mercredi 27 novembre 2013

Travailleurs pauvres identifiés


Jeudi le 28 novembre, c’est le Thanksgiving Day aux États-Unis, les gens s’y préparent comme pour fêter un réveillon. La nourriture abonde généralement et c’est l’occasion de célébrer en famille. Pour tenter d’offrir aux gens plus démunis un souper de Thanksgiving décent, toutes sortes de campagnes et de levées de fonds s’organisent pour ramasser des dons à l’instar de ce que l’on connaît au Québec comme les paniers de Noël et les campagnes de ramassage de denrées non périssables, par exemple. Jusque là, on reste dans le communautaire et les dons qui passent par des organismes, là où ça devient problématique, c’est quand un employeur organise un telle campagne de dons visant ses propres employés dans le besoin comme l’a fait Wal-Mart. Il s’agit d’un affront au travail décent et à la qualité de vie que l’employeur lui-même est conscient de ne pas offrir à ses employés. Cet article du journal Le Devoir explique pourquoi les critiques furent virulentes à l’endroit d’une affiche quémandant des dons pour les employés pauvres d’un magasin Wal-Mart de l’Ohio auprès de leurs collègues. Yvan Comeau, chercheur à l’Université Laval, est catégorique : « […] L’intention est d’améliorer les conditions de vie d’employés, mais pour cela, les entreprises disposent d’un mécanisme qui s’appelle le salaire et dont on ne parle pas ici. »

Dans le même ordre d’idées, l’État canadien renvoie constamment la balle aux individus eux-mêmes afin de se sortir de situations précaires. En effet, l’application de la réforme de l’assurance-emploi depuis janvier 2013 en est un exemple criant puisqu’on oblige les travailleurs à se trouver un emploi n’atteignant pas nécessairement leur niveau de compétences ou le salaire qu’ils avaient précédemment, sans quoi l’État leur coupera des prestations. De même, il y a une forte multiplication, dans la fonction publique canadienne de contrats temporaires (SCFP, 2012) qui ne font que renforcer la situation précaire des travailleurs qui se retrouvent avec un bon salaire et de bonnes conditions, mais pour une durée déterminée. Ainsi, plutôt que d’offrir des salaires décents à ses employés, Wal-Mart renvoie la balle à leurs collègues plus fortunés pour qu’ils compensent en cette période festive. L’employeur se déresponsabilise complètement en encourageant outrageusement, à l’intérieur même de son magasin, les employés à faire preuve de solidarité entre eux. À l’instar de l’État canadien qui entretient ses travailleurs dans la précarité en offrant de plus en plus de contrats temporaires, mais en leur demandant de faire des efforts pour trouver du travail, Wal-Mart conserve des salaires très bas et demande aux employés plus fortunés d’être compatissants envers leurs collègues plus pauvres.

Il s’agit d’une manifestation, on ne peut plus évidente de travailleurs pauvres, pour reprendre l’expression consacrée, puisque le travail ne leur assure pas un niveau de vie au minimum décent. Ainsi, le travail n’est plus un gage de stabilité sociale et économique assurant un niveau de vie acceptable puisque l’on retrouve de plus en plus, dans nos sociétés, des travailleurs vivant en deçà du seuil de la pauvreté. Un emploi n’assure plus nécessairement à un travailleur de ne pas se retrouver à la rue, pas plus qu’il ne lui procure un statut social. Dans cette situation, le statut social n’est plus gagné par l’occupation d’un emploi et comme l’a remarqué Serge Paugam, l’assistance sociale ou le chômage ne sont plus les uniques sources de la disqualification sociale puisque le salariat lui-même en est un vecteur (Frétigné, 2001 :180). 

Enfin, non seulement les travailleurs sont-ils dans des situations précaires et considérés comme des travailleurs pauvres, mais en plus leur employeur, qui les maintient dans cette situation, en est bien conscient puisqu’il cautionne une campagne de dons entre les employés de son magasin. On assiste à un appauvrissement évident des travailleurs qui œuvrent dans ces conditions précaires et les entreprises, à l’instar des gouvernements, ne semblent pas s’en soucier. Les employés des Wal-Mart aux États-Unis gagnent des salaires minables ne leur permettant pas de vivre décemment dans ce pays, mais il s’agit de salaires qui sont situés au-delà du salaire minimum fixé par l’État. Les employeurs fixent des salaires qui ne comblent clairement pas les besoins essentiels des travailleurs qui œuvrent au salaire minimum et l’État vient appuyer ce genre de pratique en fixant ce salaire sous le seuil de pauvreté. La précarisation des travailleurs est cautionnée par l’État, les entreprises peuvent s’enrichir légalement sur leur dos tout en se départant de toute responsabilité sociale.


Sources :

Deglise, Fabien, 2013, « Le «cynisme» de Wal-Mart et McDo déchaîne les critiques », Le Devoir, [En ligne] http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/393287/le-cynisme-de-wal-mart-et-mcdo-dechaine-les-critiques

Frétigné, Cédric, 2001, « Paugam Serge, Le salarié de la précarité. Les nouvelles formes de l'intégration professionnelle», Revue française de sociologie, vol. 42, n° 1, pp. 178-181.

SCFP, 2012, «Les emplois précaires en hausse», L’économie au travail, Hiver 2012, Syndicat canadien de la fonction publique.

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