Qui est Bertrand ? Employé de pôle emploi, s’occupe au
quotidien d’individus vivant en périphérie du marché du travail, les chômeurs.
Mais pourquoi tient-il à témoigner et partager son quotidien ? Simplement
parce que Bertrand employé consciencieux et soucieux de bien faire son travail
est arrivé à un constat, celui que malgré tous les efforts déployés, les heures
supplémentaires et les pauses raccourcit ; en dépit de la polyvalence et
de la double formation qu’il possède, il ne parvient plus à effectuer sa tâche
et assurer la qualité du travail qu’il doit fournir. Dans l’article ci-joint,
il nous livre un aperçu de sa journée, nous décrit les efforts qu’il déploie et
surtout nous fait part d’une prise de conscience: celle du paradoxe de sa
société et de cette gestion néolibérale défectueuse, exigeante et irréaliste qui se révèle inefficace devant la
charge de travail à accomplir en ces temps de crise de l’emploi. Enfin, son
témoignage nous éclaire sur le statut actuel de l’emploi dont la détérioration
touche même les emplois du secteur public pourtant réputés stables.
Pôle
emploi, l’entreprise dans laquelle Bertrand travaille est le résultat de la
fusion en 2008 de deux institutions publiques françaises, les Assedic et l’ANPE
autrefois toutes deux chargées du suivi des chômeurs. L’objectif
de la fusion était alors de simplifier
le suivi des demandeurs d’emploi en leur présentant un « seul interlocuteur pour la gestion
des offres d’emploi et de leur allocation ». [1]
Or avec la fusion de ces deux
institutions ce sont également deux fonctions différentes, deux métiers, que
les employés de Pôle emploi doivent réaliser. Cependant, comme le soulève l’auteur,
peu de ces employés ont reçu une formation complémentaire. Dès lors, outre la
surcharge des employés, c’est l’efficacité
et la qualité des aides fournies aux
chômeurs qui s’est vue réduite.
Néanmoins Bertrand, si l’on se réfère au modèle d’Atkinson[2],
est « un salarié du cœur de la firme » c’est-à-dire qu’il dispose d’un emploi
relativement bien rémunéré et d’une sécurité d’emploi. La flexibilité de son
emploi est par ailleurs uniquement fonctionnelle. Bertrand dispose donc d’une
situation convenable. Or, la réalité dépeinte par celui-ci nous livre un
constat moins optimiste : celui de la globalité du déclin de la qualité de
l’emploi. En effet, les politiques de gestion néolibérale qu’applique pôle emploi visent, comme le
soulignent Dardot et Laval, à « créer des conditions particulières qui les
(salariés) obligent à travailler et à se comporter comme des agents
rationnels »[3].
Pour Bertrand cela se traduit par des emplois du temps chargés et soigneusement
millimétrés avec un temps précis pour
réaliser une tâche et des bureaux variant selon celle-ci. Ainsi, les appels
sont chronométrés, tout comme les entrevues ou encore le temps alloué au suivi
des dossiers. Les employés sont ici en théorie autonomes dans la réalisation de
leurs tâches, quoique celles-ci soient divisées et strictement organisées. Ces
politiques en conférant aux employés une « autonomie contrôlée»
exercent un contrôle indirect et font peser sur les individus la responsabilité
de la baisse de qualité comme révélateur d'un manque d’adaptation au système ou un manque de
compétences de la part de l'employé.
Le
constat est donc peu réjouissant avec d’une part un marché du travail dont la
détérioration est globale, des travailleurs épuisés au bord du burn-out. Et d’autres
parts, des politiques néolibérales s’infiltrant dans tous les secteurs de l’emploi y compris le secteur public et
imposant sur leur passage les lois impitoyables du marché et les contraintes
qui les accompagnent.
Par Bensiali Célia
[2]Durand, Jean-Pierre. 2004. « Les réformes structurelles de l’entreprise : L’intégration réticulaire et le flux tendu »,dans La chaîne invisible, travailler aujourd’hui : Flux tendu et servitude volontaire,Éditions du Seuil, Paris. Pp 183
[3]Dardot, Pierre et Christian Laval. 2009. La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, la découverte, Paris.Pp 311
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