débats publics contradictoires constitueraient :

 la part fonctionnelle de dissensus dont le régime [capitaliste] a besoin pour s’affirmer démocratique, dans la mesure où elle focalise l’attention et l’énergie des populations sur les difficultés nées de l’application des principes, tout en maintenant ces principes eux-mêmes hors du champ de la discussion légitime 1
 
 Le récent débat public sur l’augmentation du salaire minimum à 15$ de l’heure au Québec en est la preuve. Renchéri depuis l’adoption en Alberta du plan qui permettra l’augmentation progressivement du salaire minimum à 15 $ de l’heure2, ce « débat public » (ou plus sérieusement ce débat entre les groupes légitimés socialement pour prendre la parole en public) peut être résumé en quelques principales positions : le gouvernement, en la personne de son Ministre des finances, sans rentrer dans ses arguties, juge approprié le salaire minimum en vigueur au Québec3. Quant aux patrons, si on exclue l’homme d’affaires Alexandre Taillefer plaidant pour son augmentation au nom de la « décence »4 (car ce n’est pas avoir à sa merci des hommes et des femmes qui serait indécent mais c’est de travailler 40 heures par semaine et « de ne pas y arriver» ), la plupart des patrons au Canada et autres thuriféraires du discours économique dominant pensent intelligemment que les petites entreprises souffriraient de l’adoption d’une telle politique publique ou que sa mise en œuvre aura un impact négatif sur l’emploi ou encore, créera de l’inflation et plus que tout, ce débat non basé sur les faits, relève de l’idéologie 5. À l’opposé, les groupes syndicaux plaident naturellement pour la hausse du salaire minimum à 15$. D’ailleurs, la CSN invite les politiques à « descendre de [leur] tour d'ivoire pour voir comment vivent les milliers de familles qui sont incapables de sortir de la pauvreté même si les parents travaillent à temps plein 6 ».  Dans la même veine d’idées, les chercheurs de L’institut de recherches et d’informations socioéconomiques (IRIS), avancent que l’adoption d’un salaire minimum à 15$ /heure serait un « salaire viable »7 pour les travailleurs à temps plein. En d’autres termes, ce taux permettrait à tout un pan de la population de subvenir à leurs besoins de base et de participer minimalement à la vie culturelle et économique de leur communauté. En dans termes moins jargonneux, fixer le salaire minimum à 15,10 $ permettraient à d’autres individus de consommer plus (même les plus progressistes pensent en des termes capitalistes, drôle d’hétérodoxie !).

Ceci dit, il faudrait être insensé pour ne pas reconnaître que dans la société travailliste dans laquelle nous sommes jetés, l’augmentation du salaire minimum permettrait à de nombreux ménages de subvenir à leurs besoins de base, toutes choses étant égales par ailleurs. Mais telle n’est pas la question : ce qu’il faut constater, outre le fait qu’en amont ce débat (contradictoire qu’en apparence) évacue la mise en question de la légitimité d’une organisation sociale permettant à un groupe restreint d’humains (les 1% diront les ferreux en maths) d’exploiter leurs semblables, celui-ci ne tient pas compte des tares et des nombreuses contradictions du régime salarial en lui-même.

Ainsi donc, il est tout à fait légitime de questionner en quoi la hausse d’un salaire minimum augmenterait substantiellement les revenus des travailleurs travaillant à temps partiel et de façon discontinue sur l’année (situation dans laquelle se trouvent particulièrement des jeunes et des femmes), en quoi celle-ci rendrait moins précaires certains emplois déjà faiblement rémunérés, en quoi elle réduirait la souffrance, le stress au travail et la pénibilité de certaines tâches. Ou encore, il faudrait nous démontrer en quoi serait-elle un meilleur outil de redistribution des richesses constatant la hausse exponentielle depuis quelques années des revenus des actionnaires des grandes corporations et aussi, en quoi la hausse du salaire minimum, avec l’effritement de l’État providence, réduirait les disparités sociales considérant que les écarts entre les emplois à faible revenus ( serveurs, personnel de soutien de vente etc.) et ceux aux gains les plus élevés ( hauts cadres, gestionnaires etc.) ne cessent de s’agrandir.

Qui plus est, le débat sur l’augmentation ou non du salaire minimum évacue la question écologique : implicitement c’est une logique de consommation qui la sous-tend. En fait, il s’agit de permettre à d’autres catégories sociales d’avoir accès aux produits de la société capitaliste (et par là, de se conformer de plus en plus aux normes de consommation bourgeoises) sans questionner l’impact qu’a déjà cette surconsommation sur l’environnement. Ainsi, en ne visant qu’apporter des changements ponctuels, l’augmentation du salaire minimum à 15 $ /heure (pourquoi pas à 18 $ ou à 20 $ ?) serait une « imposture réformiste » : une nécessaire concession qui permettrait au système de continuer à fonctionner 8.

Tout compte fait, ce débat sur le salaire minimum nous aura au moins appris une chose : l’économie semble devenir la grille d’analyse prédominante de l’homme occidental le faisant appréhender les problèmes sociaux ainsi que leurs résolutions à partir « d’un universel économique » selon le mot de Serge Latouche 9. Tout se passe comme si le régime capitaliste apparaîtrait comme notre horizon indépassable trahissant ainsi notre incapacité à penser une autre société avec d’autres modalités de redistribution de la richesse sociale.
À quand le prochain vrai débat subversif ?

Lensley Dave DAUPHIN (étudiant du SOL 2015)

Références
1.             ACCARDO, A. (2009). Le petit-bourgeois gentilhomme. Sur les prétentions hégémoniques des classes moyennes, Marseille, Agone, coll. « Contre-feux », p.45
2.             RETTINO-PARALELLI, K. (2016). « Salaire minimum- 15 $ l’heure : au Canada, l’Alberta donne le ton », Le Devoir, 14 septembre, p. B1- B2.
3.             Ibid.
4.             RÉMILLARD, D. (2016). « Les 10,75 $ actuels suffisent, dit Leitão », Le Soleil, vol.120, n0 226, p.4.
5.             RETTINO-PARALELLI, K., op.cit.
6.             RÉMILLARD, D. op.cit.
7.             HURTEAU, P. et M. NGUYEN (2016). Les conditions d’un salaire viable au Québec en 2016 ? Calculs pour Montréal, Québec, Trois-Rivières, Saguenay et Sept-Îles, Montréal, Institut de recherches et d’informations socioéconomiques, 8 p.
8.             ACCARDO, A., op.cit., p.119.
9.             LATOUCHE, S. (2001). La déraison de la raison économique. Du délire d’efficacité au principe de précaution, Paris, Albin Michel, 221 p.

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