mercredi 14 décembre 2016

Le culte du bien-être


Il y a quelques semaines de cela, un article de La Presse nous apprenait que la controversée loi 70 était adoptée. Selon l’article de Jocelyne Richer, du 10 novembre dernier, cette loi permet au gouvernement de « couper du tiers la prestation de base mensuelle de 623 $ des nouveaux demandeurs d’aide sociale jugés aptes à travailler qui refusent d’entreprendre un parcours de recherche d’emploi ». Françoise David, élue de Québec Solidaire, conteste la loi et l’attitude paternaliste qui la sous-tend, argumentant que les jeunes concernés vivent souvent une importante détresse psychologique qu’ils doivent confronter avant de pouvoir se lancer dans la recherche d’un emploi. Le ministe Blais, responsable du projet, demeure quant à lui convaincu qu’on doit forcer les prestataires à la recherche d’emploi, ce qui favoriserait leur réinsertion sociale.

Ce genre de prise de position en ce qui concerne l’emploi et les chômeurs, partagée par plusieurs, les chercheurs européens Carl Cederström et André Spicer l’abordent dans un ouvrage critique dont la traduction française est récemment parue : « Le syndrôme du bien-être ». Selon les auteurs, l’idée de bien-être, suprême dans nos sociétés occidentales contemporaires, entraîne non seulement des désirs d’avancement professionnel et de consommation, mais s’oppose aussi à la réflexion critique en faisant la promotion de l’écoute de son corps et de la résignation.

Nous devons accepter notre condition afin de ne pas se sentir trouble. Nous sommes de surcroît encouragés à devenir les heureux athlètes de la productivité capitaliste. La pression qui nous somme de se sentir bien agit à titre d’injonction morale et décourage l’engagement politique. On ne devrait qu’écouter que son corps. Le bien-être constitue, pour les populations précaires dont font partie les prestataires de l’aide sociale concernés par l’article susmentionné, un labeur émotionnel supplémentaire. Malgré la précarité dans laquelle ils se trouvent, ces individus doivent maintenir une personnalité confiante, fun, mais surtout employable.

Le bien-être serait devenu une idéologie, qu’on comprend mieux lorsqu’on s’attarde aux attitudes à l’égard de ceux qui ne réussissent pas à l’atteindre. Ils sont stigmatisés et perçus comme paresseux, faibles et de peu de volonté. Le remède à leurs maux ne devrait pas prendre la forme de logements convenables ou d’un revenu de base, mais plutôt de cours de cuisine ! Tout comme le mouvement de la pensée positive avant elle, l’idéologie du bien-être stipule qu’on peut devenir ce que l’on veut, et que tout manquement ne peut être que la faute de soi-même. Dans un exemple donné dans le livre, on mentionne le cas de chercheurs d’emploi anglais à qui on a recommandé de ne pas s’informer de l’actualité pour ne pas avoir l’humeur maussade. La raison véritable derrière cette stratégie serait plutôt de s’assurer que les chômeurs ne réalisent surtout pas que leur condition est attribuable au contexte économique et qu’ils ne sont pas seuls dans leur situation. On préfère que chacun jette le blâme sur soi. Le culte du bien-être tient de l’ultralibéralisme.

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Cederström, Carl et André Spicer (2016). Le syndrôme du bien-être (traduit par Édouard Jacquemoud). Paris : Éditions L’Échappée, 165 p.

Richer, J. (2016, 10 novembre). Loi 70 adoptée : des assistés sociaux devront vivre avec 399$ par mois. La Presse. Repéré à http://www.lapresse.ca/actualites/national/201611/10/01-5039872-loi-70-adoptee-des-assistes-sociaux-devront-vivre-avec-399-par-mois.php

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