Le 22 octobre
dernier, le journal La Presse rapportait les paroles de Bill Morneau, qui
disait que : « Les Canadiens devront s'habituer aux emplois
«mobiles», aux contrats temporaires et à plusieurs changements de carrière dans
leur vie personnelle ».[1] Le
ministre canadien des finances se posait quelques questions à ce sujet, dont la
principale est : « Comment devons-nous former ou reformer les
citoyens lorsqu'ils passent d'un emploi à l'autre? Parce que ça va se produire.
Nous devons l'accepter».[2]
Nous devons accepter quoi, au
juste? Que la précarité est devenue une fatalité au Canada? Que le gouvernement
a baissé les bras devant la centrifugation de l'emploi vers les marchés
périphériques du travail chère à Durand et a décidé de « laisser faire » la
machine néolibérale, comme pensait Bourdieu.[3] Ou
bien peut-être participe-t-il activement à ce processus, comme le pensait
Dardot et Laval?[4]
Cette question, Morneau ne la laisse pas en suspens. « Pour lui, les
changements apportés au Régime de pensions du Canada est un exemple et un acte
de «reconnaissance que les Canadiens ne bénéficieront pas des mêmes avantages»
que les générations antérieures. »[5]
En effet, le régime de pensions
du Canada sera bonifié à partir de 2019 et sera plus généreux pour les
personnes retraitées. Mais il leur coutera aussi plus cher. À terme, c’est 34$
de plus par mois que les travailleurs devront payer en plus. La précarité à un
prix que l’entreprise privée refuse de payer. La facture est refilée à l’État,
qui la refile, en partie du moins, aux travailleurs qui doivent accepter aussi
la précarité.
Cette déclaration arrive
quelques jours après la mise en application des nouvelles règles concernant les
prêts hypothécaires. Dans le devoir du 15 octobre dernier, Gérard Bérubé
expliquait que les buts de la mesure étaient multiples : « protéger
l’acheteur trop endetté contre sa propre impulsion d’acheter trop gros, trop
cher, resserrer la protection des portefeuilles de prêts hypothécaires assurés,
éviter une secousse à la « subprime » advenant une hausse des taux d’intérêt,
et répartir les risques liés aux prêts hypothécaires assurés par la Société
canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). »[6] La
faute est rejetée sur l’acheteur, trop impulsif, selon l’auteur pour mesurer
ses actes. Le marché est capable de s’autoréguler, le consommateur, non, selon
ce point de vue. D’ailleurs, cette autorégulation du consommateur, n’est pas
réellement souhaitable dans le système économique actuel. La mesure du
gouvernement vise à contenir ce système mais non pas en limitant les pratiques
de l’entreprise privée, mais bien en restreignant davantage les individus. Quant
à la répartition des risques, elle se fait entre l’acheteur et l’État, par le
biais de la SCHL.
Ces nouvelles règles, mises en
place par le même Bill Morneau auront pour conséquence de rendre plus difficile
l’achat d’une propriété selon Sal Guatieri, économiste à la Banque de Montréal :
« Avec cette mesure, il
serait plus difficile aux acheteurs d'être admissibles à un prêt, spécialement
dans les régions où les prix de l'immobilier sont élevés »[7]
La propriété privée file davantage entre les doigts des contribuables et
devient de plus en plus inaccessible. Interrogé à propos des conséquences de
cette nouvelles mesure du gouvernement fédéral, le ministre des finances du
Québec, Carlos Leitao, a déclaré : « Les nouveaux acheteurs
n'auront qu'à s'ajuster aux nouvelles règles ».[8]
Il ne faut donc pas compter sur le provincial non plus dans ce dossier.
Que
peut-on faire quand on se retrouve dans une telle situation? D’un côté, on rend
plus difficile l’accès à une propriété par manque de moyen, alors que de l’autre,
on fait la même chose en rendant l’emprunt plus difficile. Le cumul d’emploi
devient souvent la seule façon de s’en tirer. Mais encore là, il y des risques
pour le travailleur : l’épuisement. Aussi, certains employeurs
interdissent le cumul d’emploi à leurs employés. Mais ce qu’on peut retenir des
décisions du nouveau ministre des finances du Canada, c’est qu’il participe –
inconsciemment, peut-être – à la dynamique de flexibilisation des marchés du
travail et à la précarisation générale des habitants du pays. Donc, que peut-on
faire dans une telle situation? La réponse est simple pour Bill Morneau et
Carlos Leitao. Nos deux ministres des finances nous disent : « Faites-vous
à l’idée... »
[1] La Presse (2016) La précarité continuera de toucher les Canadiens, dit
Morneau in La Presse, 22 octobre
2016, consulté en ligne le 25 octobre 2016 à l’URL http://affaires.lapresse.ca/economie/canada/201610/22/01-5033229-la-precarite-continuera-de-toucher-les-canadiens-dit-morneau.php#
[2] Ibid.
[3] Bourdieu, P. (1998). L'essence du néolibéralisme in Le Monde diplomatique consulté en ligne le 25 octobre 2016 à l’URL http://www.monde-diplomatique.fr/1998/03/BOURDIEU/3609
[4] Dardot, P., & Laval, C. (2009). La nouvelle raison du monde: Essai
sur la société́ néolibérale. Paris: Découverte
[5] La Presse (2016) La précarité
continuera de toucher les Canadiens, dit Morneau in La Presse, 22 octobre 2016,
consulté en ligne le 25 octobre 2016 à l’URL http://affaires.lapresse.ca/economie/canada/201610/22/01-5033229-la-precarite-continuera-de-toucher-les-canadiens-dit-morneau.php#
[6] Bérubé, G. (2016) Place aux nouvelles règles in Le Devoir, 15 octobre 2016 consulté en ligne le 25 octobre à l’URL hypothécaireshttp://www.ledevoir.com/economie/finances-personnelles/482333/vos-finances-place-aux-nouvelles-regles-hypothecaires
[7] Ottawa renforce les exigences hypothécaires et les règles pour les
étrangers in La Presse, 22 octobre
2016, consulté en ligne le 25 octobre 2016 à l’URL http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/Economie/2016/10/03/001-marche-immobilier-canadien-ministre-finances-bill-morneau-acheteurs-etrangers-speculation-taxation.shtml
[8] Bergeron, P. (2016) Hypothèques: les acheteurs devront s'ajuster aux
changements, dit Leitao in La Presse,
18 octobre 2016, consulté en ligne le 25 octobre 2016 à l’URL
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