mercredi 14 décembre 2016

Une métaphore : le correspondant de guerre


Ceci est un vieux billet que j'ai oublié de poster durant la session. Je me reprend ici!


Il y a quelques semaines, le journal Métro publiait une entrevue dans laquelle le journaliste français Jean-Claude Guillebaud décrivait les la nouvelle réalité des correspondant de guerre[1]. D’entrée de jeux, il dira que ces journalistes sont devenus indésirables sur les lieux mêmes de leur travail. Sur le terrain, on en fait des prisonniers et on s’en sert maintenant comme monnaie d’échange. Cette marchandisation du travailleur permet à certaines organisations à atteindre leurs objectifs, souvent monétaire. D’autres fois, pour d’autres objectifs, ils seront sacrifiés.

Simultanément, les grands quotidiens envoient de moins en moins leurs travailleurs dans ses endroits dangereux, préférant confier ce travail à des pigistes, avec qui ils n’ont pas de lien d’emploi formel, pas de responsabilité et qui sont payés beaucoup moins chers pour mettre en danger leur santé, si ce n’est pas leur vie. Le journal se déleste alors de toute responsabilité, frais de voyage et autres prime d’assurance.

Parlant de ces employeurs, Guillebaud dira que ceux-ci préfèrent servir à leur clientèle une « sauce d’actualité sans profondeur, présenté sur le vif ». Ses propos rejoignent ceux de Mme Guilbert et M. Larose qui sont venu nous partager leur expérience de lock-out au Journal de Montréal et de la création de l’agence de presse QMI qui rend invisible le journaliste et rend son travail plus flexible. La double pression du journaliste qui veut rester visible, unique et qui doit « vendre de la copie » et présenter des primeurs n’est pas étrangère selon moi à l’apparition de cas comme ceux de Brian Williams à NBC[2] et, plus proche de nous, de François Bugingo, au 98,5 FM de Montréal[3]. Ces deux « créateurs de nouvelles » ont fait les frais de leur manque de rigueur Bugingo a été congédié et n’est plus journaliste alors que Williams a été suspendu 6 mois avant d’être congédié, lui aussi. Il a toutefois et engagé par la concurrence et travaille maintenant pour la MSNBC où il soutient maintenant que les fausses nouvelles ont propulsé Donald Trump à la présidence des États-Unis[4]. Et si on se fie à cette dernière campagne présidentielle qui a vu le recours au fausses nouvelle triompher, on peut se demander si Williams et Bugingo ne faisait pas en fait le jeu des grands conglomérats médiatiques en offrant à la masse exactement ce qu’elle voulait.

Ce portrait du « nouveau » travail de journaliste ressemble étrangement à celui de n’importe que travailleur précarisé et principalement ceux qui travaillent pour une agence de placement ou par le biais de plateforme de crowdsourcing : structure tripartite qui coupe le travailleur de l’employeur, horaires de travail flexibles et fluctuations du nombre d’heure, protections sociales amoindries ou nulle, etc. Et tout comme Bugingo et Williams se sont retrouvé à exagérer leurs reportages, les travailleurs précaires se retrouvent souvent dans des positions où ils doivent, eux aussi, en faire plus que ce qui est raisonnable. La forme de leur travail ne permettant pas de projeter cette exagération dans la marchandise, les travailleurs la retourne vers eux-mêmes. On multiplie les heures, les emplois, on sacrifie sur les temps libres et le sommeil quand ce n’est pas directement sur l’alimentation. On passe de longues heures assis devant un ordinateur ou une machine quelconque. Les cadences de travail sont accélérées, soit par pression de l’entreprise, soit par un travail rémunéré (à très bas taux) à la pièce. Tout comme le correspondant de guerre à la pige, le travailleur précarisé risque sa propre santé, à ses propres frais, pour le plus grand profit d’un tiers qui ne quitte jamais la sécurité de sa belle et clinquante tour d’ivoire.



[1] Tanguay, Sébastien (2016) Cachez ces guerres qu’on ne saurait voir dans Journal Métro, 22 septembre 2016, trouvé en ligne à l’URL http://journalmetro.com/monde/1026449/cachez-ces-guerres-quon-ne-saurait-voir/
[2] Hachey, Isabelle (2015) François Bugingo: des reportages inventés de toutes pièces dans La Presse, 23 mai 2015, trouvé en ligne à l’URL http://www.lapresse.ca/arts/medias/201505/22/01-4871868-francois-bugingo-des-reportages-inventes-de-toutes-pieces.php
[3] Kurtz, Howard (2015) Brian Williams lied about his copter being shot, forced down in Iraq dans FoxNews, 5 février 2015, trouvé en ligne à l’URL http://www.foxnews.com/politics/2015/02/05/brian-williams-lied-about-his-copter-being-shot-down-in-iraq.html
[4] Quinn, Liam (2016) Brian Williams complains about fake news - just 21 months after he lost his job on NBC Nightly News for telling made up stories dans Dailymail.com, 9 Décembre 2016 trouvé en ligne à l’URL http://www.dailymail.co.uk/news/article-4018664/Former-NBC-Nightly-News-host-Brian-Williams-complains-fake-news.html#ixzz4SpKY9nwH

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