Le
New York Times a publicisé lundi
dernier une dispute l’opposant depuis quelques mois à Amazon, géant américain de la vente de produits en ligne. L’histoire s’est amorcée en août dernier
alors que le journal souhaitait mener un dossier sur ses pratiques de travail
pour le moins particulières, proclamant sans gêne la priorité accordée à la
performance et à la satisfaction du consommateur. C’est là une approche distante de l’image
projetée par les grandes entreprises de la technologie, notamment Apple et Google pour qui le bien-être du travailleur et de la travailleuse
est gage de créativité, et ainsi de productivité. Limitée par le management d’Amazon à quelques
entretiens auprès de représentants et représentantes soigneusement
sélectionnéEs, le Times a jugé nécessaire de compléter le portrait d’ensemble
par les témoignages d’employéEs pour qui l’aventure amazonienne était arrivée à
son terme, souvent prématurément. En
effet, l’ensemble comporte des allures cauchemardesques, alors que l’un d’entre
eux affirme avoir assisté à des crises de larmes de la part de la totalité de
ses collègues. La sacro-sainte
performance est selon eux et elles acquise au prix d’un environnement de
travail toxique, héritage direct de la philosophie du président-directeur général
Jeff Bezos. Les méthodes de ses
compétiteurs ne représentent à ses yeux que la complaisance d’une bureaucratie
inefficace devant laisser sa place pour survivre au XXIe
siècle à une confrontation active des idées.
Si en principe elle doit procéder à une élimination darwinienne des
idées (et individus) jugés trop faibles pour justifier partie prenante à
l’entreprise, ce ton se traduit selon les interviewéEs en une hostilité
injurieuse lors des échanges en meeting ou encore par des dénonciations sous le
couvert d’un système de communication interne élaboré expressément à cet
effet. À cette violence interpersonnelle
s’ajoute une utilisation des données continuellement collectées sur les
agissements des employéEs, outil de surveillance permettant de chiffrer
l’adhésion au rythme infernal exigé de chacun et chacune.
Le
dossier établi correspond de près aux avertissements lancés par Pierre Bourdieu
il y a une dizaine d'années, où à ses dires l’essence du néo-libéralisme n’était non
plus un simple retrait de l’État des affaires du marché mais bien un effort
concerté du capital et du politique pour détruire les collectifs de travail au
profit d’une compétition individuelle. C’est
par cette voie que l’employeur sera à même de mener des négociations individualisées
des conditions de travail, un contexte bien plus avantageux pour maximiser ses
gains. La surprise n’est donc pas
l’application de tels principes depuis longtemps recensés en théorie mais l’impudence
de leur mise en place, présentés comme fondements d’une éthique de travail
idéale. Cette vision comporte pourtant
des torts majeurs pour la santé mentale des travailleurs et travailleuses de
même que pour les membres de leur famille ―comment pourrait-il en être
autrement lorsque 85 heures par semaine sur le lieu de travail sont chose
commune. La création d’une solidarité
familiale artificielle ne suffit plus à contenir les échos négatifs jaillissant
de ces pratiques, d’où la nécessité sentie par Google de masquer les exigences
ardues par un campus alléchant et des conditions plus accommodantes. Le flux constant de nouvelles recrues avides de se lancer dans cette machine témoigne sans doute de l'intériorisation de l'inéluctabilité autoproclamée du dogme néo-libéral par une frange de la jeunesse américaine.
La réponse
d’Amazon par le biais de Medium, site
de partage d’histoires variées, est d’autant plus surprenante qu’elle attaque
la crédibilité des sources du journal en affirmant qu’une d’entre elle maintient
un grief contre l’entreprise suite à son congédiement pour fraudes
commises. Cette information n’a pu être
confirmée par l’employé concerné ni aucun de ses collègues interrogéEs par le New York Times.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire