samedi 22 novembre 2014

Libertés et Système monde: le cas des maquiladoras - Nicolas Bourgois

La philosophie libérale repose sur les principes de Liberté et de Propriété. Une liberté de posséder la terre qui permet l'exercice de l'Autonomie individuelle, une liberté d'expression qui sert avant tout à permettre la signature de contrats entre personnes autonomes et une liberté de mouvement pour les biens et les personnes.  C'est donc sur ces principes nobles, que fut signé l'ALENA en 1994, un traité de libre échange entre les pays d'Amérique du Nord: Mexique, Canada et les États-Unis. De cette union est né le modèle des Maquiladoras, qui bénéficient certes aux personnes morales qui les implantent, mais prolétarisent les populations du Sud et les personnes physiques qui y travaillent.

Les principes défendus tout au long de l'Histoire du monde anglo-saxon trouvent alors leurs incarnations dans l'exercice d'un Capitalisme mondialisé sous la forme d'un système monde, que décrivent les travaux inspirés de l'économie post-marxiste. 

Les penseurs anglo-saxons raisonnaient à leur époque en termes de personne morale et humaine : Hobbes insiste sur l'importance du Contrat entre les Hommes, qui seul permet l'émergence d'un pouvoir légitime sur Autrui (Le Léviathan première partie; chapitre IV), Locke insiste quant à lui sur la valeur cardinale de propriété, se réjouissant alors de la découverte de terres supposément vierges en Amérique, permettant ainsi aux masses anglaises de trouver un espace ou les individus pourront s'épanouir. En ce temps-là, la présence de populations autochtones n'était qu'un élément de détail, les plus humanistes des européens souhaitent alors les baptiser et les initier aux vertus du Travail. Cette période inaugure la Modernité au sens ou philosophes et historiens s'entendent pour fixer les débuts de cette séquence de l'Histoire.

L'apparition de la critique marxienne et le développement fulgurant du Capitalisme au travers des continents, notamment sous l'aspect de son implantation forcée et militarisée (on pense ici à la guerre de l'Opium, à la diplomatie de la canonnière, à la traite des populations noires etc.) confèrent de nouveaux outils théoriques pour penser l'évolution de l'économie sous l'angle du rapport entre Capital et Travail. Alors que les individus libéraux étaient les porteurs d'un Capital (principalement terrien) et les artisans de leur Travail, le Capitalisme impérialiste (que décrit Lénine dans L’Impérialisme, stade suprême du capitalismedivise non seulement les Hommes entre Bourgeois et Prolétaires, mais également les sociétés selon les mêmes critères.

Le monde se retrouvant ainsi diviser entre des États riches en capitaux, mais pauvre en main-d’œuvre (tout du moins bon marché), et des États pauvres en capitaux mais aux populations nombreuses et dans le besoin. Il n'en fallait pas plus pour faire coïncider ces différences «complémentaires» au sein d'un Contrat ( on dit «Traité» dans le langage de la Diplomatie) telle que l'ALENA.

L'incarnation de cette nouvelle forme d'exploitation est la maquiladora. Ces usines, dont le modèle mexicain s'est progressivement étendu à toute l'Amérique latine, consistent en l'implantation de lieux de production installés sur des zones franches. C'est dans ces espaces propices à la reproduction du Capital à l'abri de l'impôt : « La compagnie étrangère ne [payant] de frais de douane que sur la valeur ajoutée par le travail de l’employé mexicain ». C'est au travers de ce modèle que s'effectue le lien entre les capitaux du Nord et le Travail d'un nouveau prolétariat du Sud. La maquiladora n'est d'ailleurs pas à proprement parlé un lieu de production, mais plutôt un lieu d'assemblage de pièces produites et importés de pays encore plus lointains. En plus de ses exemptions fiscales, sa force réside dans le coût extrêmement bas de sa main d’œuvre et dans sa proximité géographique avec le marché nord-américain. Si les hommes et les femmes du Sud de la frontières peinent à pénétrer dans le sanctuaire du Nord, les marchandises n'ont besoin de rien pour traverser les grillages, ce n'est pas elles que les drones observent.
Il est important de comprendre que les maquiladoras ne sont pas un phénomène propre au Mexique, ni même aux relations entre les États nord-américains et leurs partenaires latino-américains. La maquiladora est un modèle économique éprouvé depuis les années 90, qui synthétise l'expansion de la sphère du marché du Travail et consacre les notions de Centre et de Périphérie, non plus seulement dans le cadre de l'entreprise (voir Jean-Pierre Durand et le concept d'entreprise réticulaire), ni même au sein d'un marché du travail national, mais à l'échelle du globe.

Cette expansion se fonde sur un Droit du Travail favorable aux firmes, qui inféode les syndicats et neutralise ainsi la possibilité d'action collective, tout en prenant soin de sélectionner une main-d’œuvre asservie par la nécessité de subvenir à ses besoins les plus élémentaires. Ces caractéristiques de l'exploitation du Sud par le Nord trouvent plusieurs voix pour les dénoncer, principalement au sein des universités mais aussi au sein des syndicats du Nord, de plus en plus en conscients des effets néfastes de ce phénomène qui explique l'augmentation des délocalisations d'usines chez nous.

Dans une conférence tenue à l'UQAM par Higinio Barrios Hernandez, celui-ci convenait que:

« Dans
 le
 cadre
 de 
l’ALENA,
 les
 principaux
 attraits
 du 
Mexique
 sont 
une
 main d’œuvre 
à
 bon 
marché
 et 
une 
garanti 
du 
fait
 qu’il
 n’y
 aura 
pas
 de 
conditions
 syndicales
 qui
 permettraient
 aux
 travailleurs 
de 
négocier
 leurs 
droits. Le
 Mexique 
a
 d’ailleurs
 un
 des 
niveaux
 mondiaux
 les
 plus 
bas 
de
 syndicalisation, soit
 moins de
 7%
»1

 À cela, il faut ajouter que la main-oeuvre employée est féminine à 60%2. Des employées ont
 témoigné des conditions
 de travail difficiles
 ainsi que d'un accès
 limité à l'exercice de leurs droits
, au travers de syndicats
 dépendant
 du 
patronat.
 « Les
 principales
 caractéristiques
 des 
conditions
 de
 travail
 dans les 
Maquiladoras sont:
 gestes 
répétitifs
 pendant 
plusieurs
 heures,
 risque
 d’atrophie
 des 
membres, 
insalubrité,
 salaire
 de 
5$ 
par 
jour,
 humiliation,
 sexisme,
 risques 
élevés 
d’accidents
 au 
travail ». Selon Thomas Chiasson-LeBel, qui a visité des maquiladoras au Nicaragua, le salaire moyen de 234 $ par mois dont se targuent les gérants d'usines, ne serait pas une réalité. Celle-ci étant le versement du simple salaire minimum selon un employé, soit 160$., sachant que «le prix du panier de produits de base pour une famille était estimé en 2013 à 428 $ par mois», on comprend que ce modèle économique ne peut en rien aider les populations du Sud a sortir de la misère.

Pour conclure, on assiste avec l’extension de la liberté des biens, couplée a une interdiction de circuler pour les personnes morales, à l’asservissement de populations entières sous l’égide du Capital. Les États sont complices des multinationales, encourageant l’expansion de ce modèle qui allie avantages fiscaux, décentralisation de la production et de l’assemblage et maintien des populations dans une situation de précarité qui les empêche de se révolter. Dans ce modèle, le Droit se fait le complice de l’Exploitation marchande, en conditionnant étroitement les possibilités pour les travailleurs et travailleuses de se servir de leurs syndicats pour revendiquer de meilleures conditions de travail. La question réside dans le rapport entre mobilité des capitaux et mobilité des masses. Dans le cas des pays du Sud, on rend mobile les capitaux mais pas les masses. Mais est-ce seulement souhaitable de vouloir aider ces populations à émigrer? L’exemple européen qui allie mobilité des personnes et des capitaux ne semble pas plus prometteur, surtout si l'on observe les conséquences d'une mobilité des masses du Sud vers le Nord… A t-on seulement envisager la possibilité de limiter les libertés des valeurs immatérielles que sont les capitaux et les entreprises ? Bien sûr, mais l’agenda néolibéral qui domine les relations entre Nord et Sud ne prévoit pas cette possibilité, pourtant à l'origine de la division entre le travailleurs et travailleuses des deux hémisphères. Dans ces conditions, il semble de plus en plus ardu d'en appeler à la célèbre formule : « Prolétaires de tous les pays, unissez vous ! »



1Les 
droits 
des
 travailleurs
 et 
des 
travailleuses 
au 
Mexique :
 Conditions
 de 
travail et libertés syndicales présentée le 25 
novembre
2008,
Conférence 
organisée 
par 
l’Observatoire 
des 
Amériques 
(OdA) et le Centre
 international
de
solidarité
ouvrière
(CISO)
à
 l’UQAM,
 Montréal.


2Les informations qui suivent sont tirées de:
CHIASSON-LEBEL Thomas ; Visite d'une maquiladora au Nicaragua ; paru dans Le journal des alternatives ; 01/09/2014. Disponible en ligne :
Consulté le 22/11/2014

Aucun commentaire:

Publier un commentaire