jeudi 15 décembre 2016

Payer les femmes, c’est payant


                Tel est le titre d’une chronique de Marie-Claude Lortie dans la Presse du 23 octobre dernier. Dans son texte, elle explique les conclusions d’un rapport publié par la firme Price Waterhouse Cooper qui dit que le simple fait de combler les différences salariales entre hommes et femmes pourrait faire augmenter le PIB canadien de 92 milliard de dollars annuellement. Ce serait une augmentation d’environ 5%, chose qui ne s’est pas vu ici depuis 16 ans.

                Mais nous ne sommes pas encore là. Toujours selon le même article, les femmes canadiennes ne gagneraient en moyenne que 81% du salaire de leurs collègues masculin, malgré le fait que les entreprises qui ne favorisent pas l’équité peuvent être jusqu’à 53% moins performantes. Pour donner un petit coup de fouet à l’économie, il existe donc une solution simple...

                Malheureusement, il semble que ça ne soit simple que sur papier. Trois jours après le commentaire de Marie-Claude Lortie, la même Presse publiait un article sur l’équité salariale entre hommes et femmes. Le titre en était : « 170 ans pour atteindre l’équité salariale », selon une prévision du World Economic Forum (WEF). La situation se serait donc dégradé en un an puisque le WEF ne parlait « que » de 118 ans l’an passé. Je suis dons allé voir le « Global Gender Gap Report[1] » de cette année sur la page web du WEP. Je ne suis pas passé à travers la brique de prêt de 400 page, mais j’ai essayé un outil interactif offert sur le site[2] qui m’ appris que le Canada était présentement 35e au monde pour ce qui est de l’équité salariale entre hommes et femmes. J’y ai aussi appris que le revenu moyen d’une femme canadienne selon le WEF n’était pas de 81% de celui des hommes, mais de 66% et qu’au Canada, 74.19% des femmes travaillent, contre 81.32% des hommes. Il y a d’autres information comme l’année d’obtention du droit de vote des femmes au pays, la division des congé parentaux, etc.

                Ça prendra donc presque deux siècles à atteindre l’équité salariale au Canada. Parce qu’il ne faut pas oublier que la loi québécoise sur l’équité salariale date de 1996. La loi a donc eu 20 ans cette année. 200 ans, C’est beaucoup plus que le délai de quatre ans prévus par la loi![3] Alors pourquoi donc étirer le processus sur une durée proche de cinquante fois le délais prévu par la loi? Depuis la fin du délai officiel du gouvernement, en 2013, 77 entreprises québécoises ne se seraient pas conformées au jugement de l’État en matière d’équité salariale.[4] Dans tous les jugements consultés, on parlait d’entreprises comptant entre 10 et 49 employés. Avec une arithmétique de base, on peut facilement trouver que selon ces chiffres de la CNESST, il y aurait au maximum 3773 personnes travaillant dans ces entreprises. Quand on sait que les femmes représentent environ 46%[5] de la population active du Québec, on trouve le nombre de 1736 travailleuses touchées « officiellement » par l’inéquité salariale. On est loin de ce qu’avance Marie-Claude Lortie et le WEF...

                Le portrait de l’entreprise fautive typique est une PME comptant moins de 50 employés. Le nombre de travailleuses employées par ces mêmes entreprises est minimes. Comment expliquer alors la différence entre ce qu’avance La Presse et ce que montre la CNESST? Une étude plus approfondie serait nécessaire ici, mais on peut se demander si les grandes multinationales sont réellement toutes à jour dans leur processus d’équité salariale. On pourrait aussi se demander si elles sont inspectées par les organismes chargée de le faire. Mais peut-être aussi un mélange dans deux, dans un mouvement de connivence entre l’entreprise privée et l’État, ce qui en ferait un complice dans la « méthodique destruction des collectifs » chère à Bourdieu[6] et à Dardot et Laval[7]. La réponse est peut-être en tout début de texte quand on parlait des avantages économiques certains à l’équité salariale. En écartant l’économie comme principe moteur de cette dynamique, on ne peut plus l’expliquer autrement que par une pensée idéologique, soit le néolibéralisme de Bourdieu, Dardot et Laval.



[1] World Economy Forum (2016) The Global Gender Gap Report 2016, trouvé en ligne à l’URL http://www3.weforum.org/docs/GGGR16/WEF_Global_Gender_Gap_Report_2016.pdf
[3] Gouvernement du Québec (1996) Loi sur l’équité salariale, art. #37, trouvé en ligne a l’URL http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/E-12.001
[4] CNESST, (2016) Liste des entreprises en défaut dans le cadre du programme de vérification et qui ne se sont toujours pas conformées à la décision de la Commission consulté en ligne le 15 décembre 2016 à l’URL http://www.ces.gouv.qc.ca/roles-activites-fonctionnement/decisionsverif.asp
[5] Institut de la statistique du Québec (2016) Population active selon le genre de compétence (domaines professionnels) et le sexe, Québec, 1991 et 2006 trouvé en ligne à l’URL http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/travail-remuneration/industries/tab12_p9106_comdp.htm
[6] Bourdieu, Pierre. Mars 1998. « L’essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique, Paris, p. 11-15.
[7] Dardot, Pierre et Christian Laval. 2009. « Discipline (1) : un nouveau système de disciplines » et « Discipline (3) : la gestion néolibérale de l’entreprise », dans La nouvelle raison du monde : essai sur la société néolibérale, La Découverte, Paris. Pp. 299-306; 309-314.

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