En
février dernier, Walmart annonçait une hausse du salaire horaire des 500 000 de
ses employés aux États-Unis. Les « associés » au salaire minimum
(7,25$ USD) ont vu leur taux horaire grimper à 9,00$ de l’heure et une seconde
hausse de 1,00$ était prévue pour 2016. Ces augmentations font partie d’un
programme de revalorisation salariale.
Cette
semaine, le géant du commerce au détail annonçait qu’il prévoyait une
stagnation de ses ventes pour l’exercice fiscal 2015-2016. Les prévisions
précédentes parlaient plutôt d’une croissance de 1 à 2%. Ce changement a eu des
répercussions immédiates sur l’action de la compagnie qui a perdu presque 10%
de sa valeur. Cette stagnation se traduirait par une baisse des profits de 6% à
12%.[i]
Ce n’est pas le genre de « chute de prix » qui est apprécié des
actionnaires et ceux-ci demanderont à Walmart de renouer avec la croissance au
plus vite.
De
fait, on n’a pas tardé à critiquer le programme de revalorisation salariale et
la seconde augmentation semble compromise. En tête des critiques, la US Chamber
of Commerce en tête, le lobby du patronat américain auprès du gouvernement.
Dans l’article publié le 18 octobre dans La Presse, on cite un membre du
American Enterprise Institute, Michael Strain qui exprime le dilemme des
entreprises qui voudraient augmenter les salaires :
« Ces entreprises
risquent d’être écartelées entre deux logiques : séduire le grand public
ou dorloter les actionnaires »[ii].
Au-delà de la
volte-face possible de Walmart sur les augmentations, cette petite phrase
contient tout le problème de la situation actuelle pour les travailleurs
américains : ils sont complètement exclus de la réflexion des grands
penseurs de l’entreprenariat. La dynamique est bipolaire : plaire au
public ou plaire au marché de la bourse. La bipolarité devient-elle
schizophrénie si on tente d’atteindre simultanément les deux objectifs ? Reste
que les employés, eux, ne sont pas pris en compte. Ce n’est pas un fait nouveau :
85 ans en arrière, Kracauer écrivait :
« Dans la
définition du Conseil national pour la productivité, un mot brille par son
absence : la personne ».[iii]
Productivité est le
maitre mot. Une productivité ayant pour but unique le profit. Mais pas un mot
sur l’action des travailleurs qui abattent toute la besogne. Pourquoi ? Ceux-ci
n’ont rien compris à l’action. Pour faire de l’argent, il ne faut pas en commettre,
des actions, il faut en posséder. En bref, la croissance stagne et la productivité est
menacée. Les actionnaires se sont plaint. La machine doit retrouver et vite la
Très Sainte Voie de la croissance.
De
l’autre côté, le public a salué les démarches de Walmart et sa nouvelle
générosité envers ses employés. La compagnie a fait un effort. On lui pardonnera
surement alors à de retarder un peu (ou pour toujours) la seconde augmentation
prévue. Après tout, on est très très loin de l’époque (2013) ou certaines
succursales de la compagnie demandait la charité à leurs clients dans le but
d’aider leurs propres employés à s’offrir un souper de Thanksgiving décent.
Annonce placée à l’entrée d’un magasin Walmart de l’Ohio
en 2013[iv]
Faits ou idéologie ?
Mais est-ce que c’est vraiment
cette hausse de salaire qui plombe les prévisions de vente pour l’an prochain ?
Premièrement, Walmart n’a pas annoncé de perte, mais moins de profits. Lors de
douze derniers mois, le revenu net de la compagnie s’est chiffré à 15.49
milliards USD[v]. Dans
le pire des cas, Walmart ne ferait « que » 13.63 milliards USD l’an
prochain. Walmart a parlé d’une croissance nulle pour la prochaine année et non
de recul. Pour l’année fiscale 2014, on peut voir sur le site de la compagnie
qu’on a fait 482.2 milliards USD. De cette somme, 7.2 milliards ont été
retournés aux actionnaires. À combien se chiffrait les augmentations prévues
par le programme de revalorisation salariale ? À 1.5 milliard USD, en se fiant
aux chiffres avancés par David Cooper de l'Economic Policy Institute de
Washington, en toute fin du même article de La Presse (La partie qu’on ne lit
pas)[vi].
Moins de 0.3% des revenus annuels de la compagnie. Si on choisit de ne pas
procéder à la seconde augmentation, on choisit clairement de mettre l’argent
dans une autre poche que celle des employés.
Mais originalement, qu’est-ce
qui se trouve derrière cet élan de générosité de la part de Walmart? Si on
retourne en arrière dans le temps, quand un certain Henry Ford s’est rendu
compte qu’en payant mieux ses employés, ceux-ci dépenseraient une partie appréciable
de ce surplus chez leur propre employeur. On peut aussi se demander si ce n’est
pas par volonté d’abaisser le taux de roulement de 40%[vii]
(10 fois le taux dit acceptable)[viii]
de la compagnie et de sauver d’importantes sommes sur la formation des nouveaux
employés. Dans un tel cas, un second retour en arrière peut être intéressant, cette
fois, à l’époque de Taylor ou toute la motivation du personnel se trouvait,
croyait-on, dans le salaire. À l’instar de Taylor, le mot d’ordre chez Walton
est productivité, encore et toujours. Mais qu’en est-il alors des chansons, de
la culture Walmart et de tous les efforts mis pour humaniser l’entreprise ? Le
facteur humain mis en éclairage par Elton Mayo a-t-il été instrumentalisé au
point où il a perdu toute essence humaine ? A-t-on vraiment réussi à
déshumaniser tout le processus d’humanisation et à le rendre aussi froid que le
métal dont on fait les « bons outils » ? Est-ce que Walmart repêche
ses employés des ressources humaines directement dans son rayon quincaillerie ?
Ce que je retiens de cette visite dans le Monde Merveilleux de Sam, c’est que
tout semble venir d’une autre époque, que l’on disait révolue, l’époque du bon
vieux magasin général. Mais, attends un peu… Qu’est-ce qu’un Walmart sinon ce
bon vieux magasin général poussé à l’extrême ??
Jocelyn Trottier
[i] http://www.wsj.com/articles/wal-mart-lower-sales-earnings-outlook-1444835896
[ii] http://affaires.lapresse.ca/economie/etats-unis/201510/18/01-4911139-le-debat-sur-le-salaire-minimum-relance-par-walmart.php
[iii] Kracauer, S. (2012). Les Employés
: Aperçus de l'Allemagne nouvelle (1929) (1st éd.): Les Belles Lettres
[iv] http://www.forbes.com/sites/rickungar/2013/11/18/walmart-store-holding-thanksgiving-charity-food-drive-for-its-own-employees/
[v] http://www.wikinvest.com/stock/Wal-Mart_(WMT)/Data/Net_Income_To_Common
[vi] http://affaires.lapresse.ca/economie/etats-unis/201510/18/01-4911139-le-debat-sur-le-salaire-minimum-relance-par-walmart.php
[vii] http://www.chefs-entreprises.ca/pourquoi-walmart-a-vraiment-decide-daugmenter-ses-employes/
[viii]
http://affaires.lapresse.ca/cv/201404/28/01-4761600-taux-de-roulement-les-dommages-collateraux.php
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