jeudi 14 novembre 2013

Grève nationale en Indonésie

L’archipel indonésien se voit paralysé durant deux jours en raison d’une grève nationale impliquant des centaines de milliers de travailleurs qui réclament une hausse généralisée du salaire minimum de 50 %. Une coalition de plusieurs confédérations et alliances syndicales locales s’est constituée pour rassembler les forces des travailleurs de la grande majorité des usines du pays lors de cette grève nationale. Outre l’enjeu principal du salaire, cette solidarité inter-entreprises vise l’acquisition de meilleurs avantages sociaux pour les travailleurs, en établissant une couverture de santé universelle et une protection contre l’embauche de main-d’œuvre contractuelle.

En raison de l’inflation montante – qui a récemment dépassé les 8 % – et d’une hausse continuelle du prix de l’essence, les grévistes dénoncent l’écart qui se creuse entre les revenus de la majorité des travailleurs et l’augmentation perpétuelle du coût de la vie. Cette disparité advient en grande partie du fait que le salaire minimum de ce pays est l’un des plus faibles au monde, malgré la croissance économique des dernières années faisant de l’Indonésie la première économie d’Asie du Sud-Est. Ainsi, les grévistes exigent une redistribution plus équitable de la richesse créée : en mettant fin à la politique de bas salaires, les travailleurs espèrent recevoir une part plus juste et équitable de la richesse nationale à laquelle ils contribuent significativement, en vue de parvenir à une logique de croissance économique agissant au bénéfice de tous. Cela dit, la rapidité de la croissance économique des dernières années est en grande partie due au faible coût de la main-d’œuvre – étant inférieure à celle de la Chine –, ce qui encourage les investisseurs étrangers à y implanter leurs usines. Pour cette raison, les entreprises craignent qu’une augmentation du salaire minimum affecte le développement économique du pays, car ils estiment que les entrepreneurs étrangers qui externalisent leur production seront moins attirés par l’archipel si le coût de production y devient plus important, ce qui nuira à l’économie nationale en termes de concurrence. Toutefois, les grévistes n’ont pas été en mesure de revendiquer librement dans les rues durant ces journées de grève, car les patrons d’usines auraient expressément engagé des membres d’une organisation de jeunes paramilitaires; afin que ceux-ci agressent les manifestants en guise de punition pour les conséquences néfastes que leurs revendications auraient sur l’économie nationale. Selon les informations, ces forces paramilitaires – qui ont attaqués les travailleurs avec des barres de fer et des armes blanches – étaient payées par le gouvernement et les employeurs, ce qui est plutôt révélateur du niveau démocratique du régime politique indonésien.

Les enjeux soulevés par ce conflit sont représentatifs de la réalité à laquelle est confronté un nombre considérable de travailleurs à travers le globe. L’émergence d’un «espace-monde» – au détriment du paradigme de l’État-nation – dans lequel s’inscrivent des phénomènes comme l’éclatement des marchés, l’interdépendance des pays à l’échelle planétaire et la croissance exponentielle des échanges économiques, constitue le moteur du développement économique des pays émergents. Toutefois, ces transformations bénéficient moins aux travailleurs qui sont à l’intérieur des pays en développement ; le fléau de l’externalisation entraine une dégradation des conditions de travail, particulièrement pour ce qui a trait à la question des bas salaires et à la précarité, comme l’illustrent les revendications du conflit. À l’instar des travaux de Durand, il existe différents groupes de travailleurs au sein des corporations qui s’installent dans l’archipel indonésien et les grévistes appartiennent aux extrémités des zones périphériques du continuum, ce qui les contraint à répondre aux forces du marché et à se montrer infiniment adaptables. Par ailleurs, les travailleurs relevant de la sous-traitance n’ont généralement pas de sécurité d’emploi ; le système dans lequel ils doivent s’insérer est plus grand qu’eux et les contraint à vivre dans l’incertitude, car ils sont tout à fait interchangeables aux yeux des dirigeants corporatifs. La ténacité de ce rapport de pouvoir advient et se maintient par le phénomène de la fragmentation des entreprises qui tend à complexifier la création d’actions collectives, car elle divise les travailleurs en plusieurs classes et décentralise les négociations entre salariés et patronat. Ainsi, le conflit illustre comment la quasi-impossibilité d’établir un mouvement de solidarité au niveau de l’entreprise a poussé les travailleurs de diverses usines à rassembler leurs forces dans le but de transformer leur rapport au travail.

En réclament un salaire plus important et des avantages sociaux, ils espèrent se sortir collectivement de la pauvreté et de la précarité inhérentes à leur travail, pour possiblement avancer et évoluer individuellement à la manière de l’économie de leur pays. L’établissement d’une couverture de santé universelle et les politiques de protection contre l’embauche de main-d’œuvre contractuelle sont des mesures qui permettraient de réduire l’insécurité dans laquelle vivent les travailleurs; qui ne serait ainsi plus laissé à eux-mêmes comme c’est le cas actuellement. En effet, une intervention de l’État dans la santé leur offrirait un filet de sécurité sur lequel ils pourront compter en cas de maladies ou d’accidents et la fin du recours aux travailleurs contractuels sortirait plusieurs d’entre eux de l’incertitude perpétuelle qu’ils entretiennent par rapport à leur avenir. Bref, bien que l’externalisation des activités liées à la production soit synonyme de développement économique pour les pays émergents, elle renforce les inégalités sociales par la répartition inéquitable de la richesse produite; ce qui reflète la réalité du capitalisme avancée selon laquelle les employeurs tendent à prioriser la maximisation du profit au détriment de la dignité humaine.

Par Janice Trinh

Sources :

http://www.lapresse.ca/international/asie-oceanie/201310/31/01-4705648-lindonesie-paralysee-par-une-greve-nationale.php

http://www.equaltimes.org/fr/news/indonesia-strikes-marred-by-violence

http://www.industriall-union.org/fr/fin-de-greve-dans-la-violence-en-indonesie

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