mardi 6 octobre 2015

Le Commun, une autre approche du travail en communauté

Le site français d'information rue89 a récemment publié un article sur les communautés de pêcheurs et de pêcheuses de Sanary-sur-Mer [1]. Ces petits groupements portent un nom : prud’homie. On y élit des prud’hommes qui réglementeront les conditions de pêche. Il n'est pas question de lourdes décisions bureaucratiques, mais simplement que les membres se répartissent l'espace de pêche afin que l'ensemble de la communauté puisse profiter de la mer. Ils et elles partent du principe que la mer est un bien commun est que toutes et tous doivent pouvoir vivre de leur métier. Pas de productivisme en vu, l'idée est que tout le monde profite en faisant attention de ne pas épuiser les ressources. Cette conception du partage d'un bien entre utilisateurs et utilisatrices est appelée un Commun.

Réalité historique, les communs existent depuis toujours. On peut prendre pour exemple les prud'homies qui existent depuis le moyen âge [2]. On peut aussi parler du système d'irrigation d'Oman qui existe depuis environ 1500 ans. La gestion des 5 systèmes d'irrigation se fait par les collectivités qui en dépendent [3]. Le système a pour but de faire un partage équitable des ressources. Loin du pessimisme de Garrett Hardin et de sa tragédie des communs, théorie qu'il développe à la fin des années 60 où il explique que les biens communs finissent toujours par être surexploité et qu'il ne resterait plus qu'à privatiser ou qu'à nationaliser l'ensemble des ressources [4]. Cette idée, qui est majoritairement répandue dans l'imaginaire politique, n'est pas la seule solution. Le travail de l'économiste Elinor Ostrom fait aujourd'hui référence dans le domaine des communs. En s'appuyant sur l'observation des pratiques locales, elle fait ressortir plusieurs conditions nécessaires à la bonne gestion d'un commun [5]. Ces règles sont la définition des groupes concernés, la prise en compte des besoins locaux, la capacité de l'ensemble des acteurs à pouvoir modifier ces règles, l'accessibilité aux outils de résolution des conflits à tous et toutes et surtout le respect de ces règles par les instances supérieures tels les états. La gestion d'un commun est une autre manière de travailler ensemble autour d'une ressource.

Cette utilisation des ressources pourrait être appliquée à de nombreux domaine, que ce soit dans le partage d'une ressource naturelle comme pourrait l'être les forêts, les océans ou les abeilles, qui disparaissent [6] déclenchant un effet domino sur les arbres fruitiers. La notion de commun est réapparue en premier lieu sur les internets. La communauté open source s'appuie sur des règles semblables où l'ensemble des utilisateurs et utilisatrices ont accès à l'application, aux codes sources et peuvent les modifier [7]. Les licences Creative Commons proposent des conditions d'utilisation encouragent le partage et l'utilisation à des fins non commerciales [8]. On retrouve des entreprises comme Google ou Flickr qui proposent ce type de licences dans leurs produits. Wikipédia offre une perspective très intéressante dans le domaine du partage de savoirs et de la vulgarisation de par son fonctionnement incitant au débat entre les rédacteurs et rédactrices pendant la démarche de modification.

Ce mode de fonctionnement propose une nouvelle approche du travail dans une communauté. Le partage des outils, la capacité des membres à prendre des décisions touchantes directement leur condition. Le partage de la ressource et la gestion de celle-ci par ceux qui l'utilisent encouragent à penser le commun sur le long terme, en prenant en compte les besoins de tous et toutes. D'un point de vue réel, la prise en compte du local se révèle essentielle pour que ceux et celles qui utilisent une ressource. L'application des normes à des niveaux continentale montre aujourd'hui ces limites, imposant des conditions bureaucratiques absurdes dans un contexte local [10]. Utopique de penser local dans la mondialisation ? Nécessaire, pour préserver nos ressources. Sur le web, on imagine déjà de nouvelles manières de créer, ensemble, sans frontières, en incluant ceux et celles qui désirent participer comme dans des projets de santé publique comme celui de l'Open Source Drug Discovery (OSDD) [11].

Et l'argent dans tout cela ? L'accès aux ressources autant virtuelles que naturelles permet de créer et donc ensuite commercialiser ces biens, non pas à un niveau mondial, mais plutôt local en laissant la place aux autres. D'autres idées se développent, comme celle d'un salaire à vie de Bernard Friot, estimant que le travail n'est pas uniquement salarié (aujourd'hui, seulement celui qui créer du capital est reconnu), sans prendre en compte le travail conjugal ou bénévole. En conséquence, nous mériterions toutes et tous un salaire [12].Il propose, par ailleurs, la gestion des outils de productions (par exemple des usines) par ceux et celles qui l'utilisent. Alors, pourquoi ne pas aussi voir les biens de production comme des communs ?

Des solutions alternatives existent et se développent aujourd'hui autour des communs. L'entre aide et le partage me paraissent une bonne solution d'avenir.

Leo Marti

[1] NOYON, Rémo, « « La mer n’appartient à personne » : et si ces pêcheurs avaient tout compris ? », Rue8, 05.10.2015.
[2] Ibid.
[3] Patrimoine mondiale, « Systèmes d’irrigation aflaj d’Oman », UNESCO. En ligne au <http://whc.unesco.org/fr/list/1207>, consulté le 5 octobre 2015.
[4] Fabien Locher, « Les pâturages de la Guerre froide : Garrett Hardin et la « Tragédie des communs » », Revue d'histoire moderne et contemporaine, vol. 2013, no 1,‎ 2013, p. 7-36.
[5] Hervé Le Crosnier. « Elinor Ostrom ou la réinvention des biens communs ». Le Monde diplomatique, juin 2012.
[6] MARCEAU, Ginette et Lou SAUVAJON, « Le péril des abeilles », Ici Radio-Canada, 25.02.2015. En ligne au <http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/special/2015/02/abeilles/>, consulté le 5 octobre 2015.
[7] Free Software Fondation (FSF), « What is free software », FSF. En ligne au <https://www.fsf.org/about/what-is-free-software>, consulté le 5 octobre 2015.
[8] Creative Commons, « About », Creative Commons. En ligne au <http://creativecommons.org/about>, consulté le 5 octobre 2015.
[9] Wikipedia, « Wikipédia en bref », Wikipédia. En ligne au <https://fr.wikipedia.org/wiki/Aide:Wikip%C3%A9dia_en_bref>, consulté le 5 octobre 2015.
[10] NOYON, Rémo, Loc. cit.
[11] CASTRO, Christophe, « Tuberculose : la résistance s’organise sur le Web », Inrality, 24.03.2013. En ligne au <http://www.inriality.fr/sante/open-source/collaboration/tuberculose-la-resistance/>, consulté le 5 octobre 2015.
[12] FRIOT, Bernard, L'enjeu du salaire, 2012, Paris, éd. La Dispute.

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