Les débats actuels
concernant le salaire minimum sèment beaucoup de confusion. Une première moitié
de la société est évidemment pour une telle mesure, alors que l’autre moitié
s’avère contre. N’étant pas un économiste, je n’entrerai pas dans les détails économiques
de ce changement, mais je vais plutôt tenter de faire un lien entre les effets
de l’augmentation du salaire minimum avec la mondialisation, l’évolution
technologique pour ensuite proposer des pistes de solutions.
Petite mise en
contexte : il y a environ 212 000 employés au salaire minimum au Québec,
en 2015, dont 61% à temps partiel et 61% ayant moins de 25 ans.[1] Le
salaire minimum peut très bien combler un étudiant à temps partiel, tandis
qu’il rend la vie extrêmement difficile pour une mère avec plusieurs enfants.
La hausse du salaire minimum
à 15$ représente une hausse salariale de 40%, au Québec. Selon Stéphane Forget,
Président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du
Québec, une telle hausse n’est pas économiquement valable au court terme. La
hausse salariale a souvent été considérée comme étant la solution absolue pour
régler la pauvreté, alors que selon lui c’est par les programmes sociaux, les
crédits d’impôt et la fiscalité que le problème de pauvreté doit être réglé[2] (quoique,
avec les changements récents à l’aide sociale, peut-être peut-on se poser la
question sur la réelle intention du gouvernement à atténuer la situation de
pauvreté au Québec?). Selon l’économiste Pierre Fortin, le nombre de personnes
qui vivent sous le seuil de pauvreté a baissé de 40% au Québec à cause de trois
facteurs précis : la baisse du taux de chômage, la bonification des
transferts gouvernementaux aux familles et le fait que le taux d’emploi et des
salaires ont augmentés à un rythme rapide pour les femmes, pas à cause de
l’augmentation du salaire minimum.[3]
Augmenter les salaires de
40% viendrait nuire à la compétitivité de nos entreprises dans les secteurs de
l’économie exposés à la concurrence mondiale (secteurs manufacturiers, de
l’agriculture, des ressources naturelles).[4] Quel
serait l’impact d’une hausse salariale si extrême sur les secteurs
manufacturiers en Amérique du Nord considérant l’éclatement de la mondialisation,
les accords internationaux qui facilitent les échanges et la réduction des
effectifs exponentiels dans les secteurs manufacturiers qui sont, aux
États-Unis, de seulement 14% des emplois comparativement à 86% dans le secteur
des services. On ne doit pas oublier le caractère économique des
entreprises et les moyens pour y arriver : on veut sauver le plus
d’argent possible tout en générant le plus d’argent possible, c’est la nature
première de notre société capitaliste. On l’a vu tout récemment avec la
fermeture de l’usine de biscuits Mondelez à Montréal : 454 pertes
d’emplois pour des raisons d’efficiences et d’économie des coûts. En bref, ils
délocalisent l’usine de Montréal en Ontario, puisque ces dernières sont moins
coûteuses. Les employés à Montréal gagnaient environ 22 à 26$ de l’heure.[5] On peut
se poser la question sur l’effet qu’une hausse du salaire minimum de 40% aurait
sur les autres emplois manufacturiers. Ce n’est pas une question de capacité de
payer de la part des employeurs, mais plutôt une question d’économie d’argent.
On ne doit jamais oublier la règle du marché : si ça coute moins cher
ailleurs, on va ailleurs!
Vers le remplacement de la main-d’œuvre,
l’automatisation
La technologie progresse à
un rythme plus rapide qu’on ne l’aurait jamais cru. Keynes, dans son texte Perspectives économiques pour nos
petits-enfants écrit en 1931, a prédit que l’augmentation du rendement
technique, généralement causée par la technologie, est trop rapide pour
l’adaptation de la main-d’œuvre. Cette expansion vient blesser la main-d’œuvre
de façon générale puisque les découvertes de nouveaux procédés qui viennent
économiser la main-d’œuvre sont plus rapides que les découvertes de nouveaux
débouchés pour cette dernière. Résultat : il y a une tendance vers
l’automatisation des employés. On le voit de plus en plus et je crois qu’une
hausse salariale à 15$ de l’heure viendrait porter un coup semi-fatal au marché
manufacturier mondial comme on le connait.
Warren Buffet, homme
d’affaires très influent, affirme qu’il s’agit d’un problème de répartition de tarte
de revenus. J’explique : si un employeur a 100 000$ de budgété pour ses
salaires, il a les moyens de se payer 5 employés à 20 000$. Si le salaire
augmente magiquement de 50%, il ne peut que se payer 3 employés. Les trois
employés restants sont évidemment très heureux. Par contre, les deux autres se retrouvent
sans emploi. Warren Buffet ajoute aussi l’aspect de robotisation de plus en
plus populaire dans notre société : plus les salaires augmentent, plus il
est rentable d’opter pour des machines qui peuvent faire le travail 24/7, sans
prendre aucune pause, aucune vacance ni de retraite.[6]
Dans le même ordre d’idée, l’ancien
PDG de McDonald’s, Ed Rensi, a affirmé ceci en réponse à un salaire de 15$ de
l’heure : «Ça coûte moins cher de payer 35 000 $ pour un bras robotisé que
d’embaucher un employé qui est inefficace à 15 $ de l’heure pour s’occuper des
frites»[7]. Avec
les bornes de commandes automatisées qui apparaissent de plus en plus chez
McDonald’s, il serait probablement plus économique de retirer les 4-5 caissiers
à 15$ de l’heure et d’avoir seulement un gérant sur place qui remplirait la
machine de papiers de reçus!
Même chose du côté du géant
Foxconn, connu pour sa fabrication de produits électroniques. L’entreprise a
récemment remplacé plus de 50% de sa main-d’œuvre (60 000 employés) par des
robots tout en niant les effets de ce remplacement sur les emplois à long
terme.[8] Selon
une analyse de Deloitte, environ 35% des emplois en Angleterre sont à risque
d’être automatisés, principalement dans les secteurs de la vente au détail et
manufacturier.[9]
Solutions et conclusion
Selon Elon Musk, président
de Tesla et de SpaceX, la réponse face à l’automatisation éminente des emplois
serait un revenu universel pour la population. Selon lui, la robotisation des
emplois et des services est inévitable face à l’évolution actuelle de la
technologie.[10]
La FTQ fait présentement
pression sur les employeurs plutôt que de s’attaquer au gouvernement. Il
aimerait que l’ensemble de ses syndicats affiliés revendique un salaire minimum
de 15$ de l’heure dans leurs prochaines tables de négociations.[11]
Selon Ed Rensi, il faudrait
que ce soit les états respectifs des États-Unis qui fixent le salaire minimum
pour que ceux-ci soient adaptés au coût de la vie de l’état en question.
Pourquoi avoir un salaire de 15$ de l’heure au Mississippi alors que le coût de
la vie est moins cher qu’à New York, par exemple?[12]
Selon Pierre Fortin,
économiste à l’UQAM, la solution est dans la baisse d’impôts, l’amélioration de
la prime au travail et de miser sur l’éducation et la formation pour éviter le
décrochage scolaire.[13]
Le texte « Crise mondiale, décroissance et sortie du capitalisme » d’André
Gorz affirme que le capitalisme travaille vers sa propre extinction. Bientôt,
l’économie ne prendra plus la forme de travail emploi-travail-marchandise. Il affirme aussi que le fordisme n’a
pas seulement détruit le plein-emploi, mais l’emploi en tant que tel. Le
fordisme a essentiellement mené au dérobement des qualifications de la
main-d’œuvre, puis à l’évolution technologique des outils de travail. Ce
processus a conduit à la destruction de l’humain-travailleur comme on le
connaissait auparavant.
La perte des compétences et des qualifications des travailleurs ont mené
à la simplification des emplois et à la réduction massive des emplois dans le
secteur manufacturier. Un tel changement, additionné à l’évolution massive des
nouvelles technologies de production et à la mondialisation est venu rendre
obsolète le travail humain dans certaines fonctions. Cette menace fait pression
(à la baisse) sur les salaires de ces emplois dans ces secteurs et rend
inefficace, du point de vue de l’employeur, d’offrir ce type d’emploi à 15$ de
l’heure. Pour la majorité des entreprises, la délocalisation vers des pays en
émergence ou l’automatisation des effectifs sont deux solutions beaucoup plus
économes.
Il n’existe et n’existera jamais de solutions miracles. Par contre, la
seule chose que l’on peut dire avec assurance, c’est que le marché s’adaptera,
pour le meilleur ou pour le pire.
-Alexandre Vincent
[1] Forget, S. Huffington Post, Le salaire minimum à 15$ : un raccourci
simpliste. Repéré à : http://quebec.huffingtonpost.ca/stephane-forget/salaire-minimum-15-dollars_b_11794754.html
(consulté le 28 novembre 2016)
[2] Idem
[3] Idem
[4] Idem
[5] Radio-Canada, L’usine de biscuits
Christie de Montréal ferme ses portes : 454 emplois perdus. Repéré à :
http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1003238/lusine-de-biscuits-christie-de-montreal-ferme-ses-portes-454-emplois-perdus
(consulté le 1er décembre 2016)
[6] Thénière, P. et Morel, R. Les affaires, Que pense Warren Buffett d’un salaire minimum de 15$ l’heure?
Repéré à : http://www.lesaffaires.com/blogues/les-investigateurs-financiers/que-pense-warren-buffett-d-un-salaire-minimum-de-15-l-heure/589241
(consulté le 28 novembre 2016)
[7] Limitone, J. Fox Business, Former McDonald’s USA CEO: $35K Robots Cheaper Than Hiring at 15$ Per
Hour. Repéré à : http://www.foxbusiness.com/features/2016/05/24/fmr-mcdonalds-usa-ceo-35k-robots-cheaper-than-hiring-at-15-per-hour.html
(consulté le 28 novembre 2016)
[8] Wakefield, J. BBC News, Foxconn replaces 60 000 factory workers with robots. Repéré à : http://www.bbc.com/news/technology-36376966
(consulté le 28 novembre 2016)
[9] Smith, M. et Bishop, G. Deloitte LLP, Deloitte: Automation transforming UK industries. Repéré à : https://www2.deloitte.com/uk/en/pages/press-releases/articles/automation-and-industries-analysis.html
(consulté le 29 novembre 2016)
[10] Osbourne, S. Independent, Elon Musk says people should receive universal income once robots take
their jobs. Repéré à : http://www.independent.co.uk/news/people/elon-musk-universal-income-robots-ai-tesla-spacex-a7402556.html
(consulté le 27 novembre 2016)
[11] Radio-Canada, Salaire minimum à
15$ : la FTQ met la pression sur les employeurs. Repéré à : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1003130/salaire-minimum-15-ftq-pression-employeurs-negociations
(consulté le 30 novembre 2016)
[12] Rawes, E. USA Today, 10 least expensive states to live in the U.S. Repéré à : http://www.usatoday.com/story/money/business/2014/09/07/wscs-10-least-expensive-states/15075077/
(consulté le 30 novembre 2016)
[13] Fillion, G. Radio-Canada, Le
salaire minimum à 15$, « une bombe atomique », selon Pierre Fortin. Repéré
à : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/809095/salaire-minimum-fortin-15-dollars-emplois-education
(consulté le 25 novembre 2016)
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