mercredi 12 novembre 2014

Les chauffeurs de taxi et l'organisation collective


 

On peut voir que la situation actuelle des chauffeurs de taxi est particulièrement difficile, compliquée notamment par l’arrivée récente du service “de covoiturage” Uber, qui permet à tout un chacun de se poser comme chauffeur de taxi (déguisé en covoiturage payant) sans avoir besoin de permis ou de voiture enregistrée.
Or, cette situation n’est pas le seule problème qui touche l’industrie du taxi à Montréal. En effet, un récent article de La Presse intitulé “Les chauffeurs de taxi de l’aéroport Trudeau en grève mercredi”, publié le 11 novembre dernier, nous apprenait les conditions complexes de l’obtention d’un permis permettant de serv ir de taxi à l’aéroport Trudeau. En effet, il apparaît que le processus est extrêmement long et difficile, en plus d’être soumis à un tirage aléatoire suivi de multiples inspections. Il devient donc très complexe pour ces chauffeurs d’accéder à des permis à l’aéroport, considéré pour plusieurs comme plus payant et moins stressant que les taxis “normaux”. L’article nous affirme que, sur les 3600 chauffeurs ayant soumis une demande, seuls 310 ont obtenu le permis et sont en droit de travailler à l’aéroport.

Or, il apparaît que les chauffeurs de taxis ont décidé de s’organiser entres eux pour faire une “grève”, le 12 novembre sur l’heure du dîner, déguisant celle-ci sous une “très longue pause café”. Ainsi, pendant deux heures, aucun des 310 taxis de l’aéroport ne devait prendre de clients, et les accès seront bloqués pour ne pas que des taxis venant d’ailleurs ne desservent les clients de l’aéroport.

Cette situation nous semble particulièrement intéressante au regard des enjeux actuels de l’action collective des travailleurs. En effet, contrairement à des employés d’entreprise, les chauffeurs de taxis sont dans une situation particulière, définitivement atypique. Premièrement, ils proviennent d’employeurs différents, ne travaillant pas tous pour la même compagnie de taxi et ne pouvant donc pas se réclamer du syndicalisme “traditionnel”. De plus, ils sont énormément mis en compétition entre eux, leur salaire étant souvent basé sur leur “productivité” et le nombre de clients qu’ils prennent. L’attribution de permis spéciaux pour l’aéroport renforcit encore plus cette idée, puisque seuls environ 10% des demandes sont acceptées. On pourrait donc s’attendre à ce que ceux qui “gagnent” le tirage gardent le silence sur la difficulté du processus d’attribution de ces permis.
Pourtant, cela n’est pas du tout le cas. En dehors de ces divisions et de la compétition, on voit apparaître une organisation collective particulièrement combative, en dehors des cadres traditionnels des syndicats mais dont les moyens sont relativement semblables. Il est particulièrement frappant de voir que l’ensemble des 310 travailleurs ont accepté de participer à cette action de grève, alors que certains auraient pu en profiter pour faire une journée particulièrement productive et bien paraître aux yeux des autorités. Il s’est donc créé une forte solidarité entre travailleurs répondant à des employeurs différents et dont les conditions de travail sont particulièrement atypiques.
Nous pouvons d’ailleurs voir que cette organisation a porté fruit. La direction d’Aéroports de Montréal a émis une communiqué aux différents chauffeurs de taxi pour leur dire que leur action était illégale selon le cadre du permis qui leur était émis, mais ont de l’autre côté accepté de s’asseoir avec les représentants des chauffeurs de taxi pour discuter des solutions possibles. L’action de perturbation a donc été annulée. Il y a donc eu une peur réelle de la grève chez la direction d’ADM, ce qui implique que les chauffeurs disposent d’un pouvoir de négociation bien réel malgré leur précarité. Sans tomber dans une analyse marxiste, nous pourrions faire l’hypothèse que la (toute relative) possession des “moyens de production” par les travailleurs eux-mêmes leur permet une liberté d’action beaucoup plus grande, malgré leur situation juridique atypique et en dehors des cadres traditionnels de l’action collective.
Au final, ce cas nous semble particulièrement pertinent dans le cadre actuel de montée du travail atypique, et permet d’entrevoir une solidarité parasyndicale de travailleurs, en dehors du cadre traditionnel de l’entreprise.

Sources:

Lavoie, Jasmin et Marie-Michèle Sioui. “La manifestation des chauffeurs de taxi à l’aéroport est annulée.” La Presse, 12 novembre 2014 [En Ligne] http://www.lapresse.ca/actualites/montreal/201411/12/01-4818224-la-manifestation-des-chauffeurs-de-taxi-a-laeroport-est-annulee.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_BO2_quebec_canada_178_accueil_POS4

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