Alors que cinq des
salariés d'Air France impliqués dans l'incident ayant coûté une
chemise à un cadre de l'entreprise ont été mis en accusation hier,
le 13 octobre, la question de la violence structurelle a de nouveau
été abordée dans le débat public. Après les déclarations chocs
de Jean-Luc Mélanchon qui avait appuyé sans détours les salariés
d'Air France en colère contre le plan de restructuration de
l'entreprise – ce qui lui a valu d'être coupé en direct par le diffuseur
télé - c'est au tour de l'acteur Xavier Mathieu de
prendre la parole pour défendre les salariés. Ancien
militant syndical chez Continental – une entreprise de pneus qui
avait en 2009 fermé son usine de Clairoix, provoquant ainsi 1500
mises à pied – Xavier Mathieu y est allé d'une intervention bien
sentie contre le double standard médiatique qui, dit-il, procède à
un “lynchage des camarades qui se battent” et oublie, en même
temps, la violence structurelle dont sont vicitmes les travailleurs
et les travailleuses licencié-es.
“Le carnage que ça
engendre ces licenciements, c'est quoi à côté d'une chemise
arrachée ? ... Vous avez fait la une avec les oeufs lancés sur le
directeur de Continental à l'époque, vous avez crié au scandale,
vous nous avez traités de voyous, et les dirigeants de Continental
ils n'ont jamais étés en garde à vue, et pourtant il y a eu des
morts. Il y a 500 mecs qui sont encore au chômage aujourd'hui, il y
a 200 mecs qui sont au RSA (ndlr: une sorte d'aide sociale d'environ
450 euros mensuellement), il y a à peu près 400 divorces, 5
suicides, voilà les conséquences... Le grand patronat, ceux que vous protégez avec la chemise arrachée, il y a des centaines de morts, même des gens qui meurent au travail” a-t-il déclaré sur les ondes
du Grand Journal.
Ce vers quoi les
interventions publiques de Mélanchon et de Mathieu pointent, c'est
une forme de violence invisible, souvent insidieuse, qui s'exerce sur
ses vicitimes par les effets structurels et institutionnels de
décisions politiques et économiques: c'est ce que l'on appelle la
violence structurelle. Définie par l'antrhopologue Guadalupe Salazar
comme “une forme de violence qui inflige des dommages de manière
indirecte, immatérielle et invisible”, la violence structurelle a
des “particularités qui défient la comptabilité. L’obscurité
de sa nature rend la violence structurelle insidieuse, car le blâme
et la culpabilité ne peuvent pas être aisément attribués à sa
source réelle ; ils ont plutôt tendance à être attribués à
tort à ceux qui en sont victimes.”
Non seulement cette violence des ouvriers, en réaction aux
profonds boulversements qui frappent leurs vies, est-elle montée en
épingle pour être dénoncée, mais elle procède d'une victimisation des
bourreaux qui sert pleinement la reproduction de cette violence
structurelle. Pour qu'une telle violence puisse s'exercer, il faut en
effet que s'imposent “des significations du monde social dans
lequel nous vivons” (Parazelli 2008) qui ont pour effet de rendre
invisible la violence structurelle et les rapports de forces dans
lesquels elle s'inscrit. Les conséquences
sociales de la restructuration d'Air France est ici effectivement invisibilisée au regard de certains aspects plus
spectaculaires de la réaction des employés, qui prend une forme
plus directe et plus facilement visible de violence, même si, comme
le soulignait Xavier Mathieu, les incidents réellement graves en
termes de conséquences physiques ou morales sont encore
rares. Mais, dit-il, elles pourraient bien aller en s'aggravant.
Et il se peut qu'il voit juste. La flexibilisation des flux de travail, qui mène au développement des réseaux de sous-traitance et aux délocalisations, apporte en effet avec elle une dose de cette violence structurelle envers les salariés et leurs communautés qui réagissent jusqu'ici "comme un bon labrador dont on peut tirer le poil." Mais quand leur maison où leurs petits sont menacés, même les chiens les plus gentils vont mordre, averti l'acteur. Or de plus en plus la flexibilisation du travail mène à la création d'un précariat au statut instable (Standing 2011), les restructurations comme celles d'Air France semblant devenir une norme plutôt qu'une exception (Raveyre 2005).Si Xavier Mathieu a raison, cette évolution pourrait bien être porteuse d'une violence ouvrière qui risque d'exploser un jour au visage du patronat.
Parazelli, Michel.
2008. « Violences structurelles ». Nouvelles pratiques
sociales, vol. 20, no 2, p. 3.
Salazar, Guadalupe (2006). « Politiques des enfants de la rue au Chili ». Anthropologie et Sociétés, vol. 30, no. 1, 75-96
Standing, Guy. 2011.
« The Precariat », dans The Precariat : The New Dangerous Class, Bloomsbury, New
York.
Mathieu Jean
Mathieu Jean
Aucun commentaire:
Publier un commentaire