Le
9 septembre 2016, environ 24 000 prisonnier-e-s américain-e-s ont déclaré la
grève. Cette mobilisation a touché approximativement 29 prisons américaines
dans une vingtaine d'États du pays[1]. Actuellement,
cet événement, constitue la plus grande grève des prisonnier-e-s de l'histoire
et se distingue par son caractère international[2]. Néanmoins,
depuis quelques semaines, le mouvement tend à s'essouffler et on estime
qu'environ 11 prisons sont toujours actives[3]
dans la lutte. L'organisation de ce soulèvement est coordonnée par plusieurs
organisations telles que le Free Alabama Movement et le Incarcerated Workers
Organizing Committee (affilié au IWW). Les formes d'actions déployées par les
grévistes sont variées, de la grève de la faim à l'arrêt de travail, sans
compter le support que leur accorde certains groupes de la société civile en
organisant des manifestations ainsi que des actions ciblées contre des grandes
entreprises qui exploitent les personnes incarcérées.
Pourquoi
fait-on la grève derrière les barreaux? Dans le spectre du précariat, invisible
et complètement à la marge de la société salariale, les détenu-e-s représentent
une frange incontestable de la cheap
labor. On estime qu'il y a environ 2,3 millions de détenu-e-s aux USA et les
prisons étatsuniennes emploient environ 800 000 personnes[4].
La rémunération des prisonnier-e-s est variable selon le type de prison - centre
de détention, prison fédérale ou prison des États fédérés - et se situe généralement entre 12 et 40 cents
de l'heure[5]. De
plus, dans plusieurs États, par exemple dans l'État du Texas et de l'Arkansas,
les travailleurs et travailleuses incarcéré-e-s n'ont aucun salaire. Ainsi, la
prison est le lieu de recrutement idéal de la grande entreprise. Les multinationales
ont donc accès à une « armée de réserve » cheap et docilisée (Bourdieu) pour « faire faire » les activités à faible
valeur ajoutée, celles qui sont arrivées au stade de la maturité, donc peu
porteuses d'innovations (Durand). À cet égard, une multitude d'entreprises œuvrant
dans différents secteurs de l'économie ont recours à la sous-traitance des
prisonnier-e-s, voici quelques exemples: Bank of America, Bayer, Costco, John
Deere, McDonalds, Microsoft, Motorola, Nintendo, Pepsi, Starbucks, UPS,
Verizon, Wal-Mart[6].
Dans
le même ordre d'idées, l'industrie carcérale s'avère être un cas frappant où se
juxtapose une division sociale ainsi qu'une division sexuelle du travail. Si
nous considérons la place occupée par les personnes noires dans l'histoire de l'esclavage
aux États-Unis, il est possible d'envisager la prison comme une forme moderne
d'esclavage[7]
(racisme institutionnalisé), un environnement dans lequel circule et se
réactualise des rapports de dominations imbriqués. « Loin d'être uniforme, le risque d'être emprisonné est en effet très
différencié du point de vue de la race, du genre et de la classe. […]
pour les hommes noirs sans diplôme, la probabilité d'être incarcéré au cours de
leur existence a été évalué à 60 %[8]». Les
hommes noirs représentent 37 % de la population totale des hommes incarcérés au
sein des prisons américaines (516 900 individus) et leur taux d'emprisonnement
est supérieur à tout les autres groupes d'hommes[9]. Par
conséquent, les prisons sont structurantes d'un stigmate pénal, qui affecte
particulièrement les hommes pauvres et non blancs. Cette étiquette que procure
la prison peut être un facteur déterminant dans la mesure où celle-ci peut
contribuer à masquer les qualifications acquises par les travailleurs et
travailleuses lors de leur période d'incarcération. Enfin, sous divers angles, nous
pouvons nous questionner sur le rôle des prisons aujourd'hui, qui ressemblent
de plus en plus à fabriques du diable. Comme le souligne Polanyi, peu de choses
semblent pouvoir échapper à la logique autorégulatrice du marché!
Anthony Desbiens
Anthony Desbiens
[1]Les chiffres varient selon les
médias, j'ai utilisé ceux de l'IWOC, qui sont disponibles à l'adresse suivante:
https://iwoc.noblogs.org/
[2] Plusieurs actions en solidarité
avec les travailleurs et travailleuses américain-e-s ont eu lieu dans
différents pays: Allemagne, Angleterre, Australie,
Canada, Grèce et Mexique. Si cela vous intéresse, le réseau It's Going Down (IGD) a répertorié
l'ensemble des actions coordonnées sur le plan national et international depuis
le début de la grève. https://itsgoingdown.org/prisonstrike-resistance-to-slavery-across-the-world/
[3] Voir l'article de VICE News à ce
sujet: https://news.vice.com/article/we-spoke-to-the-inmate-in-solitary-who-inspired-a-national-strike-against-modern-day-slave-conditions
[4] Duvoux, Nicolas. Prison: le contre-exemple américain, Le
Monde, 10 juillet 2014, http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/06/29/prison-le-contre-exemple-americain_4447501_3224.html
[5] Kutsch, Tom. Inmates
strike in prisons nationwide over 'slave labor' working conditions, The
Guardian, 9 septembre 2016, https://www.theguardian.com/us-news/2016/sep/09/us-nationwide-prison-strike-alabama-south-carolina-texas
[6]
Collectif Emma Goldman. Dossier Prison
Strike: Esclavage made in USA, 18 septembre 2016, http://ucl-saguenay.blogspot.ca/2016/09/dossier-prison-strike-esclavage-made-in.html
[7]
La professeure et militante Angela Davis met en exergue l'importance du 13ième
amendement à propos de la question de l'esclavage, dans la mesure où celui-ci a
permis l'émergence d'un nouveau système de punition racialisé. Cet amendement
stipule que « ni
esclavage ni servitude involontaire, si ce n’est en punition d’un crime dont le
coupable aura été dûment condamné, n’existeront aux États-Unis ni dans aucun
des lieux soumis à leur juridiction. » Voir Duclos,
Baptiste. Angela Davis: L'industrie
carcérale aux États-Unis n'est que le prolongement de l'esclavage, The
Dissident, 28 juillet 2015, http://the-dissident.eu/6414/angela-davis-lindustrie-carcerale-aux-etats-unis-nest-que-le-prolongement-de-lesclavage/
[8] Duvoux, Nicolas. Prison: le contre-exemple américain […]
[9] Bureau of Justice Statistics. Prisoners in 2014, septembre 2015, p. 15, http://www.bjs.gov/content/pub/pdf/p14.pdf
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