L’image idyllique de la plus grande enseigne de
jouets mondiale semble quelques peu se fissurer ces derniers temps. Si, comme
le montre le journal Challenges dans son article « Le miracle de la
renaissance Lego », l’entreprise ne s’est jamais aussi bien portée depuis
sa création en 1949, de récentes révélations faites par le quotidien
Jyllands-Posten dans un article intitulé « Lego ansatte lider under
succesen » (comprendre : les employés de Lego victime du succès)
viennent quelques peu ternir le modèle danois représenté jusque ici à merveille
par sa firme de jouets.
Pour comprendre le malaise dont fait état le
Jyllands-Posten il faut avant tout resituer l’histoire récente de Lego. Au bord
du gouffre il y a encore un peu moins de dix ans, l’entreprise a même touché le
fond en 2004, affichant des pertes à hauteur de 242 millions de dollars, les
conséquences sont immédiates et se traduisent par la suppression de centaines
de postes pendant plusieurs années. Pour relancer la machine, Jorg Vig
Knudstorp, premier patron nommé n’appartenant pas à la famille fondatrice de la
marque, revient aux fondamentaux qui ont fait le succès de la firme. Ainsi
l’accent est mis sur un marketing honnête, la fin de la diversification à
outrance dans des domaines connexes (vêtements, parcs d’attraction) au profit
d’un investissement colossal dans les licences (Star Wars, Harry Potter) en
partenariat avec d’autres géants du divertissement tels que Disney ou Warner.
En recentrant sa politique exclusivement sur la petite brique, Lego se permet
de proposer une gamme bien plus large, ainsi quand « les marques
renouvellent 30% de leur gamme chaque année, chez Lego, c’est 60% »
explique Gilles Mollard, directeur de Toys « R » Us France dans
Challenges. Alors que la majeure partie de ses brevets a expiré, Lego a su
tabler sur une véritable communauté de consommateurs. Pour l’instant donc, la
marque assure ses arrières, les bénéfices ont ainsi été multipliés par 28
durant les huit dernières années et le chiffre d’affaires a quant à lui plus
que quadruplé si l’on se fie aux dires du dirigeant.
Oui Lego a redoré son image de machine
économique et semble creuser l’écart avec ses concurrents inlassablement. Mais
ce bon en avant commence à se faire ressentir dans le moral des troupes. Les
brèves révélations du Jyllands-Potten montre ainsi que le stress est devenu un
problème croissant au sein de l’entreprise amené par la course à la croissance
effrénée de ces dernières années qui ferait pencher la balance de l’équilibre travail/vie privée du mauvais coté
selon Berit Flindt Pedersen, représentant syndical. La pression est
grandissante pour créer toujours plus de croissance, toujours plus de
bénéfices. Les employés sont constamment évalués afin de voir s’ils méritent ou
non leur bonus. Les sondages réguliers effectués au sein de l’entreprise
reflètent bien le phénomène, même s’ils restent plus élevés que la moyenne, lorsque
l’on demande aux salariés s’ils recommanderaient à d’autres personnes de
travailler chez Lego, le score était en 2013 de 56% de OUI alors qu’à peine
deux ans plus tôt, les résultats à cette même question donnaient le OUI à 62%.
Le quotidien interroge également quelques personnes sur le ressenti au sein de
l’entreprise, les témoignages sont éloquents et rejoignent ce problème de forte
pression actuelle ainsi que le manque de reconnaissance. Jorgen Vig Knudstorps lui
même se dit surpris par les problèmes que rencontrent ses salariés et explique
que lui même est confronté à cette pression : « Je suis
constamment inquiet à propos de ce qui pourrait mal se passer, que l’on se
fasse dépasser, le challenge apparaît d’autant plus grand lorsque l’on travail
pour un grand comme Lego ».
Le problème que traversent les employés de Lego
n’est pas un cas isolé mais bien symptomatique de la culture néo-libérale
actuelle d’autant plus chez une multinationale ayant des antennes aux quatre
coins du globe. Comme ont pu l’expliquer Pierre Dardot et Christian Laval dans
leur ouvrage La nouvelle raison du
monde. Essai sur la société néolibérale, les employés sont de plus en
plus soumis à des normes de rentabilité et à des sanction ou récompense (bonus)
en cas d’atteinte des objectifs ou pas. La rentabilité quant à elle n’est bien
sûr pas évaluée uniquement sur la base des objectifs mais comme l’article le
stipule, de par des évaluations quantitatives répétées visant à pousser le
salarié à son maximum. On peut imaginer ici que la mise en place d’objectifs de
production quotidiens pour les petites mains ou les chiffres des ventes
relatives à telle ou telle catégorie de Lego pour les employés des pôles
marketing ou ceux à l’origine de telle ou telle licence représentent cette
pression dont il est question. Un article de l’Organisation Internationale du
Travail (OIT) énonçait en 2006 l’ouverture d’une nouvelle usine Lego en Chine, l’externalisation
choisie par de plus en plus d’entreprises peut aussi représenter un facteur de
stress supplémentaire quant à l’atteinte des objectifs de croissance. Non Lego
n’est donc pas un ovni et il n’y a pas à crier au feu suite à ces révélations,
mais une constatation doit être faite, Lego a pris le chemin des grands de ce
monde, en dépassant Mattel pour la première fois au premier trimestre 2014 en
affichant un chiffre d’affaires de 2,1 milliards de dollars, un pas a été
franchi et comme on dit l’appétit vient en mangeant au grand damne des conditions de
travail des salariés.
http://www.challenges.fr/entreprise/20141029.CHA9548/le-miracle-de-la-renaissance-de-lego.html
http://finans.dk/protected/finans/erhverv/ECE7105821/Legos-særlige-kultur-og-ånd-er-i-fare-fordi-de-ansatte-føler-sig-så-presset/
Maxime Beau de Loménie.
Maxime Beau de Loménie a trait bien exposé l'entreprise Lego, je le remercie.
RépondreEffacerJe reprends l'expression < les petites mains >, car elles sont confrontées aux chiffres de ventes pour les grandes entreprise. Selon, c'est une réalité du marché du travail qui n'est pas assez dénoncée, au profit de stratégie de marketing ou de publicité ?
Une question se pose: les conditions de travail vont-ils s'améliorer ou se détériorer, si toutes les entreprises entreprennent des moyens drastiques et rudimentaires ? À quant les conditions de travail vont sensibiliser les grandes entreprises?
J'ose imaginer, lorsqu'il y en aura plus, mais encore. Il y en a toujours qui se soumettent. Je ne sais pas si un jour je vais assister à une solidarité des travailleurs !