La Redoute et la réorganisation du temps
de travail basée sur le tirage au sort
Jeudi
8 octobre, David Pujadas[1]
nous annonce au cours du journal télévisé de 20h les débuts d’une nouvelle polémique au
sein de l’entreprise La Redoute à Wattrelos dans le nord de la France. En
effet, l’entreprise ouvrira une nouvelle usine en juin 2016 et elle a 7 mois pour
trouver un accord avec ses salariés afin de remettre en question l’organisation
du temps de travail.
Un
accord est-il possible ?
La
« solution » semble déjà toute prête pour les responsables de La
Redoute. Et pour cause, l’entreprise souhaite réorganiser le temps de travail
en soustrayant les 120 plages horaires de travail au profit de 2 seuls et uniques.
La première étant de travailler de 6h à 13h30 et la seconde de 14h à 21h30. La
« proposition » passe très mal pour les syndicats et également pour
les salariés, car étant très peu populaires au sein de l’entreprise, les
patrons envisagent de tirer au sort les salariés pour leur assigner leur
horaire de travail.
Pourquoi
de tels changements ?
Ce
qui motive l’entreprise c’est de s’adapter au marché. La Redoute est une
boutique en ligne de prêt-à-porter, meubles, électroménager et linge de maison.
Pour l’anecdote, on a tous déjà reçu chez soi le « fameux et très
volumineux » catalogue par la poste. Et après l’avoir feuilleté, il était
possible de commander en remplissant un formulaire papier. Seulement depuis
internet, La Redoute fonctionne avec son siteweb et se doit d’être compétitive tout en
satisfaisant le client dans les plus brefs délais. Cela, la marque l’a bien
comprise, elle promet aux acheteurs que leurs commandes seront livrées sous
24h. De plus, elle accepte les commandes en ligne jusqu’à 20h. Ainsi, terminer
à 21h20, permettrait aux employés de préparer les dernières commandes de la
journée pour les expédier.
Et
voilà, la solution est toute trouvée : l’entreprise réorganise le temps de
travail non pas en fonction de ses salariés, mais plutôt en fonction de ses
consommateurs ! Quelle idée brillante !
Que
dire de cette nouvelle « flexploitation » ? En effet, comme le
souligne Bourdieu, le salarié se doit d’être de plus en plus flexible pour son
employeur, ce qui renforce l’idée que le salarié est de plus en plus exploité[2].
Cependant, cette « flexploitation » apparaît de moins en moins
« directe » mais plutôt « stratégique » afin d’imposer de
nouvelles règles aux travailleurs sans que ces derniers ne puissent contredire.
Comme Dardot et Laval (2009) le soulignent, « la stratégie néolibérale
consistera alors à créer le plus grand nombre possible de situations de marché,
c’est-à-dire à organiser par divers moyens […] l’ “obligation de choisir”, afin
que les individus acceptent la situation de marché telle qu’elle leur est
imposée comme “réalité”, c’est-à-dire comme unique “règle du jeu” »
(Dardot & Laval ; 2009 : 301).
En
y réfléchissant bien et en se mettant à la place d’un salarié, si notre temps
de travail était complètement modifié et que ces changements allaient affecter
notre vie personnelle au vu de l’organisation à anticiper ;
accepterions-nous la situation ou préférions-nous démissionner et chercher un
emploi qui sache répondre à nos intérêts et attentes ? Mais, démissionner
est une décision lourde à prendre en considération, et ce, au vu de la
conjoncture actuelle, de la situation économique du pays et du taux de chômage
assez important en France (10,3% de la population active selon l’Insee)[3].
De plus, selon l’âge, le genre, la situation familiale et l’expérience de
travail, trouver un emploi devient extrêmement difficile. D’un autre côté,
accepter cette nouvelle organisation du temps de travail est également un choix
difficile, mais c’est un choix qui évite au salarié de tomber dans le « précariat »[4],
et ce, même si ces conditions de travail sont en désaccord avec ses intérêts et
ses attentes.
Comment
peut-on repenser l’évolution du travail à l’échelle de la mondialisation sans
tomber dans l’utopie de la fin du capitalisme ? Comment peut-on conjuguer
les attentes employés/employeurs et répondre à une logique de marché en
gardant à l’esprit que les solutions d’aujourd’hui ne seront plus celles de
demain ?
Bibliographie
Bourdieu,
1998. « La précarité est aujourd’hui partout », dans Contre-Feux. Paris.
Dardot et Laval. 2009. «
Discipline (1) : un nouveau système de disciplines » et « Discipline (3) : la
gestion néolibérale de l’entreprise », dans La nouvelle raison du monde :
essai sur la société néolibérale, La Découverte, Paris. Pp.
299-306 ; 309-314.
[1] Journaliste de la chaine
télévisée France 2 (groupe France Télévision).
[2]
Hamel,
Jacques. 2001, « Sur les notions de travail et de citoyenneté à l’heure de la
précarité », Labour/Le Travail, vol. 48. Pp. 109-123.
[4]
Standing,
Guy. 2011. « The Precariat », dans The Precariat : The New Dangerous Class, Bloomsbury,
New York. Pp. 1-25.
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