mardi 25 octobre 2016

Faites vous à l'idée!

Le 22 octobre dernier, le journal La Presse rapportait les paroles de Bill Morneau, qui disait que : « Les Canadiens devront s'habituer aux emplois «mobiles», aux contrats temporaires et à plusieurs changements de carrière dans leur vie personnelle ».[1] Le ministre canadien des finances se posait quelques questions à ce sujet, dont la principale est : « Comment devons-nous former ou reformer les citoyens lorsqu'ils passent d'un emploi à l'autre? Parce que ça va se produire. Nous devons l'accepter».[2]
                Nous devons accepter quoi, au juste? Que la précarité est devenue une fatalité au Canada? Que le gouvernement a baissé les bras devant la centrifugation de l'emploi vers les marchés périphériques du travail chère à Durand et a décidé de « laisser faire » la machine néolibérale, comme pensait Bourdieu.[3] Ou bien peut-être participe-t-il activement à ce processus, comme le pensait Dardot et Laval?[4] Cette question, Morneau ne la laisse pas en suspens. « Pour lui, les changements apportés au Régime de pensions du Canada est un exemple et un acte de «reconnaissance que les Canadiens ne bénéficieront pas des mêmes avantages» que les générations antérieures. »[5]
                En effet, le régime de pensions du Canada sera bonifié à partir de 2019 et sera plus généreux pour les personnes retraitées. Mais il leur coutera aussi plus cher. À terme, c’est 34$ de plus par mois que les travailleurs devront payer en plus. La précarité à un prix que l’entreprise privée refuse de payer. La facture est refilée à l’État, qui la refile, en partie du moins, aux travailleurs qui doivent accepter aussi la précarité.
                Cette déclaration arrive quelques jours après la mise en application des nouvelles règles concernant les prêts hypothécaires. Dans le devoir du 15 octobre dernier, Gérard Bérubé expliquait que les buts de la mesure étaient multiples : « protéger l’acheteur trop endetté contre sa propre impulsion d’acheter trop gros, trop cher, resserrer la protection des portefeuilles de prêts hypothécaires assurés, éviter une secousse à la « subprime » advenant une hausse des taux d’intérêt, et répartir les risques liés aux prêts hypothécaires assurés par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). »[6] La faute est rejetée sur l’acheteur, trop impulsif, selon l’auteur pour mesurer ses actes. Le marché est capable de s’autoréguler, le consommateur, non, selon ce point de vue. D’ailleurs, cette autorégulation du consommateur, n’est pas réellement souhaitable dans le système économique actuel. La mesure du gouvernement vise à contenir ce système mais non pas en limitant les pratiques de l’entreprise privée, mais bien en restreignant davantage les individus. Quant à la répartition des risques, elle se fait entre l’acheteur et l’État, par le biais de la SCHL.
                Ces nouvelles règles, mises en place par le même Bill Morneau auront pour conséquence de rendre plus difficile l’achat d’une propriété selon Sal Guatieri, économiste à la Banque de Montréal : « Avec cette mesure, il serait plus difficile aux acheteurs d'être admissibles à un prêt, spécialement dans les régions où les prix de l'immobilier sont élevés »[7] La propriété privée file davantage entre les doigts des contribuables et devient de plus en plus inaccessible. Interrogé à propos des conséquences de cette nouvelles mesure du gouvernement fédéral, le ministre des finances du Québec, Carlos Leitao, a déclaré : « Les nouveaux acheteurs n'auront qu'à s'ajuster aux nouvelles règles ».[8] Il ne faut donc pas compter sur le provincial non plus dans ce dossier.
                Que peut-on faire quand on se retrouve dans une telle situation? D’un côté, on rend plus difficile l’accès à une propriété par manque de moyen, alors que de l’autre, on fait la même chose en rendant l’emprunt plus difficile. Le cumul d’emploi devient souvent la seule façon de s’en tirer. Mais encore là, il y des risques pour le travailleur : l’épuisement. Aussi, certains employeurs interdissent le cumul d’emploi à leurs employés. Mais ce qu’on peut retenir des décisions du nouveau ministre des finances du Canada, c’est qu’il participe – inconsciemment, peut-être – à la dynamique de flexibilisation des marchés du travail et à la précarisation générale des habitants du pays. Donc, que peut-on faire dans une telle situation? La réponse est simple pour Bill Morneau et Carlos Leitao. Nos deux ministres des finances nous disent : « Faites-vous à l’idée... »




[1] La Presse (2016) La précarité continuera de toucher les Canadiens, dit Morneau in La Presse, 22 octobre 2016, consulté en ligne le 25 octobre 2016 à l’URL http://affaires.lapresse.ca/economie/canada/201610/22/01-5033229-la-precarite-continuera-de-toucher-les-canadiens-dit-morneau.php#
[2] Ibid.
[3] Bourdieu, P. (1998). L'essence du néolibéralisme in Le Monde diplomatique consulté en ligne le 25 octobre 2016 à l’URL http://www.monde-diplomatique.fr/1998/03/BOURDIEU/3609
[4] Dardot, P., & Laval, C. (2009). La nouvelle raison du monde: Essai sur la société́ néolibérale. Paris: Découverte
[5]   La Presse (2016) La précarité continuera de toucher les Canadiens, dit Morneau in La Presse, 22 octobre 2016, consulté en ligne le 25 octobre 2016 à l’URL http://affaires.lapresse.ca/economie/canada/201610/22/01-5033229-la-precarite-continuera-de-toucher-les-canadiens-dit-morneau.php#
[6] Bérubé, G. (2016) Place aux nouvelles règles in Le Devoir, 15 octobre 2016 consulté en ligne le 25 octobre à l’URL hypothécaireshttp://www.ledevoir.com/economie/finances-personnelles/482333/vos-finances-place-aux-nouvelles-regles-hypothecaires
[7] Ottawa renforce les exigences hypothécaires et les règles pour les étrangers in La Presse, 22 octobre 2016, consulté en ligne le 25 octobre 2016 à l’URL http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/Economie/2016/10/03/001-marche-immobilier-canadien-ministre-finances-bill-morneau-acheteurs-etrangers-speculation-taxation.shtml
[8] Bergeron, P. (2016) Hypothèques: les acheteurs devront s'ajuster aux changements, dit Leitao in La Presse, 18 octobre 2016, consulté en ligne le 25 octobre 2016 à l’URL

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