mardi 19 novembre 2013

L'homme jetable


            Robert Castells propose « que les transformations technicoéconomiques en cours provoquent la mise en place d’une nouvelle structure ou organisation sociale, qu’il nomme la société informationnelle (Dumaine, 2011, p.10)». Cette nouvelle structure sociale est basée sur les relations informationnelles et communicationnelles entre les individus, mais aussi, dans une compréhension plus systémique et structurante de l’univers social, représentent la nouvelle matière première de l’économie post-industrielle (Ibid.). L’information, la connaissance, les technologies sont des éléments centraux dans ce système en émergence (Bouchard, Ducharme, 2000, p.120). 
          C’est pour cette raison qu’il m’a paru intéressant de parler du cas de Blackberry, mais aussi et plus particulièrement à cause des effets de cette société informationnelle  sur les nouvelles conditions communicationnelle et instrumentale. « L’effet principal des restructurations engendrées par l’avènement de la société de l’information est la segmentation et la polarisation de la société dans l’organisation du travail (Ibid., p.132) ». En effet, l’avènement d’une division au sein même des travailleurs entre une main-d’œuvre « permanente » et une main-d’œuvre « jetable » m’a grandement interpelé. « Le fabricant de téléphones intelligents BlackBerry (TSX:BB) pourrait licencier jusqu'à 5000 personnes lors des mois à venir dans le but de retrouver la voie de la rentabilité, selon le Wall Street Journal. » Afin de rester dans la course effrénée de performance et d’esthétisme des téléphones intelligents contre les autres gros de l’industrie comme Apple ou Samsung, pour ne nommer que ceux-ci, BlackBerry s’est vu dans l’obligation de mettre les bouchés doubles, et ce, à n’importe quel prix. Cette main-d’œuvre « jetable » est donc une nouvelle façon de gérer son entreprise de manière  à ce qu’elle reste rentable. Il est clair que l’on ne parle pas ici de la main-d’œuvre « jetable » des travailleurs migrants temporaires où la précarité de leur situation est encore plus prononcée, mais il est intéressant de se pencher sur ce concept de main-d’œuvre selon une nouvelle méthode de gestion des entreprises en général. La société informationnelle laisse ces travailleurs dans la précarité, l’insécurité et ce sont les impératifs de la flexibilité qui dictent ce qui doit être (Bouchard, Ducharme, 2000, p.132). 
            C’est aussi une réification totale de l’être humain, celui-ci ne fait que s’intégrer dans l’équation et devient un objet qui s’extrait complètement de son caractère symbolique. L’homme se fait relayé de plus en plus au même plan qu’une chose et c’est pour cette raison que l’on peut le qualifier de main-d’œuvre « jetable », puisque comme l’objet qui ne sert plus, il devient déchet. C’est une instrumentalisation de la main-d’œuvre au service des entreprises qui, ne désirant aucunement remettre en question les impératifs de croissance et de flexibilité, se retourne vers les individus; « les trajectoires individuelles dépendent ainsi de plus en plus des aléas du marché du travail, lui-même en constante réorganisation, et ce phénomène induit l’émergence d’une société individualisée (Dumaine, 2011, p.12)». On peut comprendre par société individualisée l’idée selon laquelle les trajectoires des individus étaient autrefois beaucoup plus déterminées qu’aujourd’hui. Il y a un renversement de l’idée moderne qui propose que l’homme, par la raison, se donne les outils nécessaires afin d’appréhender le monde, le comprendre, le critiquer et agir en tant qu’acteur participant à un débat exempt de domination. Aujourd’hui, c’est le système qui occupe cet espace et l’image du « self-made-man » qui fait refléter un mirage qui d’une part, nous donne l’impression d’être l’unique responsable de nos réussites ou de nos échecs et d’autre part, nous fait accepter cette domination par cette rhétorique d’homme libre qui fait des choix éclairés. 
              On peut donc dire que le capitalisme avancé s’inscrit dans une logique systémique d’adaptation qui pose l’homme comme une donnée calculable, on l’additionne, on le soustrait, il n’y a plus d’être humain réflexif; la société informationnelle expulse l’homme de son caractère symbolique et c’est à travers les impératifs de flexibilisation et de croissance que l’homme se pose de plus en plus comme un déchet pouvant être recyclé, composté ou enfoui dans un dépotoir. 
Par Charles Lavoie

Références :
- Bouchard, L., Ducharmer, M.-N., (2000), « Les défis posés au travail social à l’ère des technologies de l’information », Nouvelles pratiques sociale, vol. 13, no.1, pp.119-136.
- Dumaine, J.-N., (2011), « Parcours professionnels et valeurs du travail à l’ère de la flexibilisation de l’emploi »,  Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval, pp.152.
- Le Devoir, 2013, «BlackBerry pourrait licencier jusqu’à 5000 personnes pour redevenir rentable », [En ligne], http://www.ledevoir.com/economie/emploi/387782/blackberry-pourrait-licencier-jusqu-a-5000-personnes-pour-redevenir-rentable (page consultée le 19 novembre 2013). 





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