Jeudi le 28 novembre, c’est le Thanksgiving
Day aux États-Unis, les gens s’y préparent comme pour fêter un réveillon. La
nourriture abonde généralement et c’est l’occasion de célébrer en famille. Pour
tenter d’offrir aux gens plus démunis un souper de Thanksgiving décent, toutes
sortes de campagnes et de levées de fonds s’organisent pour ramasser des dons à
l’instar de ce que l’on connaît au Québec comme les paniers de Noël et les
campagnes de ramassage de denrées non périssables, par exemple. Jusque là, on
reste dans le communautaire et les dons qui passent par des organismes, là où
ça devient problématique, c’est quand un
employeur organise un telle campagne de dons visant ses propres employés
dans le besoin comme l’a fait Wal-Mart. Il s’agit d’un affront au travail
décent et à la qualité de vie que l’employeur lui-même est conscient de ne pas
offrir à ses employés. Cet article du journal Le Devoir explique pourquoi les
critiques furent virulentes à l’endroit d’une affiche quémandant des dons pour
les employés pauvres d’un magasin Wal-Mart de l’Ohio auprès de leurs collègues.
Yvan Comeau, chercheur à l’Université Laval, est catégorique : « […] L’intention est d’améliorer les conditions de vie
d’employés, mais pour cela, les entreprises disposent d’un mécanisme qui
s’appelle le salaire et dont on ne parle pas ici. »
Dans le même ordre d’idées, l’État canadien renvoie
constamment la balle aux individus eux-mêmes afin de se sortir de situations
précaires. En effet, l’application de la réforme de l’assurance-emploi depuis
janvier 2013 en est un exemple criant puisqu’on oblige les travailleurs à se
trouver un emploi n’atteignant pas nécessairement leur niveau de compétences ou
le salaire qu’ils avaient précédemment, sans quoi l’État leur coupera des
prestations. De même, il y a une forte multiplication, dans la fonction
publique canadienne de contrats temporaires (SCFP, 2012) qui ne
font que renforcer la situation précaire des travailleurs qui se retrouvent
avec un bon salaire et de bonnes conditions, mais pour une durée déterminée.
Ainsi, plutôt que d’offrir des salaires décents à ses employés, Wal-Mart renvoie
la balle à leurs collègues plus fortunés pour qu’ils compensent en cette
période festive. L’employeur se déresponsabilise complètement en encourageant
outrageusement, à l’intérieur même de son magasin, les employés à faire preuve
de solidarité entre eux. À l’instar de l’État canadien qui entretient ses
travailleurs dans la précarité en offrant de plus en plus de contrats
temporaires, mais en leur demandant de faire des efforts pour trouver du
travail, Wal-Mart conserve des salaires très bas et demande aux employés plus
fortunés d’être compatissants envers leurs collègues plus pauvres.
Il s’agit d’une manifestation, on ne peut
plus évidente de travailleurs pauvres,
pour reprendre l’expression consacrée, puisque le travail ne leur assure pas un
niveau de vie au minimum décent. Ainsi, le travail n’est plus un gage de
stabilité sociale et économique assurant un niveau de vie acceptable puisque
l’on retrouve de plus en plus, dans nos sociétés, des travailleurs vivant en
deçà du seuil de la pauvreté. Un emploi n’assure plus nécessairement à un
travailleur de ne pas se retrouver à la rue, pas plus qu’il ne lui procure un
statut social. Dans cette situation, le statut social n’est plus gagné par
l’occupation d’un emploi et comme l’a remarqué Serge Paugam, l’assistance
sociale ou le chômage ne sont plus les uniques sources de la disqualification
sociale puisque le salariat lui-même en est un vecteur (Frétigné, 2001 :180).
Enfin, non seulement les travailleurs sont-ils dans
des situations précaires et considérés comme des travailleurs pauvres,
mais en plus leur employeur, qui les maintient dans cette situation, en est bien
conscient puisqu’il cautionne une campagne de dons entre les employés de son
magasin. On assiste à un appauvrissement évident des travailleurs qui œuvrent
dans ces conditions précaires et les entreprises, à l’instar des gouvernements,
ne semblent pas s’en soucier. Les employés des Wal-Mart aux États-Unis gagnent
des salaires minables ne leur permettant pas de vivre décemment dans ce pays,
mais il s’agit de salaires qui sont situés au-delà du salaire minimum fixé par
l’État. Les employeurs fixent des salaires qui ne comblent clairement pas les
besoins essentiels des travailleurs qui œuvrent au salaire minimum et l’État
vient appuyer ce genre de pratique en fixant ce salaire sous le seuil de
pauvreté. La précarisation des travailleurs est cautionnée par l’État, les
entreprises peuvent s’enrichir légalement sur leur dos tout en se départant de
toute responsabilité sociale.
Sources :
Deglise, Fabien,
2013, « Le «cynisme» de Wal-Mart et McDo déchaîne les critiques », Le Devoir, [En ligne] http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/393287/le-cynisme-de-wal-mart-et-mcdo-dechaine-les-critiques
Frétigné,
Cédric, 2001, « Paugam Serge, Le
salarié de la précarité. Les nouvelles formes de l'intégration professionnelle»,
Revue française de sociologie, vol. 42, n° 1, pp. 178-181.
SCFP, 2012, «Les
emplois précaires en hausse», L’économie
au travail, Hiver 2012, Syndicat canadien de la fonction publique.
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