vendredi 2 décembre 2016

Mondialisation, technologie et le salariat

Les débats actuels concernant le salaire minimum sèment beaucoup de confusion. Une première moitié de la société est évidemment pour une telle mesure, alors que l’autre moitié s’avère contre. N’étant pas un économiste, je n’entrerai pas dans les détails économiques de ce changement, mais je vais plutôt tenter de faire un lien entre les effets de l’augmentation du salaire minimum avec la mondialisation, l’évolution technologique pour ensuite proposer des pistes de solutions.

Petite mise en contexte : il y a environ 212 000 employés au salaire minimum au Québec, en 2015, dont 61% à temps partiel et 61% ayant moins de 25 ans.[1] Le salaire minimum peut très bien combler un étudiant à temps partiel, tandis qu’il rend la vie extrêmement difficile pour une mère avec plusieurs enfants.

La hausse du salaire minimum à 15$ représente une hausse salariale de 40%, au Québec. Selon Stéphane Forget, Président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec, une telle hausse n’est pas économiquement valable au court terme. La hausse salariale a souvent été considérée comme étant la solution absolue pour régler la pauvreté, alors que selon lui c’est par les programmes sociaux, les crédits d’impôt et la fiscalité que le problème de pauvreté doit être réglé[2] (quoique, avec les changements récents à l’aide sociale, peut-être peut-on se poser la question sur la réelle intention du gouvernement à atténuer la situation de pauvreté au Québec?). Selon l’économiste Pierre Fortin, le nombre de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté a baissé de 40% au Québec à cause de trois facteurs précis : la baisse du taux de chômage, la bonification des transferts gouvernementaux aux familles et le fait que le taux d’emploi et des salaires ont augmentés à un rythme rapide pour les femmes, pas à cause de l’augmentation du salaire minimum.[3]

Augmenter les salaires de 40% viendrait nuire à la compétitivité de nos entreprises dans les secteurs de l’économie exposés à la concurrence mondiale (secteurs manufacturiers, de l’agriculture, des ressources naturelles).[4] Quel serait l’impact d’une hausse salariale si extrême sur les secteurs manufacturiers en Amérique du Nord considérant l’éclatement de la mondialisation, les accords internationaux qui facilitent les échanges et la réduction des effectifs exponentiels dans les secteurs manufacturiers qui sont, aux États-Unis, de seulement 14% des emplois comparativement à 86% dans le secteur des services. On ne doit pas oublier le caractère économique des entreprises et les moyens pour y arriver : on veut sauver le plus d’argent possible tout en générant le plus d’argent possible, c’est la nature première de notre société capitaliste. On l’a vu tout récemment avec la fermeture de l’usine de biscuits Mondelez à Montréal : 454 pertes d’emplois pour des raisons d’efficiences et d’économie des coûts. En bref, ils délocalisent l’usine de Montréal en Ontario, puisque ces dernières sont moins coûteuses. Les employés à Montréal gagnaient environ 22 à 26$ de l’heure.[5] On peut se poser la question sur l’effet qu’une hausse du salaire minimum de 40% aurait sur les autres emplois manufacturiers. Ce n’est pas une question de capacité de payer de la part des employeurs, mais plutôt une question d’économie d’argent. On ne doit jamais oublier la règle du marché : si ça coute moins cher ailleurs, on va ailleurs!

Vers le remplacement de la main-d’œuvre, l’automatisation

La technologie progresse à un rythme plus rapide qu’on ne l’aurait jamais cru. Keynes, dans son texte Perspectives économiques pour nos petits-enfants écrit en 1931, a prédit que l’augmentation du rendement technique, généralement causée par la technologie, est trop rapide pour l’adaptation de la main-d’œuvre. Cette expansion vient blesser la main-d’œuvre de façon générale puisque les découvertes de nouveaux procédés qui viennent économiser la main-d’œuvre sont plus rapides que les découvertes de nouveaux débouchés pour cette dernière. Résultat : il y a une tendance vers l’automatisation des employés. On le voit de plus en plus et je crois qu’une hausse salariale à 15$ de l’heure viendrait porter un coup semi-fatal au marché manufacturier mondial comme on le connait.

Warren Buffet, homme d’affaires très influent, affirme qu’il s’agit d’un problème de répartition de tarte de revenus. J’explique : si un employeur a 100 000$ de budgété pour ses salaires, il a les moyens de se payer 5 employés à 20 000$. Si le salaire augmente magiquement de 50%, il ne peut que se payer 3 employés. Les trois employés restants sont évidemment très heureux. Par contre, les deux autres se retrouvent sans emploi. Warren Buffet ajoute aussi l’aspect de robotisation de plus en plus populaire dans notre société : plus les salaires augmentent, plus il est rentable d’opter pour des machines qui peuvent faire le travail 24/7, sans prendre aucune pause, aucune vacance ni de retraite.[6]

Dans le même ordre d’idée, l’ancien PDG de McDonald’s, Ed Rensi, a affirmé ceci en réponse à un salaire de 15$ de l’heure : «Ça coûte moins cher de payer 35 000 $ pour un bras robotisé que d’embaucher un employé qui est inefficace à 15 $ de l’heure pour s’occuper des frites»[7]. Avec les bornes de commandes automatisées qui apparaissent de plus en plus chez McDonald’s, il serait probablement plus économique de retirer les 4-5 caissiers à 15$ de l’heure et d’avoir seulement un gérant sur place qui remplirait la machine de papiers de reçus!

Même chose du côté du géant Foxconn, connu pour sa fabrication de produits électroniques. L’entreprise a récemment remplacé plus de 50% de sa main-d’œuvre (60 000 employés) par des robots tout en niant les effets de ce remplacement sur les emplois à long terme.[8] Selon une analyse de Deloitte, environ 35% des emplois en Angleterre sont à risque d’être automatisés, principalement dans les secteurs de la vente au détail et manufacturier.[9]

Solutions et conclusion

Selon Elon Musk, président de Tesla et de SpaceX, la réponse face à l’automatisation éminente des emplois serait un revenu universel pour la population. Selon lui, la robotisation des emplois et des services est inévitable face à l’évolution actuelle de la technologie.[10]

La FTQ fait présentement pression sur les employeurs plutôt que de s’attaquer au gouvernement. Il aimerait que l’ensemble de ses syndicats affiliés revendique un salaire minimum de 15$ de l’heure dans leurs prochaines tables de négociations.[11]

Selon Ed Rensi, il faudrait que ce soit les états respectifs des États-Unis qui fixent le salaire minimum pour que ceux-ci soient adaptés au coût de la vie de l’état en question. Pourquoi avoir un salaire de 15$ de l’heure au Mississippi alors que le coût de la vie est moins cher qu’à New York, par exemple?[12]

Selon Pierre Fortin, économiste à l’UQAM, la solution est dans la baisse d’impôts, l’amélioration de la prime au travail et de miser sur l’éducation et la formation pour éviter le décrochage scolaire.[13]

Le texte « Crise mondiale, décroissance et sortie du capitalisme » d’André Gorz affirme que le capitalisme travaille vers sa propre extinction. Bientôt, l’économie ne prendra plus la forme de travail emploi-travail-marchandise. Il affirme aussi que le fordisme n’a pas seulement détruit le plein-emploi, mais l’emploi en tant que tel. Le fordisme a essentiellement mené au dérobement des qualifications de la main-d’œuvre, puis à l’évolution technologique des outils de travail. Ce processus a conduit à la destruction de l’humain-travailleur comme on le connaissait auparavant.

La perte des compétences et des qualifications des travailleurs ont mené à la simplification des emplois et à la réduction massive des emplois dans le secteur manufacturier. Un tel changement, additionné à l’évolution massive des nouvelles technologies de production et à la mondialisation est venu rendre obsolète le travail humain dans certaines fonctions. Cette menace fait pression (à la baisse) sur les salaires de ces emplois dans ces secteurs et rend inefficace, du point de vue de l’employeur, d’offrir ce type d’emploi à 15$ de l’heure. Pour la majorité des entreprises, la délocalisation vers des pays en émergence ou l’automatisation des effectifs sont deux solutions beaucoup plus économes.

Il n’existe et n’existera jamais de solutions miracles. Par contre, la seule chose que l’on peut dire avec assurance, c’est que le marché s’adaptera, pour le meilleur ou pour le pire.


-Alexandre Vincent

[1] Forget, S. Huffington Post, Le salaire minimum à 15$ : un raccourci simpliste. Repéré à : http://quebec.huffingtonpost.ca/stephane-forget/salaire-minimum-15-dollars_b_11794754.html (consulté le 28 novembre 2016)
[2] Idem
[3] Idem
[4] Idem
[5] Radio-Canada, L’usine de biscuits Christie de Montréal ferme ses portes : 454 emplois perdus. Repéré à : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1003238/lusine-de-biscuits-christie-de-montreal-ferme-ses-portes-454-emplois-perdus (consulté le 1er décembre 2016)
[6] Thénière, P. et Morel, R. Les affaires, Que pense Warren Buffett d’un salaire minimum de 15$ l’heure? Repéré à : http://www.lesaffaires.com/blogues/les-investigateurs-financiers/que-pense-warren-buffett-d-un-salaire-minimum-de-15-l-heure/589241 (consulté le 28 novembre 2016)
[7] Limitone, J. Fox Business, Former McDonald’s USA CEO: $35K Robots Cheaper Than Hiring at 15$ Per Hour. Repéré à : http://www.foxbusiness.com/features/2016/05/24/fmr-mcdonalds-usa-ceo-35k-robots-cheaper-than-hiring-at-15-per-hour.html (consulté le 28 novembre 2016)
[8] Wakefield, J. BBC News, Foxconn replaces 60 000 factory workers with robots. Repéré à : http://www.bbc.com/news/technology-36376966 (consulté le 28 novembre 2016)
[9] Smith, M. et Bishop, G. Deloitte LLP, Deloitte: Automation transforming UK industries. Repéré à : https://www2.deloitte.com/uk/en/pages/press-releases/articles/automation-and-industries-analysis.html (consulté le 29 novembre 2016)
[10] Osbourne, S. Independent, Elon Musk says people should receive universal income once robots take their jobs. Repéré à : http://www.independent.co.uk/news/people/elon-musk-universal-income-robots-ai-tesla-spacex-a7402556.html (consulté le 27 novembre 2016)
[11] Radio-Canada, Salaire minimum à 15$ : la FTQ met la pression sur les employeurs. Repéré à : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1003130/salaire-minimum-15-ftq-pression-employeurs-negociations (consulté le 30 novembre 2016)
[12] Rawes, E. USA Today, 10 least expensive states to live in the U.S. Repéré à : http://www.usatoday.com/story/money/business/2014/09/07/wscs-10-least-expensive-states/15075077/ (consulté le 30 novembre 2016)
[13] Fillion, G. Radio-Canada, Le salaire minimum à 15$, « une bombe atomique », selon Pierre Fortin. Repéré à : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/809095/salaire-minimum-fortin-15-dollars-emplois-education (consulté le 25 novembre 2016)

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