mercredi 13 novembre 2013

Rectifications sur l'OIT

Pour mon entrée de blogue, j’ai décidé de traiter d’un sujet qui, n’est pas tant collé sur un article d’actualité, mais concerne plutôt une organisation qui a été abordée lors d’une des dernières séances en classe avant l’examen, soit l’Organisation internationale du travail. En effet, il a été mentionné que l’Organisation serait moins efficace que d’autres organisations comme le Fonds monétaire international ou encore l’Organisation mondiale du commerce car elle ne possède la force coercitive nécessaire pour édicter des « lois internationales », qui contraindraient les États à respecter des normes qui, assureraient des conditions de travail décentes. Je tenais à rectifier le tir car, à mon humble avis, l’OIT constitue une organisation dont le fonctionnement est révolutionnaire dans le spectre des organisations internationales et est également une des organisations les plus proactives de ce qui constitue la grande famille des Nations Unies.

Il est de mise de mentionner qu’il n’existe rien que l’on pourrait qualifier de lois internationales, et cela ne s’arrête pas au seul cas de l’OIT, il s’agit d’un principe fondateur de ce que l’on décrit comme du droit international. En théorie, l’édiction de lois internationales supposerait l’existence d’un gouvernement mondial au profit duquel les États abdiqueraient leur souveraineté. Le fonctionnement du droit international est tout autre, il fonctionne selon un mode plus anarchiste de démocratie participative où chacun des États est partie à une convention comme elle le serait pour un contrat. L’édiction de normes internationales se butte au principe phare de souveraineté étatique. Le droit international repose toujours sur le « volontarisme » et il est impossible de contraindre un État à s’engager à respecter un traité s’il ne désire pas le faire, il n’existe pas d’autorité législative internationale compétente pour contraindre les autres acteurs. Une organisation internationale est un acteur, comme les États, sur la scène internationale ; elle ne représente pas une entité qui se trouve hiérarchiquement au dessus des États et qui pourraient agir sur eux comme le ferait un gouvernement sur ses citoyens. (Chapitre 1, p. 53, Beaulac)

Le droit international est majoritairement composé de « soft law ». Il fonctionne sous l’égide de recommandations, de processus d’évaluation de conformité, de consentement des parties à des traités mais jamais sous forme de législation. Le pari du droit international est celui d’influencer, en édictant des normes directrices, et non coercitives, afin d’amener les États à adhérer à des principes fondamentaux dans leurs fonctionnements nationaux. La force des traités internationaux ne réside que dans l’hypothèse ou les États y deviennent parties, y consentissent. Lorsqu’une sanction est rendue par un mécanisme d’arbitrage, c’est que cette sanction a été préalablement consentie par l’État et que le mécanisme a été préalablement prévu par l’État dans sa ratification de la dite convention. La définition même de l’arbitrage repose sur le consentement, rien n’empêche un État parti à une convention d’utiliser n’importe quel mécanisme d’arbitrage pour faire respecter les dispositions de n’importe quel traité international. Les traités concernant le travail n’y font pas exception, la condition est que l’État mis en cause accepte la compétence du dit mécanisme, la sanction n’existe également que si l’État accepte l’existence de cette sanction. Par exemple, la Cour internationale de justice pourrait être saisie d’une question concernant un traité sur l’abolition du travail des enfants, mais pour se faire, la compétence de la Cour en la matière doit être reconnue par l’État. Si l’on dit que l’OMC a un pouvoir de sanction, c’est parce que les États parties lui accordent un certain pouvoir consensuel, ces pouvoirs demeureront toujours très encadrés et émanent des États, et non de l’organisation internationale. Les sanctions en droit international s’apparentent plus à celles qui découlent du bris d’un contrat qu’à des « sanctions coercitives », ce qui renforce la présence du volontarisme. Si une organisation semble avoir plus de pouvoir qu’une autre, c’est parce que c’est le pouvoir qui lui a été octroyé par les États parties qui est plus grand, et non parce qu’elle a plus de pouvoir sur les États, traité duquel il est d’ailleurs possible que l’État se retire. (Chapitre 2, p. 73 et 113 Beaulac) et (article 1 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969)

Les organisations vont souvent évaluer la conformité des États aux différents traités par des procédures complexes tirant profit de toutes les caractéristiques de la soft law et énoncer des recommandations pour soulever les lacunes des législations internes à se conformer aux dispositions des conventions. Par exemple, l’OIT est dotée d’un système de contrôle en deux temps. Le mécanisme de contrôle régulier comporte le devoir de transmettre un rapport périodique dans lequel les États Membres font état des mesures prises pour l’application des conventions qu’ils ont ratifiées. Ces rapports sont examinés par une Commission d’experts. Les procédures particulières, traitent de cas plus spécifiques. Les questions soumises à cet aspect du mécanisme de contrôle de l’OIT portent sur des questions complexes qui exigent qu’un organe s’y penche spécifiquement, ce qui comprend notamment le traitement des plaintes. La configuration tripartite de l’OIT est carrément avant-gardiste, plutôt que de ne faire appel qu’à un représentant étatique, on retrouve un représentant de la partie patronale et un représentant des travailleurs pour chacun des États, ce qui assure un dialogue ouvert entre l’organisation et la société civile et qui va beaucoup plus loin que la plupart des organisations internationales. (Constitution de l'OIT)


Également, selon une thèse universaliste du droit international, il vaut mieux qu’un État ratifie le plus de traités possible, même s’il ne les ratifie pas tous. Le processus de réserves est primordial à l’adoption de traités, particulièrement en droit international humanitaire. Il est normal que nous soyons portés à croire que le fait qu’un État ait ratifié un traité et non un autre soit problématique. Cependant, il vaut mieux qu’un État ratifie un seul traité plutôt qu’il n’en ratifie aucun, c’est pourquoi il est permis qu’un État ratifie seulement certains traités. On pourrait prendre l’exemple du droit des femmes, si on excluait un pays à un traité, parce qu’il ne veut ratifier une disposition particulière qui concernerait, par exemple, l’abolition de l’excision, la conséquence serait que le pays ne s’engagerait à ne rien faire sur le plan des droits de la femme seulement parce que la disposition sur l’abolition de l’excision ne lui convient pas. Il est préférable que le pays ratifie l’ensemble des mesures, à l’exception d’une seule, que de voir le pays se laver complètement les mains de tous les éléments.(Beaulac, p. 108) et (Article 19 de la Convention de Vienne de 1969)


En définitive, l’OIT n’a pas en principe moins de « dents » qu’une autre organisation internationale quant à son pouvoir de coercition (à l’exception de deux pouvoirs particuliers du Conseil de Sécurité des Nations Unies dont je vous épargnerai les détails). Il ne fait tout simplement pas partie du pouvoir de ce type d’organisation d’adopter des lois internationales, car le droit international repose sur le consentement des États. Cependant, cela ne va pas pour autant diminuer son importance. Les critiques que l’on peut formuler à l’endroit de cet organisme ne sont pas spécifiques à celui-ci, mais sont plutôt inhérentes à la nature de ce qu’est le droit international. Vouloir que cet organisme ne repose pas sur le principe du volontarisme impliquerait bien plus qu’une réforme de l’OIT, mais plutôt une révolution complète du monde tel qu’on le connaît aujourd’hui. Cette révolution impliquerait l’édiction d’un gouvernement-monde qui serait au dessus des États, impliquant l’abolition symbolique des frontières et le changement drastique de ce que nous définissions aujourd’hui sous le terme « État ».

François Richard-Vézina

Sources:
Stéphane Beaulac, Précis de droit international public, LexisNexis, Montréal, 2012
Constitution de l'OIT
Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969

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