Dans la section idées du journal Le Devoir, édition du 23
septembre 2015, était publié un article intitulé L’étoffe d’une infirmière.
Ce court texte d’une infirmière du nom de Véronique Bélisle aborde les
transformations des conditions de travail à l’ère des compressions dans le
secteur de la santé.
Cet article évoque la déshumanisation du
travail relationnel qui s’opère présentement dans le milieu de la santé. Les
lignes écrites par cette dernière font état des nouvelles conditions de travail
qui s’instaurent progressivement dans les hôpitaux du Québec. « [Q]ue ma
« charge de patients » est augmentée, que le personnel malade ne sera
pas remplacé, que les heures supplémentaires nécessaires pour terminer les
tâches en cours dans mon quart de travail ne seront plus payées et qu’on enlève
ces aides précieuses que sont les infirmières auxiliaires et les préposées aux
bénéficiaires. » (Le Devoir 2015). Par la suite, l’infirmière renchérit,
le personnel est soumis à une contrainte toujours plus pesante de paperasse
administrative à remplir au détriment d’une présence accrue du personnel dans
les couloirs de l’établissement. Ainsi, les membres du corps médical en arrivent
à sauter les pauses, les repas et à travailler gratuitement afin d’éviter que
ce soit les patientEs qui écopent. Une pression énorme repose donc sur
l’ensemble du personnel.
Le travail de soin, comme celui de
l’enseignement à plusieurs égards, est perçu par un lot important de personnes
comme une vocation. Cette appellation semble mieux désigner ces activités
professionnelles puisqu’elle est synonyme d’une forte implication émotive et
relationnelle d’une part, puis d’un engagement important envers les populations
auprès desquelles ces personnes travaillent d’autre part. Le dévouement, ici
perçu comme la condition sine qua non
d’un bon service et d’un bon traitement, peut à tort, se travestir en outil de
contrôle pour les gestionnaires.
On le néglige souvent, mais les conditions
de travail du personnel de santé sont également les conditions de soin et de
traitement des patients. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en dépit des
compressions et restructurations qui affligent le milieu, les conséquences
s’avèrent être moins désastreuses. En effet, pour des considérations éthiques,
morales et humaines, les intervenantEs du milieu de la santé sont prêtEs à
pallier les coûts de la réduction de service.
De cette réalité peut émaner de nombreuses
conséquences dont les exemples les plus patents seraient : une
augmentation des risques d’accident de travail, d’erreurs médicales, du taux
d’absentéisme, du nombre d’arrêts de maladies. Comment en viendra ainsi le
système de santé à panser ses maux? En comptant sur l’implication indéfectible
de ses membres pour leurs patients.
La gestion néolibérale s’applique maintenant à la gestion des
services publics. La volonté d’imposer de plus en plus de temps partiel et de
travail sur appel (Le Devoir, 14 octobre 2015) constitue une décision
exemplaire de l’application de ce nouveau mode de gestion. Tel que le mentionnent
Dardot et Laval, « la gestion néolibérale, que certains acteurs appellent (…) l’« autocontrôle» vise à
la fois à (…) faire intérioriser par
les salariés les nouvelles normes d’efficacité productive et de performance
individuelle » (2009, 309-10). Il ne s’agit ainsi plus d’offrir des soins
de qualité jumelés à une approche humaine, mais bien de soigner le plus grand
nombre de patientEs possibles afin d’assurer le meilleur roulement qui soit. D’ailleurs,
tel que mentionné dans l’article Vote de grève chez les infirmières (Le
Devoir, 14 octobre 2015), le désir du gouvernement de ne pas instaurer un ratio
fixe de patientEs par infirmière et infirmier en témoigne. Le milieu de la
santé est également marqué par « une surveillance plus diffuse des comportements
» (Ibid., 311). En effet, l’imposition accrue de suivis, de documents, de
rapport et de compte-rendu diminue la marge d’autonomie tout en accentuant le
contrôle des comportements, des pratiques ainsi que du temps dédié à chaque
tâche et fonction. Finalement, les remaniements organisationnels ont pour
caractéristiques de déplacer les tâches et les objectifs vers les individus
plutôt que vers des unités ou des départements
« faisant [ainsi] reporter la responsabilité de l’accomplissement
des objectifs sur l’individu seul » (Ibid., 313). Sans même que les
gestionnaires aient à s’impliquer outre mesure dans la gestion des services
offerts, les employéEs, par éthique professionnelle, en viendront à faire
preuve d’autorégulation.
La déshumanisation implique ainsi une mobilisation de l’affect
du personnel soignant afin de minimiser les coupes et leurs conséquences.
Ainsi, il devient possible d’augmenter la productivité et de réduire les coûts.
Or, le surinvestissement des professionnelLEs ne se fera pas sans conséquence,
et ce, aussi bien pour les travailleuses et travailleurs que pour les
patientEs.
Bibliographie :
Dardot et Laval. 2009. « Discipline
(1) : un nouveau système de disciplines » et « Discipline (3) : la gestion
néolibérale de l’entreprise », dans la nouvelle raison du monde : essai sur la
société néolibérale, La Découverte, Paris. Pp. 299-306; 309-314
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