Le 1er
décembre, les responsables des services de garderies en milieu
familial prendront la rue pour une quatrième journée. Sous l'égide
de leur syndicat, le FIPEQ-CSQ, dont nous avons reçu une des
responsables la semaine dernière, ces travailleuses vont une fois de
plus essayer d'attirer l'attention de l'opinion publique et du
Gouvernement sur leur situation de travailleuses dont le temps de
travail est sous-évalué.
Le statut
d'intervenante en petite enfance, travaillant à domicile, constitue
pour l'observateur critique un objet d'étude d'un très grand
intérêt, au sens où il synthétise à lui seul deux grandes luttes
historiques : la traditionnelle lutte de classe et la moins
reconnue lutte des sexes. Au travers des problèmes exprimés par ces
travailleuses, on retrouve un ensemble de problématiques lié à la
fois à la théorie critique mais également aux courants « radicaux
» du Féminisme.
On se
rapportera ici à la critique de Christine Delphy, dans L'ennemi
principal,
qui analyse la place de la Femme dans le mode de production
capitaliste. Sans entrer ici dans les détails de la thèse, qui
s'adresse prioritairement aux marxistes (qui sont alors loin d'être
propre de tous préjugés sexistes ) de son époque, Delphy y défend
la reconnaissance du travail des Femmes et fait le constat de leur
exploitation par un système capitaliste aux valeurs patriarcales :
Selon
l'auteure, le travail domestique de la Femme n'a historiquement pas
été reconnu comme productif, il s'ensuit que la Femme est mise à
l'écart du processus de transformation initiée par la pensée
socialiste. La raison de cette non-reconnaissance est que le travail
domestique (gestion du foyer, approvisionnement et particulièrement
l'élevage des enfants) serait naturellement dévolu à la Femme,
dans une logique proprement patriarcale. La Femme est donc condamnée
à effectuer un travail « gratuit », et dans le cas où elle y
renoncerait (comme ce fut le cas dans de nombreuses familles
bourgeoises) ces tâches seraient effectuées par d'autres, mais
contre rémunération cette fois. Preuve, selon Delphy, que le
travail des femmes au foyer (ou travaillant a temps-partiel) semble
dû plutôt que reconnu comme une authentique contribution à la
production.
Alors,
comment le texte de Delphy, et plus généralement les réflexions
féministes radicales sur le Travail, peuvent-elles éclairer le
conflit qui oppose le FIPEQ-CSQ à ce singulier employeur qu'est
l'État ? La revendication qui est actuellement au cœur de la
lutte vise précisément à faire reconnaître des heures de travail
au sein desquelles prennent place des activités courantes de la vie
domestiques :
«Selon
les calculs de la FIPEQ, une RSG [Responsable
de service de garde] gagne
le même salaire que son homologue du CPE, mais elle travaille 15
heures de plus par semaine. ''Une RSG doit offrir 10 heures de
service de garde par jour pour permettre aux parents de venir porter
et récupérer leurs enfants. Dix heures par jour, cinq heures par
semaine – c'est assez facile de faire le calcul '', avance-t-elle.
Le taux horaire des RSG serait donc plus bas que celui d'une
éducatrice en CPE, selon elle.»
Ce temps disponible pour les
parents n'inclut pas encore ici les activités connexes, notamment
l'approvisionnement en biens essentiels pour la garderie, en
nourriture pour les enfants, encore moins le temps consacré à la
préparation des repas, au rangement de l'espace de travail etc.
Si j'ai choisi de traiter le
problème des RSG sous cet angle que certain trouveront dépassé ( Y
a-t-il des marxistes dans la salle ? ), la réflexion de Delphy
me paraît encore d'une cruelle actualité. Un mouvement social comme
celui des RSG cumule à lui seul un grand nombre de vulnérabilités
auquel l'histoire des syndicats n'a que peu préparé ces derniers à
conjurer. Des femmes isolées géographiquement et socialement et
dont l'occupation, si utile à l'émancipation et à l'indépendance
de nombreuses camarades, est systématiquement marginalisé sous
prétexte qu'elle s'effectue entre les murs du foyer . Comment ne pas
voir dans l'acharnement de l'État québécois, non seulement les
logiques de division du néolibéralisme (en jouant sur les
définitions de l'Autonomie) mais aussi une domination patriarcale
qui réduit le rôle du travail effectué dans un cadre domestique ?
Une domination subtile qui refuse de reconnaître que tout le travail
entourant la gestion d'une garderie doit être reconnu, et que cette
activité n'a rien à voir avec l'acceptation d'un statut inférieur
hérité d'une définition machiste qui identifierait le rôle des
RSG à « une extension du traditionnel rôle de la Femme».
Cette activité constitue une
source indéniable de richesse et participe activement à la
l'exercice de la production comme le montre les études entreprises
sur les retombées de l'instauration des garderies « à 7$» :
« les
auteurs de l'étude ont pu établir que la mise en place du réseau
de garderies a permis à quelque 69 700 mères d'accéder au marché
du travail et d'y rester, même lorsque leurs enfants sont entrés à
l'école. Cet ajout a fait augmenter de 1,8% le taux d'activité
de l'ensemble de la population québécoise. La
taille de l'économie québécoise a pratiquement gonflé d'autant,
si bien que le produit intérieur brut (PIB) du Québec a grimpé de
5,1 milliards.»
Ainsi, à la lumière de cette
rapide analyse, il ressort que la façon de traiter les enjeux
syndicaux ne peut se faire uniquement dans une perspective de gains
économiques. Toute lutte entre nécessairement en résonance avec
des enjeux plus grands et profondément politiques. Jusqu'ici, les
syndicats semblent s'être arrêtés à une conception libérale du
Féminisme, ratant du même coup la « Troisième vague » et se
refusant à relire les penseuses et penseurs plus radicaux, donc plus
revendicateurs, du siècle dernier.
Pour conclure, on ne peut que
réaffirmer la nécessité pour les syndicats nationaux de réinscrire
leurs luttes dans une perspective plus large, dont le Féminisme doit
être un des piliers. La lutte pour la syndicalisation des RSG a
engagé la CSQ, mais aussi tous les syndicats québécois, dans un
processus de transformation et d'adaptation aux besoins de nouvelles
populations socialement vulnérables. Espérons que ces changements
se feront vite et sauront redonner de l'élan au mouvement syndical.
SOURCES :
- DELPHY Christine ; L'ennemi principal (Tome 1): économie politique du patriarcat, Paris, Syllepse, 1998.Chapitre 1
- GRAMMONT Stéphanie; Les garderies à 7$ sont rentables pour le QuébecPublié le 13 avril 2012 à 06h37 | Mis à jour le 13 avril 2012 à 06h37. Disponible en ligne.http://affaires.lapresse.ca/201204/13/01-4514921-les-garderies-a-7-sont-rentables-pour-le-quebec.php
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