Un
article du Japan Times, le quotidien
de langue anglaise le plus lu au Japon, nous apprend que des cours de japonais
seront désormais offerts comme matière officielle dans plusieurs écoles
primaires du Vietnam. On peut se réjouir de l’annonce comme d’un signe d’une
collaboration grandissante entre les deux nations et d’une meilleure
intégration de la région asiatique. On doit toutefois garder à l’esprit le
rapport de pouvoir inégal entre les deux États et leurs populations
respectives, notamment en ce qui a trait aux partenariats entretenus entre le
Japon et le Vietnam en matière de circulation de la main d’œuvre.
Les
prétentions japonaises à ce que leur langue (et plus tard leur devise) rayonne
dans tout l’Asie datent de la période précédant la deuxième guerre mondiale,
soit lorsque le Japon agissait à titre d’empire colonisateur dans la région. Depuis
la défaite, le pays s’est reconstruit, notamment grâce à des capitaux
américains, octroyés parce qu’on voyait en lui un allié important à la guerre
contre le communisme. Il s’est élevé au rang de deuxième puissance mondiale
(maintenant dépassé par la Chine). Le Vietnam n’a pas connu de telle situation,
et a subi la guerre. Les disparités économiques entre les deux nations ont
contribué à l’afflux important de travailleurs vietnamiens au Japon dès la fin
des années 1980.
Depuis,
la plupart des travailleurs migrants vietnamiens entrent au pays comme
« apprentis » dans le cadre d’une entente entre leur gouvernement et
celui du Japon (Industrial and Technical Internship
Program) qui a comme objectif officiel le transfert de qualifications et de
connaissances aux pays asiatiques en développement. Il est toutefois reconnu
que le programme permet plutôt aux entreprises l’accès à une main d’œuvre à
rabais et flexible. Les « apprentis » et « stagiaires » qui
viennent au Japon dans le cadre de ce programme se situent au bas de la
hiérarchie sociale, que ce soit en matière de salaire ou de conditions d’emploi,
et sont généralement confinés aux occupations dangereuses.
On
peut se questionner quant à l’apport annoncé du gouvernement japonais dans
l’implantation des cours dans les écoles primaires vietnamiennes. L’objectif
est probablement que les jeunes Vietnamiens qui auront suivi les cours, une
fois devenu adultes, se tournent vers le Japon quand sera venu le temps de
migrer pour travailler (comme le fait une proportion non-négligeable de la
population du Vietnam). On serait tenté de croire que les Vietnamiens qui
auront appris la langue à l’école arriveront à décrocher de meilleurs emplois.
Toutefois, l’insertion des travailleurs migrants au Japon, contrairement au cas
des États-Unis, par exemple, ne procède pas selon le capital humain, dont fait
partie la maîtrise de la langue, mais plutôt selon son capital social (origine ethnoculturelle, réseaux, etc.)
Une chose est certaine, le soft power déployé par le Japon depuis les années 1990, dans le but
de faire adopter aux nations avoisinantes, voire au monde entier, certains des
intérêts du Japon à travers la diffusion de produits culturels, connaît un
succès relatif, dans la mesure où l’enfant interrogé dans l’article est
enthousiasmé à l’idée de pouvoir apprendre le japonais depuis son exposition à
un certain manga.
Pierre-Hubert Leroux
Bélanger,
D., Ueno, K., Hong, K. T., Ochiai, E. (2011). From Foreign Trainees to
Unauthorized Workers: Vietnamese Migrant Workers in Japan. Asian and Pacific
Migration Journal, 20(1), 31-53.
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Tsuda,
T. (2011). When human capital does not matter: local contexts of reception and
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Vietnamese
elementary schools launch Japanese language classes. (2016, 20 septembre). Japan Times. Repéré à http://www.japantimes.co.jp/news/2016/09/20/national/vietnamese-elementary-schools-launch-japanese-language-classes/#.V-bLtNzEQ-8
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