vendredi 30 septembre 2016

Une éducation pour les besoins du marché du travail? Le cas du japonais dans les écoles primaires vietnamiennes


Un article du Japan Times, le quotidien de langue anglaise le plus lu au Japon, nous apprend que des cours de japonais seront désormais offerts comme matière officielle dans plusieurs écoles primaires du Vietnam. On peut se réjouir de l’annonce comme d’un signe d’une collaboration grandissante entre les deux nations et d’une meilleure intégration de la région asiatique. On doit toutefois garder à l’esprit le rapport de pouvoir inégal entre les deux États et leurs populations respectives, notamment en ce qui a trait aux partenariats entretenus entre le Japon et le Vietnam en matière de circulation de la main d’œuvre.

Les prétentions japonaises à ce que leur langue (et plus tard leur devise) rayonne dans tout l’Asie datent de la période précédant la deuxième guerre mondiale, soit lorsque le Japon agissait à titre d’empire colonisateur dans la région. Depuis la défaite, le pays s’est reconstruit, notamment grâce à des capitaux américains, octroyés parce qu’on voyait en lui un allié important à la guerre contre le communisme. Il s’est élevé au rang de deuxième puissance mondiale (maintenant dépassé par la Chine). Le Vietnam n’a pas connu de telle situation, et a subi la guerre. Les disparités économiques entre les deux nations ont contribué à l’afflux important de travailleurs vietnamiens au Japon dès la fin des années 1980.

Depuis, la plupart des travailleurs migrants vietnamiens entrent au pays comme « apprentis » dans le cadre d’une entente entre leur gouvernement et celui du Japon (Industrial and Technical Internship Program) qui a comme objectif officiel le transfert de qualifications et de connaissances aux pays asiatiques en développement. Il est toutefois reconnu que le programme permet plutôt aux entreprises l’accès à une main d’œuvre à rabais et flexible. Les « apprentis » et « stagiaires » qui viennent au Japon dans le cadre de ce programme se situent au bas de la hiérarchie sociale, que ce soit en matière de salaire ou de conditions d’emploi, et sont généralement confinés aux occupations dangereuses.

On peut se questionner quant à l’apport annoncé du gouvernement japonais dans l’implantation des cours dans les écoles primaires vietnamiennes. L’objectif est probablement que les jeunes Vietnamiens qui auront suivi les cours, une fois devenu adultes, se tournent vers le Japon quand sera venu le temps de migrer pour travailler (comme le fait une proportion non-négligeable de la population du Vietnam). On serait tenté de croire que les Vietnamiens qui auront appris la langue à l’école arriveront à décrocher de meilleurs emplois. Toutefois, l’insertion des travailleurs migrants au Japon, contrairement au cas des États-Unis, par exemple, ne procède pas selon le capital humain, dont fait partie la maîtrise de la langue, mais plutôt selon son capital social (origine ethnoculturelle, réseaux, etc.) 

Une chose est certaine, le soft power déployé par le Japon depuis les années 1990, dans le but de faire adopter aux nations avoisinantes, voire au monde entier, certains des intérêts du Japon à travers la diffusion de produits culturels, connaît un succès relatif, dans la mesure où l’enfant interrogé dans l’article est enthousiasmé à l’idée de pouvoir apprendre le japonais depuis son exposition à un certain manga.

Pierre-Hubert Leroux
 

Bélanger, D., Ueno, K., Hong, K. T., Ochiai, E. (2011). From Foreign Trainees to Unauthorized Workers: Vietnamese Migrant Workers in Japan. Asian and Pacific Migration Journal, 20(1), 31-53.

Lam, P. E. (2007). Japan’s Quest for “Soft Power”: Attraction and Limitation. East Asia, 24(4), 349-363.

Tsuda, T. (2011). When human capital does not matter: local contexts of reception and immigrant wages in Japan. GeoJournal, 76, 641-659.

Vietnamese elementary schools launch Japanese language classes. (2016, 20 septembre). Japan Times. Repéré à http://www.japantimes.co.jp/news/2016/09/20/national/vietnamese-elementary-schools-launch-japanese-language-classes/#.V-bLtNzEQ-8

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