La montée
des inégalités prend plusieurs formes, selon que l'on s'attarde aux
multiples critères de différenciation entre individus: sexe, age,
origines, religion etc. L’essoufflement de la période faste,
dites des « Trente Glorieuses », de croissance à plus de 3%
redonne au Capital une nouvelle hégémonie sur le Travail. Un retour
à la « normale » de l'Histoire, à en croire Thomas Picketty dans
son ouvrage choc Le Capital au XXIème siècle. Cette situation ne peut qu'exacerber l'inégalité, sous toutes ses formes, et l'instituer comme une nouvelle norme.
Alors
que l'on nous annonce régulièrement que l'égalité salariale est a
porté de main, ce que contredisent d'autres analyses (voir l'article
de blog Vivement
2095 !
de ma collègue 1),
les discriminations s'accumulent ailleurs, comme par exemple entre travailleurs originaires du
Canada et ceux issus de l'immigration :
« [
Le chercheur d'emploi] au
nom à consonance africaine [...] semble le plus à risque de subir un
traitement différentiel. Ainsi, les probabilités du candidat
majoritaire [Blanc. ndr] de se faire appeler en vue d’un entretien sont 1,72
fois supérieures à celles du candidat au nom à consonance
africaine (38,1 % c. 22,1 %). Par comparaison, les probabilités que
le candidat majoritaire reçoive un appel de l’employeur sont 1,63
plus élevées que celles du candidat au nom à consonance arabe
(26,7 % c. 16,4 %), et 1,58 fois supérieures à celles du candidat
au nom à consonance latino-américaine (26,1 % c.
16,5
%).2»
A ces discriminations sur le sexe
et sur la « race », s'ajoute celle sur l'âge. Une nouvelle étude
de la Conference Board, vulgarisée par le journal Métro3,
met en garde contre le conflit de génération à venir. On se
souvient de l'ouvrage d'Éric Duhaime, L'État contre
les jeunes qui, s'il vise de
manière trop idéologique l'État comme responsable d'un choc de
génération, vise assez juste sur les dérives du système. Derrière l'idéologie se cache un mal
réel : l'inégalité entre les générations qui ont bénéficié
des avantages de l'État social québécois et les futures
générations (incluant la nôtre), qui devront se satisfaire de
compensations moindres tout en devant payer les frais que le
déséquilibre démographique fait peser sur les finances de ce
modèle social.
Le problème se pose de manière
double : d'une part, les revenus des jeunes travailleurs
augmentent peu ( 1313$ en 30 ans pour les travailleurs
âgés de 25 à 29 ans)
, et de l'autre les revenus des plus anciens décolent
(près de 5000$ d'augmentation pour la même période. Ainsi,
«le
revenu disponible des Canadiens âgés de 50 à 54 ans est
aujourd’hui supérieur de 64% à celui des 25 à 29 ans, contre 47%
en 1984.4
»
«Cette
tendance pourrait se révéler lourde de conséquences pour les
employeurs, les syndicats, les gouvernements et les collectivités,
prévient M. Stewart-Patterson. Si les gains des jeunes travailleurs
restent à la traîne, on risque aussi de voir, au sein de notre
société, des conflits croissants entre ceux, plus âgés, qui sont
mieux nantis, et ceux, plus jeunes, qui le sont moins.»
Cette
tendance favorise une situation où les services publiques, en mal
de financement, devront peu à peu être coupées pour être confiés
à des structures privées, réduisant ainsi à néant les vocations
universalistes et égalitaristes défendues par ces mêmes
baby-boomers désormais retraités, tant sur le plan du travail que de
l'implication politique dans une optique progressiste. La logique de
l'Austérité s'imposera alors partout. Cette dernière fut désignée par des
économistes conservateurs (Républicains américains) sous le nom de
«Starve
the beast ». Baisse d'impôts et réduction des services publiques sont les deux faces d'une même pièce, pièce qui finit irrémédiablement dans les poches d'une même classe dirigeante.
Alors à quoi ressemblera ce monde de
croissance faible ? À en croire l'article cité par ma collègue,
l'inégalité homme-femme sera peut-être atteinte, mais que dire des
inégalités sur l'origine et sur les générations. L'ouvrage de
Picketty décrit un monde où seuls les rentiers pourront vivre
aisément, un monde où le travail sera un simple moyen de survie
mais vidé de son potentiel d'ascension sociale. Il est fort à
parier que la domination de l'Homme blanc continuera, allant même en
s'éternisant si l'on considère les progrès de la médecine et les
perspectives ouvertes par les technologies transhumanistes5.
Le versement de généreuses pensions confère à l'ancienne génération un avantage extraordinaire, lui permettant déjà de bénéficier des avancées médicales et ainsi de se maintenir comme classe possédante. Après une jeunesse dorée à gravir les échelons d'une société en pleine reconstruction, cette génération va pouvoir profiter d'une retraite dorée, profitant des services d'une jeunesse endettée (donc servile), nouveau prolétariat au sens strict: « ceux qui n'a que leurs enfants comme richesse ». Ironie de l'Histoire que de voir ces« enfants » travailler sans perspective autre que la survie.
Alors, allons-nous vers un Capitalisme
patrimonial renouvelé où, dans l'éventualité où le Patriarcat
perdrait de sa superbe, la gérontocratie s'imposera comme une
nouvelle domination ? la question est lancée et l'exercice prospectif peut pour cela être utile à la réflexion en vue d'une action. L'Ancienneté sera alors inévitablement remis en question, comme critère non arbitraire au sein des emplois syndiqués. Espérons alors que des alternatives se dessinent dans les années à venir, au risque de jouer le jeux des puissants et ainsi s'aliéner encore plus.
1Article
du 10 Novenmbre 2014 sur ce blog
2Paul
EID, Meisson AZZARIA et Marion QUÉRAT « Mesurer la
discrimination à l’embauche subie par les minorités racisées :
résultats d’un « testing » mené dans le grand Montréal»
Chapitre 6.3
Recherche menée en Mai 2012 pour la
Commission des droits de la personne; Disponible en ligne:
Consulté le 15/11/2014
3ALIBER
Nafi; Après
l’égalité des sexes, l’égalité des générations?;
publié dans Métro Montréal le 12/11/2014 Mise
à jour : 12
novembre 2014 | 16:12 . Disponible en ligne:
Consulté
le 15/11/2014
4Idem.
5A
ce sujet voir:
MILNER
Lisa Martine
Rothblatt, une patronne qui rêve d'être éternelle;
publié le 22 OCTOBRE 2014. Courrier
International;
Disponible en ligne:
Consulté
le 15/11/2014
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