mercredi 14 octobre 2015

La déshumanisation du travail dans le milieu de la santé



Dans la section idées du journal Le Devoir, édition du 23 septembre 2015, était publié un article intitulé L’étoffe d’une infirmière. Ce court texte d’une infirmière du nom de Véronique Bélisle aborde les transformations des conditions de travail à l’ère des compressions dans le secteur de la santé.   
     Cet article évoque la déshumanisation du travail relationnel qui s’opère présentement dans le milieu de la santé. Les lignes écrites par cette dernière font état des nouvelles conditions de travail qui s’instaurent progressivement dans les hôpitaux du Québec. « [Q]ue ma « charge de patients » est augmentée, que le personnel malade ne sera pas remplacé, que les heures supplémentaires nécessaires pour terminer les tâches en cours dans mon quart de travail ne seront plus payées et qu’on enlève ces aides précieuses que sont les infirmières auxiliaires et les préposées aux bénéficiaires. » (Le Devoir 2015). Par la suite, l’infirmière renchérit, le personnel est soumis à une contrainte toujours plus pesante de paperasse administrative à remplir au détriment d’une présence accrue du personnel dans les couloirs de l’établissement. Ainsi, les membres du corps médical en arrivent à sauter les pauses, les repas et à travailler gratuitement afin d’éviter que ce soit les patientEs qui écopent. Une pression énorme repose donc sur l’ensemble du personnel.
     Le travail de soin, comme celui de l’enseignement à plusieurs égards, est perçu par un lot important de personnes comme une vocation. Cette appellation semble mieux désigner ces activités professionnelles puisqu’elle est synonyme d’une forte implication émotive et relationnelle d’une part, puis d’un engagement important envers les populations auprès desquelles ces personnes travaillent d’autre part. Le dévouement, ici perçu comme la condition sine qua non d’un bon service et d’un bon traitement, peut à tort, se travestir en outil de contrôle pour les gestionnaires.
     On le néglige souvent, mais les conditions de travail du personnel de santé sont également les conditions de soin et de traitement des patients. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en dépit des compressions et restructurations qui affligent le milieu, les conséquences s’avèrent être moins désastreuses. En effet, pour des considérations éthiques, morales et humaines, les intervenantEs du milieu de la santé sont prêtEs à pallier les coûts de la réduction de service.
     De cette réalité peut émaner de nombreuses conséquences dont les exemples les plus patents seraient : une augmentation des risques d’accident de travail, d’erreurs médicales, du taux d’absentéisme, du nombre d’arrêts de maladies. Comment en viendra ainsi le système de santé à panser ses maux? En comptant sur l’implication indéfectible de ses membres pour leurs patients.
La gestion néolibérale s’applique maintenant à la gestion des services publics. La volonté d’imposer de plus en plus de temps partiel et de travail sur appel (Le Devoir, 14 octobre 2015) constitue une décision exemplaire de l’application de ce nouveau mode de gestion. Tel que le mentionnent Dardot et Laval, « la gestion néolibérale, que certains acteurs appellent (…) l’« autocontrôle» vise à la fois à (…) faire intérioriser par les salariés les nouvelles normes d’efficacité productive et de performance individuelle » (2009, 309-10). Il ne s’agit ainsi plus d’offrir des soins de qualité jumelés à une approche humaine, mais bien de soigner le plus grand nombre de patientEs possibles afin d’assurer le meilleur roulement qui soit. D’ailleurs, tel que mentionné dans l’article Vote de grève chez les infirmières (Le Devoir, 14 octobre 2015), le désir du gouvernement de ne pas instaurer un ratio fixe de patientEs par infirmière et infirmier en témoigne. Le milieu de la santé est également marqué par « une surveillance plus diffuse des comportements » (Ibid., 311). En effet, l’imposition accrue de suivis, de documents, de rapport et de compte-rendu diminue la marge d’autonomie tout en accentuant le contrôle des comportements, des pratiques ainsi que du temps dédié à chaque tâche et fonction. Finalement, les remaniements organisationnels ont pour caractéristiques de déplacer les tâches et les objectifs vers les individus plutôt que vers des unités ou des départements  « faisant [ainsi] reporter la responsabilité de l’accomplissement des objectifs sur l’individu seul » (Ibid., 313). Sans même que les gestionnaires aient à s’impliquer outre mesure dans la gestion des services offerts, les employéEs, par éthique professionnelle, en viendront à faire preuve d’autorégulation.  
La déshumanisation implique ainsi une mobilisation de l’affect du personnel soignant afin de minimiser les coupes et leurs conséquences. Ainsi, il devient possible d’augmenter la productivité et de réduire les coûts. Or, le surinvestissement des professionnelLEs ne se fera pas sans conséquence, et ce, aussi bien pour les travailleuses et travailleurs que pour les patientEs.  

Bibliographie :

Dardot et Laval. 2009. « Discipline (1) : un nouveau système de disciplines » et « Discipline (3) : la gestion néolibérale de l’entreprise », dans la nouvelle raison du monde : essai sur la société néolibérale, La Découverte, Paris. Pp. 299-306; 309-314





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