Dans un article du Devoir intitulé Le
panier d’épicerie est moins cher chez Walmart et Maxi[2], on rapporte les
résultats d’une enquête menée par le magazine Protégez-vous selon
lesquels une famille peut économiser des centaines de dollars annuellement en
adoptant ces magasins. Alors que le journaliste relève quelques désavantages de
ces chaînes qui offrent le meilleur prix, tels que « le manque de
courtoisie du personnel et le long temps d’attente aux caisses », des
problèmes structurels plus importants qui découlent de cette course aux bas
prix et qui affectent des communautés entières sont ignorés.
La journaliste américaine Ellen Ruppel Shell
traite des conséquences d’un tel système économique dans son ouvrage Cheap :
The High Cost of Discount Culture.[3] Elle y dénonce le fait que notre
alimentation bon marché repose notamment sur une production de bétail
génétiquement manipulé, nourri d’hormones et bourré d’antibiotiques, ainsi que
de champs inondés d’engrais et herbicides à base de pétrole. Les méga-fermes
états-uniennes qui fonctionnent sur ce modèle bénéficient de fonds publics et
sont ainsi en mesure d’imposer leur bas prix sur les marché mondiaux. Les
petites exploitations américaines et européennes, incapables de compétition
quant au prix, peuvent réagir en offrant des produits bio, par exemple, mais à
un prix supérieur, ce qui contribue aux inégalités en matière d’alimentation.
Les producteurs agricoles des pays en développement, toutefois, n’ont
généralement pas cette possibilité.
Les bas prix alimentaires sur les marchés
mondiaux, rendus possible grâce aux importantes ressources octroyées aux
méga-fermes américains par le gouvernement des États-Unis, favorisent
l’importation de nourriture plutôt que sa production dans de nombreux pays en
développement. Les bas prix ont de plus favorisé des politiques de réduction
des surplus de nourriture au détriment d’investissements dans la production
alimentaire et dans le support des fermiers locaux. Ainsi, lorsque la
production alimentaire s’est vue dépassée par la consommation, la rareté est
apparue de nouveau et les prix ont explosé, entraînant une crise alimentaire
importante.
L’auteure illustre ses propos à l’aide de
l’exemple que constituent la production, la distribution et la consommation de
crevettes. De nos jour, les crevettes ne sont plus le bien de luxe qu’elles ont
déjà représenté. Walmart est l’importateur de crevettes qui connaît la plus
importante croissance au monde. L’entièreté de la production de crevettes
s’effectue dans le sud global, où les plus démunis vivent aussi. En Thaïlande,
par exemple, à la fin des années 1970, les cultivateurs de crevettes ont
amélioré leur processus et la production s’est nettement intensifiée pour
répondre à la demande croissante du produit de plus en plus bon marché. Au
milieu de la décennie de 1980, des agriculteurs thaïlandais de tout le pays
avaient converti leurs plantations de riz et des milliers d’acres de la côte
pour la production de crevettes. Cette production à rabais nécessitant une main
d’œuvre à bas prix, ce sont majoritairement des travailleurs migrants
originaires de Birmanie, du Cambodge et du Vietnam qui y œuvrent. Ils ne
parlent pas la langue locale et sont victimes d’abus bien documentés, tels que
des heures supplémentaires non rémunérées, le travail des enfants, la torture
et le viol.
Alors que les intérêts gouvernementaux et
capitalistes ont pris le dessus au sein de l’industrie, ces exploitations ont
succombé, et s’en sont suivis la ruine de plusieurs, une dégradation de
l’environnement, la violation de droits humains et une violence qui ont
dépossédés des millions de personnes. La terre y est contaminée en permanence.
De plus, les Nations Unies ont rapporté que la coupe à blanc, pour la
production de crevettes, de végétaux aquatiques qui servaient de protection
contre les désastres naturels a contribué à la mort de plus de 250 000
personnes lors du tsunami de 2004 qui a dévasté la région.
Des problèmes surgissent plus près de chez
nous encore. On peut penser à la pression quant aux prix que les chaînes à
rabais telles que Walmart et Maxi exercent sur les petits commerçants locaux
qui doivent souvent fermer boutique suite à l’implantation de ces géants, ou
aux emplois précaires, peu payants qu’ils créent, et à ce qui s’est produit par
exemple lorsque les employés d’un Walmart du Québec ont tenté de se syndiquer
(la chaîne a fermé la succursale en question). Et tout cela est sans mentionner
les risques environnementaux et de santé publique qu’engendre une industrie
alimentaire mondialisée qui accorde une importance démesurée au prix, et au
sein de laquelle les biens sont produits trop loin de ceux qui les consomment,
rendant difficile l’application de précautions environnementales, de
protections des travailleurs et de régulations en matière de santé et sécurité.
On peut se questionner à savoir si Protégez-Vous devrait encenser
Walmart et compagnie de la sorte.
Pierre Hubert Leroux
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[1] Merci au commentateur Jean Richard,
du site web du quotidien Le Devoir, qui a intitulé son commentaire de la
sorte et qui m'a bien fait rire!
[2] Bérubé, G. (2016, 13 septembre). Le
panier d'épicerie est moins cher chez Walmart et Maxi. Le Devoir. Repéré
à
http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/479833/protegez-vous-le-panier-d-epicerie-est-moins-cher-chez-walmart-et-maxi?utm_campaign=Autopost&utm_medium=Social&utm_source=Facebook#link_time=1473774715
[3] Shell, Ellen Ruppel. (2009). Cheap :
The High Cost of Discount Culture. New York : Penguin Press.
Excellent article! En plus du plaisir que j'ai eu à le lire, ton article nous porte à réfléchir sur des sujets comme la mondialisation, le libre-marché, les conditions des travailleurs, etc, qui sont trop souvent obscurcis par la recherche, ou quasi-besoin, des bas prix.
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