mercredi 21 octobre 2015

Walmart et le salaire minimum

                En février dernier, Walmart annonçait une hausse du salaire horaire des 500 000 de ses employés aux États-Unis. Les « associés » au salaire minimum (7,25$ USD) ont vu leur taux horaire grimper à 9,00$ de l’heure et une seconde hausse de 1,00$ était prévue pour 2016. Ces augmentations font partie d’un programme de revalorisation salariale.
                
         Cette semaine, le géant du commerce au détail annonçait qu’il prévoyait une stagnation de ses ventes pour l’exercice fiscal 2015-2016. Les prévisions précédentes parlaient plutôt d’une croissance de 1 à 2%. Ce changement a eu des répercussions immédiates sur l’action de la compagnie qui a perdu presque 10% de sa valeur. Cette stagnation se traduirait par une baisse des profits de 6% à 12%.[i] Ce n’est pas le genre de « chute de prix » qui est apprécié des actionnaires et ceux-ci demanderont à Walmart de renouer avec la croissance au plus vite.

                De fait, on n’a pas tardé à critiquer le programme de revalorisation salariale et la seconde augmentation semble compromise. En tête des critiques, la US Chamber of Commerce en tête, le lobby du patronat américain auprès du gouvernement. Dans l’article publié le 18 octobre dans La Presse, on cite un membre du American Enterprise Institute, Michael Strain qui exprime le dilemme des entreprises qui voudraient augmenter les salaires :
« Ces entreprises risquent d’être écartelées entre deux logiques : séduire le grand public ou dorloter les actionnaires »[ii].
Au-delà de la volte-face possible de Walmart sur les augmentations, cette petite phrase contient tout le problème de la situation actuelle pour les travailleurs américains : ils sont complètement exclus de la réflexion des grands penseurs de l’entreprenariat. La dynamique est bipolaire : plaire au public ou plaire au marché de la bourse. La bipolarité devient-elle schizophrénie si on tente d’atteindre simultanément les deux objectifs ? Reste que les employés, eux, ne sont pas pris en compte. Ce n’est pas un fait nouveau : 85 ans en arrière, Kracauer écrivait :
                « Dans la définition du Conseil national pour la productivité, un mot brille par son absence : la personne ».[iii]
Productivité est le maitre mot. Une productivité ayant pour but unique le profit. Mais pas un mot sur l’action des travailleurs qui abattent toute la besogne. Pourquoi ? Ceux-ci n’ont rien compris à l’action. Pour faire de l’argent, il ne faut pas en commettre, des actions, il faut en posséder. En bref,  la croissance stagne et la productivité est menacée. Les actionnaires se sont plaint. La machine doit retrouver et vite la Très Sainte Voie de la croissance.

De l’autre côté, le public a salué les démarches de Walmart et sa nouvelle générosité envers ses employés. La compagnie a fait un effort. On lui pardonnera surement alors à de retarder un peu (ou pour toujours) la seconde augmentation prévue. Après tout, on est très très loin de l’époque (2013) ou certaines succursales de la compagnie demandait la charité à leurs clients dans le but d’aider leurs propres employés à s’offrir un souper de Thanksgiving décent.
Credit: Our Walmart

Annonce placée à l’entrée d’un magasin Walmart de l’Ohio en 2013[iv]

Faits ou idéologie ?

                Mais est-ce que c’est vraiment cette hausse de salaire qui plombe les prévisions de vente pour l’an prochain ? Premièrement, Walmart n’a pas annoncé de perte, mais moins de profits. Lors de douze derniers mois, le revenu net de la compagnie s’est chiffré à 15.49 milliards USD[v]. Dans le pire des cas, Walmart ne ferait « que » 13.63 milliards USD l’an prochain. Walmart a parlé d’une croissance nulle pour la prochaine année et non de recul. Pour l’année fiscale 2014, on peut voir sur le site de la compagnie qu’on a fait 482.2 milliards USD. De cette somme, 7.2 milliards ont été retournés aux actionnaires. À combien se chiffrait les augmentations prévues par le programme de revalorisation salariale ? À 1.5 milliard USD, en se fiant aux chiffres avancés par David Cooper de l'Economic Policy Institute de Washington, en toute fin du même article de La Presse (La partie qu’on ne lit pas)[vi]. Moins de 0.3% des revenus annuels de la compagnie. Si on choisit de ne pas procéder à la seconde augmentation, on choisit clairement de mettre l’argent dans une autre poche que celle des employés.

                Mais originalement, qu’est-ce qui se trouve derrière cet élan de générosité de la part de Walmart? Si on retourne en arrière dans le temps, quand un certain Henry Ford s’est rendu compte qu’en payant mieux ses employés, ceux-ci dépenseraient une partie appréciable de ce surplus chez leur propre employeur. On peut aussi se demander si ce n’est pas par volonté d’abaisser le taux de roulement de 40%[vii] (10 fois le taux dit acceptable)[viii] de la compagnie et de sauver d’importantes sommes sur la formation des nouveaux employés. Dans un tel cas, un second retour en arrière peut être intéressant, cette fois, à l’époque de Taylor ou toute la motivation du personnel se trouvait, croyait-on, dans le salaire. À l’instar de Taylor, le mot d’ordre chez Walton est productivité, encore et toujours. Mais qu’en est-il alors des chansons, de la culture Walmart et de tous les efforts mis pour humaniser l’entreprise ? Le facteur humain mis en éclairage par Elton Mayo a-t-il été instrumentalisé au point où il a perdu toute essence humaine ? A-t-on vraiment réussi à déshumaniser tout le processus d’humanisation et à le rendre aussi froid que le métal dont on fait les « bons outils » ? Est-ce que Walmart repêche ses employés des ressources humaines directement dans son rayon quincaillerie ? Ce que je retiens de cette visite dans le Monde Merveilleux de Sam, c’est que tout semble venir d’une autre époque, que l’on disait révolue, l’époque du bon vieux magasin général. Mais, attends un peu… Qu’est-ce qu’un Walmart sinon ce bon vieux magasin général poussé à l’extrême ??

Jocelyn Trottier





[i] http://www.wsj.com/articles/wal-mart-lower-sales-earnings-outlook-1444835896
[ii] http://affaires.lapresse.ca/economie/etats-unis/201510/18/01-4911139-le-debat-sur-le-salaire-minimum-relance-par-walmart.php
[iii] Kracauer, S. (2012). Les Employés : Aperçus de l'Allemagne nouvelle (1929) (1st éd.): Les Belles Lettres
[iv] http://www.forbes.com/sites/rickungar/2013/11/18/walmart-store-holding-thanksgiving-charity-food-drive-for-its-own-employees/
[v] http://www.wikinvest.com/stock/Wal-Mart_(WMT)/Data/Net_Income_To_Common
[vi] http://affaires.lapresse.ca/economie/etats-unis/201510/18/01-4911139-le-debat-sur-le-salaire-minimum-relance-par-walmart.php
[vii] http://www.chefs-entreprises.ca/pourquoi-walmart-a-vraiment-decide-daugmenter-ses-employes/
[viii] http://affaires.lapresse.ca/cv/201404/28/01-4761600-taux-de-roulement-les-dommages-collateraux.php

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