La
philosophie libérale repose sur les principes de Liberté et de
Propriété. Une liberté de posséder la terre qui permet l'exercice
de l'Autonomie individuelle, une liberté d'expression qui sert avant
tout à permettre la signature de contrats entre personnes autonomes
et une liberté de mouvement pour les biens et les personnes.
C'est donc sur ces principes nobles, que fut signé l'ALENA en 1994,
un traité de libre échange entre les pays d'Amérique du Nord:
Mexique, Canada et les États-Unis. De cette union est né le modèle
des Maquiladoras, qui bénéficient certes
aux personnes morales qui les implantent, mais prolétarisent les
populations du Sud et les personnes physiques qui y travaillent.
Les
principes défendus tout au long de l'Histoire du monde anglo-saxon
trouvent alors leurs incarnations dans l'exercice d'un Capitalisme
mondialisé sous la forme d'un système monde, que décrivent les
travaux inspirés de l'économie post-marxiste.
Les penseurs
anglo-saxons raisonnaient à leur époque en termes de personne
morale et humaine : Hobbes insiste sur l'importance du Contrat entre
les Hommes, qui seul permet l'émergence d'un pouvoir légitime sur
Autrui (Le Léviathan première partie; chapitre IV),
Locke insiste quant à lui sur la valeur cardinale de propriété, se
réjouissant alors de la découverte de terres supposément vierges
en Amérique, permettant ainsi aux masses anglaises de trouver un
espace ou les individus pourront s'épanouir. En ce temps-là, la
présence de populations autochtones n'était qu'un élément de
détail, les plus humanistes des européens souhaitent alors les
baptiser et les initier aux vertus du Travail. Cette période
inaugure la Modernité au sens ou philosophes et historiens
s'entendent pour fixer les débuts de cette séquence de l'Histoire.
L'apparition
de la critique marxienne et le développement fulgurant du
Capitalisme au travers des continents, notamment sous l'aspect de son
implantation forcée et militarisée (on pense ici à la guerre de
l'Opium, à la diplomatie de la canonnière, à la traite des
populations noires etc.) confèrent de nouveaux outils théoriques
pour penser l'évolution de l'économie sous l'angle du rapport entre
Capital et Travail. Alors que les individus libéraux étaient les
porteurs d'un Capital (principalement terrien) et les artisans de
leur Travail, le Capitalisme impérialiste (que décrit Lénine
dans L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme) divise
non seulement les Hommes entre Bourgeois et Prolétaires, mais
également les sociétés selon les mêmes critères.
Le monde se
retrouvant ainsi diviser entre des États riches en capitaux, mais
pauvre en main-d’œuvre (tout du moins bon marché), et des États
pauvres en capitaux mais aux populations nombreuses et dans le
besoin. Il n'en fallait pas plus pour faire coïncider ces
différences «complémentaires» au sein d'un Contrat ( on dit
«Traité» dans le langage de la Diplomatie) telle que l'ALENA.
L'incarnation
de cette nouvelle forme d'exploitation est la maquiladora. Ces
usines, dont le modèle mexicain s'est progressivement étendu à
toute l'Amérique latine, consistent en l'implantation de lieux de
production installés sur des zones franches. C'est dans ces espaces
propices à la reproduction du Capital à l'abri de l'impôt : « La
compagnie étrangère ne [payant] de frais de douane
que sur la valeur ajoutée par le travail de l’employé mexicain ».
C'est au travers de ce modèle que s'effectue le lien entre les
capitaux du Nord et le Travail d'un nouveau prolétariat du Sud. La
maquiladora n'est d'ailleurs pas à proprement parlé un lieu de
production, mais plutôt un lieu d'assemblage de pièces produites et
importés de pays encore plus lointains. En plus de ses exemptions
fiscales, sa force réside dans le coût extrêmement bas de sa main
d’œuvre et dans sa proximité géographique avec le marché
nord-américain. Si les hommes et les femmes du Sud de la frontières
peinent à pénétrer dans le sanctuaire du Nord, les marchandises
n'ont besoin de rien pour traverser les grillages, ce n'est pas elles
que les drones observent.
Il est
important de comprendre que les maquiladoras ne sont pas un phénomène
propre au Mexique, ni même aux relations entre les États
nord-américains et leurs partenaires latino-américains. La
maquiladora est un modèle économique éprouvé depuis les années
90, qui synthétise l'expansion de la sphère du marché du Travail
et consacre les notions de Centre et de Périphérie, non plus
seulement dans le cadre de l'entreprise (voir Jean-Pierre Durand et
le concept d'entreprise réticulaire), ni même au sein d'un
marché du travail national, mais à l'échelle du globe.
Cette
expansion se fonde sur un Droit du Travail favorable aux firmes, qui
inféode les syndicats et neutralise ainsi la possibilité d'action
collective, tout en prenant soin de sélectionner une main-d’œuvre
asservie par la nécessité de subvenir à ses besoins les plus
élémentaires. Ces caractéristiques de l'exploitation du Sud par le
Nord trouvent plusieurs voix pour les dénoncer, principalement au
sein des universités mais aussi au sein des syndicats du Nord, de
plus en plus en conscients des effets néfastes de ce phénomène qui
explique l'augmentation des délocalisations d'usines chez nous.
Dans une
conférence tenue à l'UQAM par Higinio Barrios Hernandez, celui-ci
convenait que:
« Dans
le
cadre
de
l’ALENA,
les
principaux
attraits
du
Mexique
sont
une
main
d’œuvre
à
bon
marché
et
une
garanti
du
fait
qu’il
n’y
aura
pas
de
conditions
syndicales
qui
permettraient
aux
travailleurs
de
négocier
leurs
droits. Le
Mexique
a
d’ailleurs
un
des
niveaux
mondiaux
les
plus
bas
de
syndicalisation, soit
moins de
7%
»1.
À
cela, il faut ajouter que la main-oeuvre employée est féminine à
60%2.
Des employées ont
témoigné des conditions
de travail
difficiles
ainsi que d'un accès
limité à l'exercice de leurs
droits
, au travers de syndicats
dépendant
du
patronat.
« Les
principales
caractéristiques
des
conditions
de
travail
dans les
Maquiladoras sont:
gestes
répétitifs
pendant
plusieurs
heures,
risque
d’atrophie
des
membres,
insalubrité,
salaire
de
5$
par
jour,
humiliation,
sexisme,
risques
élevés
d’accidents
au
travail ». Selon
Thomas Chiasson-LeBel, qui a visité des maquiladoras au Nicaragua,
le salaire moyen de 234 $ par mois dont se targuent les gérants
d'usines, ne serait pas une réalité. Celle-ci étant le versement
du simple salaire minimum selon un employé, soit 160$., sachant que
«le prix du
panier de produits de base pour une famille était estimé en 2013 à
428 $ par mois»,
on comprend que ce modèle économique ne peut en rien aider les
populations du Sud a sortir de la misère.
Pour
conclure, on assiste avec l’extension de la liberté des biens,
couplée a une interdiction de circuler pour les personnes morales, à
l’asservissement de populations entières sous l’égide du
Capital. Les États sont complices des multinationales, encourageant
l’expansion de ce modèle qui allie avantages fiscaux,
décentralisation de la production et de l’assemblage et maintien
des populations dans une situation de précarité qui les empêche de
se révolter. Dans ce modèle, le Droit se fait le complice de
l’Exploitation marchande, en conditionnant étroitement les
possibilités pour les travailleurs et travailleuses de se servir de
leurs syndicats pour revendiquer de meilleures conditions de travail.
La question réside dans le rapport entre mobilité des capitaux et
mobilité des masses. Dans le cas des pays du Sud, on rend mobile les
capitaux mais pas les masses. Mais est-ce seulement souhaitable de
vouloir aider ces populations à émigrer? L’exemple européen qui
allie mobilité des personnes et des capitaux ne semble pas plus
prometteur, surtout si l'on observe les conséquences d'une mobilité
des masses du Sud vers le Nord… A t-on seulement envisager la
possibilité de limiter les libertés des valeurs immatérielles que
sont les capitaux et les entreprises ? Bien sûr, mais l’agenda
néolibéral qui domine les relations entre Nord et Sud ne prévoit
pas cette possibilité, pourtant à l'origine de la division entre le
travailleurs et travailleuses des deux hémisphères. Dans ces
conditions, il semble de plus en plus ardu d'en appeler à la célèbre
formule : « Prolétaires de tous les pays, unissez vous !
»
1Les
droits
des
travailleurs
et
des
travailleuses
au
Mexique :
Conditions
de
travail et libertés syndicales
présentée le 25
novembre
2008,
Conférence
organisée
par
l’Observatoire
des
Amériques
(OdA) et le
Centre
international
de
solidarité
ouvrière
(CISO)
à
l’UQAM,
Montréal.
2Les
informations qui suivent sont tirées de:
CHIASSON-LEBEL
Thomas ;
Visite d'une maquiladora au Nicaragua ; paru
dans Le
journal des alternatives ;
01/09/2014.
Disponible en ligne :
Consulté
le 22/11/2014
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