Avez-vous déjà
entendu parler de la génération « boomerang »? Dans son article intitulé
Vers une génération sangsue? (https://www.lesaffaires.com/blogues/l-economie-en-version-corsee/vers-une-generation-sangsue/589775),
Olivier Schmouker traite des jeunes qui quittent le foyer et qui, pour de
diverses raisons, décident d’y revenir. Pour vous mettre en contexte, aux
États-Unis, ces jeunes situés dans la tranche d’âge des 20-29 représenteraient
environ 1/5 de cette population. Tenez-vous bien! Cette proportion des jeunes
au Canada environne les 2/5! Comment pouvons-nous comprendre ce phénomène?
L’auteur évoque
quelques indices pouvant nous aider à comprendre les raisons menant les jeunes
à revenir au domicile familial (ou simplement ne jamais l’avoir quitté), mais
ne nous informe pas sur les raisons de la différence Canada/É-U. Les cinq
raisons qui mènent les jeunes à revenir chez leurs parents sont 1) le coût
élevé des études, 2) l’incertitude économique, 3) la difficulté de trouver un
emploi approprié, 4) la dissolution d’une union amoureuse et 5) l’indécision
concernant l’avenir personnel ou professionnel (source : Statistique
Canada). Je me permets d’affirmer que toutes ces raisons sont de nature économique.
Schmouker voit dans la fin d’une union amoureuse la recherche de réconfort
auprès des parents, alors que je conçois cette fin de relation également comme
une fin de partenariat économique (davantage de recherches devront être cependant
faites à ce sujet) et donc une fragilité budgétaire se résolvant avec un retour
au domicile familial.
Ces difficultés
économiques qui gardent ces jeunes chez leurs parents peuvent très bien être
comprises, comme le suggère Schmouker, par les effets toujours ressentis de la
crise économique de 2008. L’incertitude concernant le lendemain et de possibles
jours meilleurs font que ces jeunes ne quittent pas le domicile ou y reviennent
après un départ. C’est sûr, on peut voir ça comme ça, mais essayons de penser
un peu plus loin (juste pour voir).
La crise de 2008
s’inscrit dans une société donnée. Appelons-la la société salariale (au sens
que lui donne Robert Castel)[1].
C’est une société où la majorité des gens qui travaillent touchent un salaire.
Ce salaire n’est pas seulement garant de la subordination employeur/employé et
ne représente certainement pas le point d’équilibre de la rencontre de l’offre
et la demande de travail. Ce salaire permet surtout à une personne d’accéder à
une condition : la condition salariale. Développement complexe et
historique dans l’Occident, cette condition permet à la personne d’adhérer à
diverses protections sociales, mais aussi (tenez-vous bien!) à la consommation!
Voilà où nous en
sommes. La crise économique de 2008 se situe dans une société salariale où la
consommation est ce qui permet de maintenir ce type de société en place. Je
sais ce que vous vous dites : « Mais où est-ce qu’il s’en va lui avec
tout ça, les jeunes là-dedans?! » J’y arrive justement. Cette même société
s’est transformée depuis l’avènement de la condition salariale. Elle a subi un
virage néolibéral réduisant fortement les conditions de travail (cela comprend
l’accès au temps plein, la syndicalisation, les avantages sociaux, etc.). Selon
Pierre Bourdieu, nous sommes à l’heure de la « flexploitation »[2]
(jeu de mots entre flexibilité et exploitation). Ces deux concepts, ou plutôt
réalités, sont vécus par beaucoup de travailleurs en Occident. Pour faire bref,
l’exigence de flexibilité par l’employeur mène les travailleurs à devoir
accepter des conditions ne leur permettant pas d’adhérer à des avantages
sociaux. Cette réalité est davantage vécue chez les jeunes que chez toutes les
autres tranches d’âge[3].
Revenons à nos
jeunes « boomerangs ». Ce retour au domicile, bien qu’il soit de
nature économique, peut être vu d’un autre angle. L’être humain, étant un
animal social, veut se sentir appartenir à sa société. Les jeunes n’y échappent
pas. La société d’aujourd’hui est une société salariale de consommation. La
consommation implique alors un sentiment d’appartenance chez l’individu (le
jeune également). Si le départ du domicile implique qu’il aura des difficultés
économiques et que sa capacité de consommation se voit largement limitée au
détriment du simple nécessaire de survie (ce que nous appelons précarité), son
sentiment d’appartenance à la société est donc mieux appliqué lorsqu’il demeure
chez ses parents (considérant que 90% de ces jeunes qui travaillent ne paient
pas pension). Se pourrait-il que cette génération boomerang tente d’échapper à
une nouvelle forme de condition de la classe salariale, cette nouvelle forme que
certains auteurs nomment (avec originalité) le « précariat »?
Maxime
Flibotte
[1] Castel, Robert. 1995. « La
société salariale », dans Les métamorphoses de la question sociale :
une
chronique du salariat, collection « folio
essais », Gallimard, France. Pp. 519-547; 601-620.
[2] Hamel,
Jacques. 2001, « Sur les notions de travail et de citoyenneté à l’heure de
la précarité »,
Labour/Le Travail, vol. 48. Pp. 109-123.
[3] Noiseux,
Yanick. 2015, « Transformation du travail et innovations
syndicales au Québec », Montréal : Presses
de l’Université du Québec, 276p.
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