vendredi 2 décembre 2016

Le continuum du travail étudiant

Ce court billet est un résumé et une réflexion personnelle. Il s’inspire des éléments théoriques abordés dans le cadre du cours et d’un texte intitulé Payer pour travailler, travailler sans être payés. Ce texte a été rédigé par le Comité unitaire sur le travail étudiant (CUTE) du cégep Marie Victorin le 12 mai 2016[1]. Selon moi, c’est un excellent article qui illustre l'exploitation des étudiant-es lors de leurs stages non-rémunérés (et même quand illes sont rémunéré-es...). Au Canada, environ 100 000 à 300 000 stages sont non rémunérés et depuis 1990, on observe une croissance de ces stages dans nos universités et dans nos cégeps...

Tout d'abord, les stages sont réservés à des emplois qui sont permanents, pourtant, les étudiant-es y obtiennent un poste temporaire. On y réfléchit souvent comme si nous c'est un mal nécessaire, et puis qu'un stage, c’est une belle ligne à ajouter sur notre CV! Pour ma part, c'est une question de fausse conscience. En fait, c'est une stratégie - parmi tant d'autres - d’exploitation apparente pour dociliser la main-d'oeuvre et faire miroiter les possibilités aux gens un jour d'avoir un emploi permanent à temps plein. Les organisations veulent surtout diminuer leurs coûts de production à travers différentes formes de flexibilisation. Par exemple, dans un contexte économique défavorable pour toutes sortes de raison, une entreprise peut avoir des postes à temps plein/partiel permanent pour les remplacer par des stages. L'inverse est également valable: le texte contexte économique est favorable et on vous embauche à titre de stagiaire à travers un programme gouvernemental/scolaire pour faire encore plus de profits. Il n'y a presque aucun coût pour l'employeur à vous former, parce que vous payez déjà votre formation. Alors, pourquoi embaucher un-e salarié-e? Votre force de travail est sans coût[2] et lui convient parfaitement. Il peut soit vous embaucher de façon permanente par la suite parce que vous avez le capital humain dont il a besoin ou bien il peut vous jetez aux ordures.
Par ailleurs, un stage étudiant, c'est aussi essentiellement comme les autres stages, c’est un processus d'individualisation du travail. Vous devez grimper la hiérarchie de la qualification et vous devez mériter votre place dans l'organisation. Vous êtes dans la « contrainte-implication »: vous devez vous « forcer » pour avoir une bonne évaluation de votre employeur sinon, vous n'aurez peut-être un prochain stage. On vous demande de vous investir toujours plus en augmentant votre nombre tâches en pourcentage par rapport à un-e professionne-lle à temps plein de votre secteur d'emploi. Sauf que vous n'avez encore une fois aucune garantie. Sous la direction d'un gouvernement néolibéral, les universités et les cégeps agissent presque comme des agences de placement de luxe en payant les étudiant-e-s à coup de crédits scolaire (diplôme). Nous nous endettons et nous payons pour notre propre exploitation.
À mon sens, nous pouvons affirmer l’existence des flux du travail étudiant temporaire. Et comme il est démontré dans ce texte, les jeunes, les femmes (notamment en enseignement) et les immigrant-es en sont les premier-ères concerné-es. Pas facile « performer » quand on est aux intersections les plus vulnérables, que notre employeur nous discrimine et nous menace en fonction de différentes caractéristiques et surtout lorsqu’on n’a pas de ressources et peu de support. Par conséquent, les stages étudiants comme stratégie de revalorisation du capital reproduisent des rapports de dominations multiples (division sexuelle et sociale du travail) au sein de catégories variées (race, genre, âges).
Dans cette optique, le gouvernement québécois crée un statut spécial aux étudiant-es et cela a pour effet de nous mettre en compétition avec des travailleur-euses étudiant-es. Pourquoi faire la lutte des classes entre nous et ne pas exiger que tous les stages soient rémunéré? L’objectif du CUTE est de contrer ces phénomènes. Les contraintes de marchés sont puissantes, c’est la loi du plus fort : celui ou celle qui décroche le meilleur stage, qui aura la meilleure évaluation, qui aura peut-être le privilège de décrocher un stage rémunéré après quelques expériences, etc. Il y a une certaine rhétorique du sens commun qui stipule qu’un stage étudiant c’est comme un emploi étudiant, que c’est un passage temporaire et obligatoire. Ce type de discours banalise totalement une violence symbolique et quotidienne que vivent certain-es étudiant-es : t’es en apprentissage, tu ne produis pas de la richesse, ou du moins, des connaissances dites scientifiques (il te manque ton papier quand même!).
Pour poursuivre sur cette contrainte de statut, le statut de stagiaire engendre l'exclusion des étudiant-es de certaines disposions prévues par la loi sur les normes du travail (LNT) parce qu'illes n'ont pas le statut de salarié-es. Comme il est expliqué dans le texte, cela permet aux employeurs de comprimer les coûts de production et cela barre l’accès aux étudiant-es à la syndicalisation et aux des régimes de prestations publics (assurance chômage, CSST, etc.). Si vous vous blessez sur le lieu de travail, qui est votre employeur? L’Université? La commission scolaire? Ainsi, on conditionne très tôt les étudiant-es à la précarité à l'emploi – ou plutôt à la servitude volontaire reprendre une partie du titre du livre de Jean-Pierre Durand - sous prétexte qu'illes ont des responsabilités multiples, notamment celle d'acquérir des « qualifications »… À qui cela peut-il bien servir? Est-ce que le stage contribue réellement à donner un sens (on pourrait plutôt dire des sens) au travail? Peut-être devrait-on cesser d'utiliser le terme  « stage » pour le remplacer par celui « d'emploi » ?
Anthony Desbiens


[1] Le texte est disponible en ligne à l’adresse suivante : https://dissident.es/payer-pour-travailler-travailler-sans-etre-paye-es/, Consulté le 2 décembre 2016.
[2] On pourrait m’objecter que certains stages sont rémunérés et que j’exagère (en médecine, en droit, les vraies professions là!). C’est tout à fait valide. Cependant, la majorité des stages sont non rémunérés, et ceux qui le sont, par exemple en droit, sont souvent rémunérés au salaire minimum… Ça fait en sorte de créer un idéal type de bons stages et des bon-nes stagier-ères.

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