mardi 27 décembre 2016

Le monde selon H&M : petites mains dissimulées et surconsommation

Tout récemment, Radio-Canada diffusait dans le cadre de sa série Les grands reportages un documentaire réalisé par le réseau français Canal + intitulé Le monde selon H&M [1], dans lequel on y dévoile la face cachée du géant du prêt-à-porter. L’entreprise suédoise, qui se targue d’être le modèle de la multinationale responsable et équitable s’assurant du traitement exemplaire de ses travailleurs et du respect de l’environnement, représente en quelque sorte le parangon de la mondialisation heureuse. Mais qu’en est-il réellement ?

Créée en Suède dans les années 1940, l’entreprise jadis modeste est désormais numéro un de l’habillement dans le monde. Le chiffre d’affaires de la société devrait atteindre plus de 21 milliards de dollars cette année (bénéfices prévus de 2,3 milliards) d'après le magazine Forbes. Toujours selon la publication économique, la marque compterait présentement 105 000 employés [2]. Néanmoins, le groupe constitue l’une des entreprises les plus profitables dans le monde et jouit d’une forte image sociale. Mais l’icône angélique de la chaîne se lézarde à l’en croire les deux documentaristes françaises qui ont sillonnées le globe, du Bangladesh à l’Éthiopie, afin de déboulonner le mythe de la multinationale irréprochable.

Des ONG internationales implantées dans les pays où H&M « s’approvisionnent » en produits, bref là où elle fait fabriquer ses habits, reprochent entre autres aux fournisseurs qui font affaire avec la multinationale de ne pas respecter les limites légales d’heures travaillées par semaine. Certains travailleurs bangladais soutiennent ainsi travailler régulièrement plus de 80 heures alors que la loi ne permet qu’un maximum de 72 heures, et ce, en périodes exceptionnelles. Les installations qu’occupent ces travailleurs soulèvent également de nombreuses inquiétudes : bien que la marque suédoise ne fît pas partie des locataires du Rana Plaza, cet immeuble-usine vétuste de la banlieue de la capitale bangladaise Dacca effondré en 2013 et faisant plus de 1000 victimes, les actuels locaux occupés par les fournisseurs d’H&M au Bangladesh font craindre le pire.

La catastrophe de Dacca a en outre soulevé l’indignation et levé le voile sur les conditions de travail des ouvriers embauchés par les fournisseurs des multinationales de l’habillement. De nombreuses manifestations revendiquant de meilleures conditions de travail émergèrent, essentiellement dans les pays « producteurs ». Face à ce tollé, le PDG de la société H&M, Karl-Johan Persson, dans un exercice fortement médiatisé, demande au décideur bangladais d'hausser le salaire minimum, concernant notamment les travailleurs du textile, ces « petites mains » qui soutiennent littéralement le modèle d’affaire de H&M et de ses concurrents. Mais la démonstration n’est autre qu’écran de fumée : au même instant, la multinationale entreprend de délocaliser des centaines d'emploi en Éthiopie, État répressif s’il en est un, mais aussi et surtout un pays où la main-d'œuvre est encore moins coûteuse. À quel point ? Eh bien, sachez que le secteur privé éthiopien est légalement exempté de mesures de salaire minimum. Ainsi, certains ouvriers du textile ne gagneraient qu'entre 38 et 52 dollars américains… par mois !

H&M réplique que la compétition est féroce (les géants de l’habillement délocalisent tous une certaine partie de leur masse ouvrière afin d’économiser) et, qu’au final, elle permet à des milliers d’individus en situation précaire d’avoir un boulot. Mais à quel prix…

Pendant ce temps, le fiscaliste en chef de la griffe suédoise confirme que celle-ci n'a acquitté aucun impôt relativement à ses activités avec ses fournisseurs, et ce peu importe l'État dans lequel ceux-ci sont établis. Manèges fiscaux respectant les cadres légaux mais dont l'éthique est assurément discutable. De plus, la société a entrepris de réduire la base fiscale disponible relative à ses points de vente à travers le monde, rapatriant à Stockholm des « coûts » inhérents au design, à la publicité, etc. Enfin, la multinationale bénéficie du soutien de la communauté européenne, celle-ci subventionnant généreusement la construction de gigantesques entrepôts sur le territoire de l'union. Cette même union et ses membres qui souffrent d'un manque à gagner substantiel causé par le récent stratagème comptable du groupe.

Système économique dominant et surconsommation

Évidemment, la multinationale évolue dans un système économique dominé par le libre-marché et la mise en concurrence des acteurs économiques, et ce faisant, se soucie d’abord et avant tout de ses marges bénéficiaires et du rendement de ses actifs financiers. Son modèle d’affaires, désormais bien connu dans le secteur du vêtement, se déploie sur deux fronts afin de séduire le consommateur.

D’un côté, comme nous le soulignions ci-dessus, H&M développe l’image d’une marque à la fois responsable et branchée qui représente un style de vie essentiellement jeune, urbain et moderne, en phase avec les tendances et enjeux (l’environnement, notamment) de l’époque. À ce propos, elle s’associe à des icônes de la mode, du sport ou de la musique qui participent à l’élaboration de design et apposent leur sceau à diverses collections.

De l’autre, la griffe offre des vêtements fashion au plus bas prix et ce, dans un éventail pléthorique, selon la stratégie des « 52 collections par année » (une nouvelle à chaque semaine), tactique commerciale mise en lumière dans le documentaire No Logo de la célèbre militante de gauche Naomi Klein.

À la clé de cette stratégie marketing efficace : des achats irrationnels et compulsifs agrémentés d’une consommation (acquisition/abandon) rapide qui s’inscrit dans une sorte d’obsolescence programmée mais à vitesse grand V, où la mode de l’heure – et c’est quasiment le cas de le dire – relègue celle tout juste émergée. Des ingrédients idoines au cocktail de la surconsommation et de tous ses effets – psychologiques, sociaux, environnementaux – ultimement délétères.

Bien loin, finalement, de symboliser la mondialisation heureuse, H&M peut cependant convoiter le titre de parangon du capitalisme débridé.


Olivier Béland-Côté


[1] Le reportage :

[2]

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