vendredi 21 novembre 2014

Pour quelques briques de plus...


L’image idyllique de la plus grande enseigne de jouets mondiale semble quelques peu se fissurer ces derniers temps. Si, comme le montre le journal Challenges dans son article « Le miracle de la renaissance Lego », l’entreprise ne s’est jamais aussi bien portée depuis sa création en 1949, de récentes révélations faites par le quotidien Jyllands-Posten dans un article intitulé « Lego ansatte lider under succesen » (comprendre : les employés de Lego victime du succès) viennent quelques peu ternir le modèle danois représenté jusque ici à merveille par sa firme de jouets.
Pour comprendre le malaise dont fait état le Jyllands-Posten il faut avant tout resituer l’histoire récente de Lego. Au bord du gouffre il y a encore un peu moins de dix ans, l’entreprise a même touché le fond en 2004, affichant des pertes à hauteur de 242 millions de dollars, les conséquences sont immédiates et se traduisent par la suppression de centaines de postes pendant plusieurs années. Pour relancer la machine, Jorg Vig Knudstorp, premier patron nommé n’appartenant pas à la famille fondatrice de la marque, revient aux fondamentaux qui ont fait le succès de la firme. Ainsi l’accent est mis sur un marketing honnête, la fin de la diversification à outrance dans des domaines connexes (vêtements, parcs d’attraction) au profit d’un investissement colossal dans les licences (Star Wars, Harry Potter) en partenariat avec d’autres géants du divertissement tels que Disney ou Warner. En recentrant sa politique exclusivement sur la petite brique, Lego se permet de proposer une gamme bien plus large, ainsi quand « les marques renouvellent 30% de leur gamme chaque année, chez Lego, c’est 60% » explique Gilles Mollard, directeur de Toys « R » Us France dans Challenges. Alors que la majeure partie de ses brevets a expiré, Lego a su tabler sur une véritable communauté de consommateurs. Pour l’instant donc, la marque assure ses arrières, les bénéfices ont ainsi été multipliés par 28 durant les huit dernières années et le chiffre d’affaires a quant à lui plus que quadruplé si l’on se fie aux dires du dirigeant.

Oui Lego a redoré son image de machine économique et semble creuser l’écart avec ses concurrents inlassablement. Mais ce bon en avant commence à se faire ressentir dans le moral des troupes. Les brèves révélations du Jyllands-Potten montre ainsi que le stress est devenu un problème croissant au sein de l’entreprise amené par la course à la croissance effrénée de ces dernières années qui ferait pencher la balance  de l’équilibre travail/vie privée du mauvais coté selon Berit Flindt Pedersen, représentant syndical. La pression est grandissante pour créer toujours plus de croissance, toujours plus de bénéfices. Les employés sont constamment évalués afin de voir s’ils méritent ou non leur bonus. Les sondages réguliers effectués au sein de l’entreprise reflètent bien le phénomène, même s’ils restent plus élevés que la moyenne, lorsque l’on demande aux salariés s’ils recommanderaient à d’autres personnes de travailler chez Lego, le score était en 2013 de 56% de OUI alors qu’à peine deux ans plus tôt, les résultats à cette même question donnaient le OUI à 62%. Le quotidien interroge également quelques personnes sur le ressenti au sein de l’entreprise, les témoignages sont éloquents et rejoignent ce problème de forte pression actuelle ainsi que le manque de reconnaissance. Jorgen Vig Knudstorps lui même se dit surpris par les problèmes que rencontrent ses salariés et explique que lui même est confronté à cette pression : « Je suis constamment inquiet à propos de ce qui pourrait mal se passer, que l’on se fasse dépasser, le challenge apparaît d’autant plus grand lorsque l’on travail pour un grand comme Lego ».

Le problème que traversent les employés de Lego n’est pas un cas isolé mais bien symptomatique de la culture néo-libérale actuelle d’autant plus chez une multinationale ayant des antennes aux quatre coins du globe. Comme ont pu l’expliquer Pierre Dardot et Christian Laval dans leur ouvrage La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, les employés sont de plus en plus soumis à des normes de rentabilité et à des sanction ou récompense (bonus) en cas d’atteinte des objectifs ou pas. La rentabilité quant à elle n’est bien sûr pas évaluée uniquement sur la base des objectifs mais comme l’article le stipule, de par des évaluations quantitatives répétées visant à pousser le salarié à son maximum. On peut imaginer ici que la mise en place d’objectifs de production quotidiens pour les petites mains ou les chiffres des ventes relatives à telle ou telle catégorie de Lego pour les employés des pôles marketing ou ceux à l’origine de telle ou telle licence représentent cette pression dont il est question. Un article de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) énonçait en 2006 l’ouverture d’une nouvelle usine Lego en Chine, l’externalisation choisie par de plus en plus d’entreprises peut aussi représenter un facteur de stress supplémentaire quant à l’atteinte des objectifs de croissance. Non Lego n’est donc pas un ovni et il n’y a pas à crier au feu suite à ces révélations, mais une constatation doit être faite, Lego a pris le chemin des grands de ce monde, en dépassant Mattel pour la première fois au premier trimestre 2014 en affichant un chiffre d’affaires de 2,1 milliards de dollars, un pas a été franchi et comme on dit l’appétit vient en mangeant au grand damne des conditions de travail des salariés.


http://www.challenges.fr/entreprise/20141029.CHA9548/le-miracle-de-la-renaissance-de-lego.html

http://finans.dk/protected/finans/erhverv/ECE7105821/Legos-særlige-kultur-og-ånd-er-i-fare-fordi-de-ansatte-føler-sig-så-presset/

Maxime Beau de Loménie.

1 commentaire:

  1. Maxime Beau de Loménie a trait bien exposé l'entreprise Lego, je le remercie.

    Je reprends l'expression < les petites mains >, car elles sont confrontées aux chiffres de ventes pour les grandes entreprise. Selon, c'est une réalité du marché du travail qui n'est pas assez dénoncée, au profit de stratégie de marketing ou de publicité ?

    Une question se pose: les conditions de travail vont-ils s'améliorer ou se détériorer, si toutes les entreprises entreprennent des moyens drastiques et rudimentaires ? À quant les conditions de travail vont sensibiliser les grandes entreprises?

    J'ose imaginer, lorsqu'il y en aura plus, mais encore. Il y en a toujours qui se soumettent. Je ne sais pas si un jour je vais assister à une solidarité des travailleurs !

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