mercredi 14 octobre 2015

La Redoute et la réorganisation du temps de travail basée sur le tirage au sort

La Redoute et la réorganisation du temps de travail basée sur le tirage au sort

Jeudi 8 octobre, David Pujadas[1] nous annonce au cours du journal télévisé de 20h les débuts d’une nouvelle polémique au sein de l’entreprise La Redoute à Wattrelos dans le nord de la France. En effet, l’entreprise ouvrira une nouvelle usine en juin 2016 et elle a 7 mois pour trouver un accord avec ses salariés afin de remettre en question l’organisation du temps de travail.

Un accord est-il possible ?

La « solution » semble déjà toute prête pour les responsables de La Redoute. Et pour cause, l’entreprise souhaite réorganiser le temps de travail en soustrayant les 120 plages horaires de travail au profit de 2 seuls et uniques. La première étant de travailler de 6h à 13h30 et la seconde de 14h à 21h30. La « proposition » passe très mal pour les syndicats et également pour les salariés, car étant très peu populaires au sein de l’entreprise, les patrons envisagent de tirer au sort les salariés pour leur assigner leur horaire de travail.

Pourquoi de tels changements ?

Ce qui motive l’entreprise c’est de s’adapter au marché. La Redoute est une boutique en ligne de prêt-à-porter, meubles, électroménager et linge de maison. Pour l’anecdote, on a tous déjà reçu chez soi le « fameux  et très volumineux » catalogue par la poste. Et après l’avoir feuilleté, il était possible de commander en remplissant un formulaire papier. Seulement depuis internet, La Redoute fonctionne avec son siteweb et se doit d’être compétitive tout en satisfaisant le client dans les plus brefs délais. Cela, la marque l’a bien comprise, elle promet aux acheteurs que leurs commandes seront livrées sous 24h. De plus, elle accepte les commandes en ligne jusqu’à 20h. Ainsi, terminer à 21h20, permettrait aux employés de préparer les dernières commandes de la journée pour les expédier.

Et voilà, la solution est toute trouvée : l’entreprise réorganise le temps de travail non pas en fonction de ses salariés, mais plutôt en fonction de ses consommateurs ! Quelle idée brillante !


Que dire de cette nouvelle « flexploitation » ? En effet, comme le souligne Bourdieu, le salarié se doit d’être de plus en plus flexible pour son employeur, ce qui renforce l’idée que le salarié est de plus en plus exploité[2]. Cependant, cette « flexploitation » apparaît de moins en moins « directe » mais plutôt « stratégique » afin d’imposer de nouvelles règles aux travailleurs sans que ces derniers ne puissent contredire. Comme Dardot et Laval (2009) le soulignent, « la stratégie néolibérale consistera alors à créer le plus grand nombre possible de situations de marché, c’est-à-dire à organiser par divers moyens […] l’ “obligation de choisir”, afin que les individus acceptent la situation de marché telle qu’elle leur est imposée comme “réalité”, c’est-à-dire comme unique “règle du jeu” » (Dardot & Laval ; 2009 : 301).

En y réfléchissant bien et en se mettant à la place d’un salarié, si notre temps de travail était complètement modifié et que ces changements allaient affecter notre vie personnelle au vu de l’organisation à anticiper ; accepterions-nous la situation ou préférions-nous démissionner et chercher un emploi qui sache répondre à nos intérêts et attentes ? Mais, démissionner est une décision lourde à prendre en considération, et ce, au vu de la conjoncture actuelle, de la situation économique du pays et du taux de chômage assez important en France (10,3% de la population active selon l’Insee)[3]. De plus, selon l’âge, le genre, la situation familiale et l’expérience de travail, trouver un emploi devient extrêmement difficile. D’un autre côté, accepter cette nouvelle organisation du temps de travail est également un choix difficile, mais c’est un choix qui évite au salarié de tomber dans le « précariat »[4], et ce, même si ces conditions de travail sont en désaccord avec ses intérêts et ses attentes.

Comment peut-on repenser l’évolution du travail à l’échelle de la mondialisation sans tomber dans l’utopie de la fin du capitalisme ? Comment peut-on conjuguer les attentes employés/employeurs et répondre à une logique de marché en gardant à l’esprit que les solutions d’aujourd’hui ne seront plus celles de demain ?


Bibliographie

Bourdieu, 1998. « La précarité est aujourd’hui partout », dans Contre-Feux. Paris.

Dardot et Laval. 2009. « Discipline (1) : un nouveau système de disciplines » et « Discipline (3) : la gestion néolibérale de l’entreprise », dans La nouvelle raison du monde : essai sur la société néolibérale, La Découverte, Paris. Pp. 299-306 ; 309-314.





[1] Journaliste de la chaine télévisée France 2 (groupe France Télévision).
[2] Hamel, Jacques. 2001, « Sur les notions de travail et de citoyenneté à l’heure de la précarité », Labour/Le Travail, vol. 48. Pp. 109-123.
[4] Standing, Guy. 2011. « The Precariat », dans The Precariat : The New Dangerous Class, Bloomsbury, New York. Pp. 1-25.

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