mercredi 7 octobre 2015

Sur l'autel du libre marché

                En ce début de semaine la nouvelle fait la une de tous les journaux : un accord a été atteint quant à la forme finale du Partenariat transpacifique (PTP), âprement négocié depuis plus de cinq ans entre douze pays pour la plupart situés en Amérique du Nord et dans le Sud-Est asiatique.  La longue durée du processus s’explique par la profondeur des retombées économiques attendues, car par ce traité 40% de l’économie mondiale se voit soumise à un régime de libre-échange, source de reconfiguration des intérêts nationaux.  Les figures de proue du néolibéralisme se réjouissent sans surprise d’une telle expansion de la logique de marché, à commencer par le FMI et les nombreux représentants[1] des ministères de l’économie ayant participé aux discussions marquées par un manque de transparence.  Les réjouissances du monde des affaires ont été rapidement tempérées par de vertes critiques aux inquiétudes fort variées, résultat de l’étendue des domaines réformés.  Alors que la blogosphère américaine s’enflamme[2] à l’idée d’une réduction des libertés digitales par une surveillance accrue des activités des adresses IP, le Québec  s’est vu pris d’une polémique entourant l’industrie protégée qu’est l’agriculture[3], plus précisément la production laitière. 

                Au sein d’un argumentaire dominant faisant valoir les gains importants des consommateurs par une hausse de leur pouvoir d’achat, le cas de figure de l’agriculteur québécois apporte une dimension microsociale au débat et évoque l’image d’un vécu réel, bousculé par les réformes globales en cours.  Le Devoir a fait paraître à cet effet un entretien avec un agriculteur laitier de longue date, Christian Castonguay, pour qui le TPP représente le saccage de ses espoirs de retraite.  À ses yeux, les indemnisations proposées afin de pallier à l’entrée des producteurs étrangers sur le marché québécois (pour une proportion de 3,25%) sont nettement insuffisantes pour éponger les pertes à venir, estimées dans son cas à 13 000 $ par année.  C’est là une baisse dramatique puisque ses revenus sont acquis à titre de travailleur autonome, ou entrepreneur comme il préfère l’annoncer.  Hormis la faible sécurité procurée par la valeur variable de son quota de production, M. Castonguay se trouve face à la polyvalence de ses habiletés pour rendre profitable son entreprise, une activité octroyant à sa conjointe et lui de 20 000 à 25 000 $ par année pour 50 heures de travail chacun.  Sans profiter de la défense des fédérations agricoles amorphes devant les annonces gouvernementales, il voit une dévalorisation continue de sa profession.  Bien qu’elle représentait autrefois un métier stable doté de capitaux immobiliers assurant un niveau de vie décent jusqu’à sa passation à la relève, l’arrivée de la compétition mondiale dotée de ressources inégales (subventions gigantesques dans le cas des États-Unis) le rend précaire et réduit la prestance de sa contribution historique à la prospérité de la province.    Par le départ de son fils on assiste à un cas de figure toujours contemporain de l’exil urbain des jeunes générations ne trouvant pas un environnement propice au développement professionnel sur les terres familiales.   Il est frappant de constater la diffusion si large de la précarité au regard de cet exemple somme toute banal : souvent attribuée à la jeunesse, aux femmes et aux minorités ethniques, Christian n’en est pas moins un icône par la fragilité de son travail autonome, privé de tout filet de sécurité face aux aléas du marché mondial. 




[1] http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/451838/partenariat-transpacifique-le-quebec-sort-gagnant-dit-le-gouvernement
[2] https://www.eff.org/deeplinks/2012/08/dont-let-them-trade-away-our-internet-freedoms
[3] http://www.ledevoir.com/politique/canada/451843/quand-l-agriculteur-s-estime-sacrifie

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