mercredi 20 novembre 2013

« La Coalition demande à la ministre du Travail d’affirmer concrètement que l’égalité homme femme est véritablement importante pour elle en agissant rapidement et en déposant un projet de loi dans la présente session pour que les travailleuses domestiques soient couvertes automatiquement par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) comme toutes les autres travailleuses et travailleurs au Québec. »


En 2009, les travailleuses domestiques de PINAY manifeste masquée à Montréal pour dénoncer leur exclusion du régime de santé et de sécurité au travail. Photo : Jacques Grenier pour le Devoir.


Le 27 octobre dernier, la Coalition La CSST pour les travailleuses et les travailleurs domestiques interpellait en point de presse notre ministre du travail, Agnès Maltais, la sommant d’agir rapidement. Depuis son entrée en fonction, Agnès Maltais a laissé entendre que la situation des travailleuses domestiques la préoccupait au plus haut point, en raison notamment de leur exclusion de la couverture automatique de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). Un an après son entrée en fonction, aucune action concrète n’a été entreprise. Du côté législatif non plus, rien en vue pour le court terme. La revendication, la même depuis 8 ans déjà, est claire, nette et précise. La Coalition demande l’abrogation de l’exclusion des travailleuses domestiques de la couverture automatique de LATMP, le seul groupe de travailleurs à en être expressément exclu. En 2003, elles ont obtenu une victoire importante : les « aides familiales résidentes » étaient désormais couvertes par la Loi sur les normes du travail[1]. Dis ans plus tard, la bataille est loin d’être gagnée. De nombreuses exclusions demeurent, en plus de celle de la LATMP et de l’inscription automatique à la CSST (elles doivent s’inscrire par elles-mêmes et à leur frais…). Ces femmes qui peuvent travailler entre 15 et 20 heures par jours ne sont pas non plus admissibles à la « semaine normale de travail », ce qui implique que leurs heures supplémentaires sont payées au taux régulier[2]. Et encore, on peut douter du fait que le concept d’heures supplémentaires soit retenu par les employeurs, le lieu de travail des unes étant circonscrit au domaine de la vie privée des autres. 

Formée de quatre groupes de défense des droits des travailleuses et travailleurs, l’Association des aides familiales du Québec (AAFQ), l’Association des femmes philippines du Québec (PINAY), le Centre des travailleurs immigrants (CTI) et l’Union des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s de Montréal (UTTAM), il faut voir dans cette Coalition une nouvelle forme d’organisation pour la défense des droits des travailleuses et des travailleurs, bien loin des paradigmes et de l’action du syndicalisme traditionnel.

La syndicalisation de ces travailleuses, à l’extrême périphérie du marché du travail, présente des difficultés qui peuvent paraitre insurmontables… Elles occupent des emplois de subalternes, caractérisés par une absence de sécurité d’emploi, une rémunération moindre, un accès restreint aux avantages sociaux, à la protection sociale et à la protection syndicale.[3] Les grandes centrales syndicales sont au courant de la situation, mais il s’agit d’un enjeu parmi beaucoup d’autres, où des gains risquent de prendre beaucoup plus de temps, d’énergie et de moyen. Le régime légal dérogatoire qui encadre l’« importation » de cette main-d’œuvre au Canada, le Programme des aides familiaux résidents, les maintient dans un statut de citoyenneté de seconde classe, qui rend quasi impossible toute mobilisation. On parle d’« esclavage moderne » – l’obligation à résidence chez l’employeur les prive de vie privée et les met en situation de disponibilité permanente - pour décrire l’exploitation et la précarité quotidienne. Dans l’attente de pouvoir seulement déposer une demande de résidence permanente (à condition d’avoir travaillé 24 mois sur trois ans), elles peuvent être renvoyées chez elles sur un claquement de doigts des employeurs, ou presque. Leur subordination cristallise sans aucun doute des discriminations à l’intersection de nombreux rapports de pouvoir, allant des abus que se permet l’employeur au programme national philippin de formation (dressage) des « superbonnes », en passant par la féminisation de la survie au Sud, largement tributaire des programmes d’ajustement structuraux imposés depuis les années 90.

Nous sommes bien loin du cadre d’analyses et des revendications syndicales traditionnelles, pensés pour le travail salarié à temps plein, massivement masculin. Or, il y a des groupes qui ne peuvent faire l’économie de cette complexité des rapports de pouvoir, sans laquelle ont ne peut comprendre ni l’ampleur de l’injustice vécue, ni les mécanismes, acteurs et institutions à l’œuvre. À ce titre, la situation des travailleuses domestiques philippines est exemplaire. Le fait que cette  triple discrimination (sur la base du sexe, de la condition sociale et de l’origine ethnique), notion analytique réductrice et imparfaite, mais déjà très complexe, soit décriée sur la place publique me semble une avancée importante. D’autant plus impressionnant, le fait qu’elle soit portée et supportée par un vaste consensus social. La Coalition a non seulement su rallier les grandes centrales syndicales à sa cause, elle est aujourd’hui appuyée par près de 200 organisations syndicales, féministes, populaires et communautaires[4].

L’appui des grandes centrales syndicales dans cette bataille souvent qualifiée de David contre Goliath (essayer de vous figurer un David féminin et de minorité visible, pas facile…) est encouragent. Elles n’étaient pas sorties, en 2009, lorsque PINAY et l’UTTAM revendiquaient l’inscription à la Loi sur la santé et la sécurité au travail pour les travailleuses et travailleurs domestiques, toujours pas gagnée. Cet automne, la FTQ, la CSN et la CSQ ont dénoncé d’une même voix, en  conférence de presse, le manque d’action de la ministre sur ce dossier. L’immobilisme du gouvernement en laisse plus d’un perplexe. Comme le rappelle Margo Legault, porte-parole de la Coalition, « dans cette lutte, alors qu’il était dans l’opposition, le Parti québécois était un allié indéfectible de la Coalition, questionnant à l’Assemblée nationale, interpelant et dénonçant les ministres du Travail qui se sont succédé afin qu’ils règlent enfin cette exclusion esclavagiste »[5]. Tel que souligné lors du communiqué de presse par un vice-président de la CSQ lors du point de presse, le double discours de notre ministre de la Condition féminine est d’autant plus gênant qu’elle représente un gouvernement qui semble s’être lancé dans une vertueuse campagne visant à affirmer l’égalité homme femme comme « valeur fondamentale » des Québécoises et des Québécois…

Malaka Rached



[1] Boucher, Marie-Pierre et Noiseux, Yanick, 2010, « Effets de la libéralisation des marchés sur les conditions de travail des Québécoises : huit études de cas », dans le cadre de la recherche Les effets des accords de commerce et de la libéralisation des marchés sur les conditions de travail et de vie des femmes au Québec, 1989-2005, Cahiers de l’Institut de recherches et d’études féministes, Université du Québec à Montréal, Montréal., p. 90.
[2] AAFQ, dans Boucher et Noiseux, 2010, Ibid.
[3] Durand, 2004, dans Boucher et Noiseux, 2010.
[4] UTTAM, 2013, CSST et travailleuses domestiques. Pour en finir avec la discrimination, la ministre du Travail soir faire ses devoirs, communiqué, 27 octobre 2013. [En ligne http://www.uttam.qc.ca/T-dom-27-10-13.html]
[5] Ibid.

2 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. Trouvez l'erreur dans la couverture de TVA... c'est gros comme le bras!

    http://tvanouvelles.ca/lcn/infos/national/archives/2013/10/20131027-172903.html

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