jeudi 14 novembre 2013

Employeurs féroces versus employés tenaces


Afin de diversifier les nouvelles, j’ai décidé de faire un petit topo sur une lutte syndicale qui a lieu présentement au Québec et dont les lecteurs de ce blogue n’ont fort probablement pas eu vent. En effet, sur le plan syndical, ces derniers temps, nous avons surtout entendu parler du conflit chez Couche-tard ou de la grève qui vient de s’entamer dans plusieurs succursales de Renaud-Bray, par exemple. C’est pourquoi je tenais à faire la lumière sur un conflit de travail qui oppose les employés de garage de 25 concessionnaires automobiles à leurs patrons, au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Ce sont 450 employés de garage qui sont en lock-out depuis le 5 mars 2013, lock-out qui s’était entamé le 21 février dans quelques uns de ces garages. Ils tiennent ainsi des lignes de piquetage depuis près de 9 mois et il n’y a même pas de discussions entamées entre les deux parties. Ces employés, membres du Syndicat des employés de garage, affilié à la CSD (Centrale des syndicats démocratiques) font en plus face à une judiciarisation importante du conflit de la part des concessionnaires. Plusieurs tactiques de ce genre sont, en effet, utilisées par les employeurs pour briser la solidarité et la confiance des syndiqués, plusieurs employés ont ainsi reçu des avis de comparution pour outrage au tribunal et même des lettres de congédiement (CSD, 2013a).
La convention collective proposée par les concessionnaires automobiles avait alors été rejeté à 99.1% lors d’un vote en assemblée générale, c’est dire à quel point les positions sont campées. Tous les avantages sociaux accumulés au cours des années et des négociations se retrouvaient annulés par cette proposition. Grossièrement, cette convention collective visait à distinguer les employés avec un statut à temps partiel de ceux à temps plein, augmenter les heures de travail des employés, diminuer les tâches qui leur sont spécifiquement attitrées et permettre l’augmentation du recours à la sous-traitance (CSD, 2013b). Il aurait clairement résulté de cette proposition des pertes d’emplois dues à l’augmentation du recours à la sous-traitance ainsi qu’à la diminution de leurs tâches réservées et une plus grande précarité pour les travailleurs qui n’auraient pas le statut d’employé à temps plein. Cette proposition était donc nettement inacceptable pour des travailleurs qui veulent conserver leur dignité et des conditions de travail décentes.
Depuis le mois de mars passé, les concessionnaires automobiles leur mènent la vie dure en multipliant les recours judiciaires visant notamment à les empêcher de tenir des piquets de grève de plus de cinq personnes sur leurs terrains et les accusant d’intimider leurs potentiels clients (Le Quotidien, 2013b). Les concessionnaires ont même déposé une plainte à l’hôtel de ville de Saguenay pour déloger les abris temporaires installés par les syndiqués en bordure de la route, ce à quoi le maire de Saguenay a répondu par un appel à la tolérance (Le Quotidien 2013c).
Le rapport de force est très difficile à établir pour les employés en lock-out puisqu’en plus d’être peu nombreux dans chacun des garages, ils sont dispersés à travers la région, c’est à dire sur une étendue de plus de 130 km. Par ailleurs, les concessionnaires automobiles continuent de faire des ventes puisque les grévistes ne peuvent pas entraver l’accès au commerce et que la population ne maintient pas un boycott aussi serré que le voudrait le syndicat. De plus, les travaux mécaniques sont réalisés par des cadres, parfois devant les grévistes qui piquètent ce qui a bien souvent augmenté la tension entre les deux parties, ou par des garages indépendants en sous-traitance. Ainsi, les concessionnaires perdent peu d’argent et font durer le conflit dans le temps tout en ayant recours aux tribunaux contre les travailleurs.
La CSD appuie fortement les employés en lock-out, mais elle ne dispose clairement pas des moyens financiers et organisationnels nécessaires à une opposition féroce des travailleurs envers les concessionnaires qui refusent de négocier. Plusieurs syndicats ont signifié leur appui aux lock-outés et récemment, ces derniers ont reçu un important appui financier de part du Local 1500 du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) représentant les techniciens d’Hydro-Québec qui leur a remis un chèque de 20 240$ (Le Quotidien, 2013a). Cela constitue le plus gros appui depuis le début du conflit, il s’agit d’un appui, non seulement financier, mais également symbolique puisque c’est un syndicat affilié à la FTQ et que les guerres entre les différentes centrales syndicales viennent souvent entraver ce genre de geste. Cette marque de solidarité a amené un vent d’espoir chez les lock-outés qui ont des dizaines de recours en justice contre eux, en plus de voir le conflit s’éterniser dans le temps.
La situation est très difficile à tenir pour les travailleurs en lock-out étant donné la difficulté d’établir un réel rapport de force envers leurs employeurs et les faibles moyens financiers dont ils disposent. Il y a, effectivement, très peu d’actions concrètes qui sont prises par le syndicat pour tenter de faire changer d’avis les concessionnaires qui ont même refusé de négocier en présence d’un conciliateur du ministère du travail (CSD, 2013a). Les moyens de pression devront clairement s’intensifier dans les prochains mois si les travailleurs veulent en venir à une entente convenable et éviter la barre fatidique des 12 mois sans convention collective. Un appui tel que celui offert par le Local 1500- SCFP vient évidemment redorer la confiance des lock-outés, mais ils devront être plusieurs à faire de même pour que la lutte aboutisse sans dépouiller complètement les employés de garage. Les syndiqués devront certainement renforcer leur cohésion et rivaliser d’ingéniosité pour trouver des façons de faire pression sur leurs employeurs, jouer sur le plan de l’opinion publique en remportant l’appui indéfectible de la population régionale pourrait être un bon début.

Références

CSD, 2013a, Les lock-outés répondent à la judiciarisation du conflit par encore plus de démocratie et de transparence, Centrale des syndicats démocratiques, [En ligne], http://www.csd.qc.ca/les-lock-outes-repondent-a-la-judiciarisation-du-conflit-par-encore-plus-de-democratie-et-de-transparence/ (page consultée le 13 novembre 2013). 

CSD, 2013b, Un lock-out qui se prolonge pour les membres du SDEG Saguenay-Lac-St-Jean CSD, Centrale des syndicats démocratiques, [En ligne], http://www.csd.qc.ca/lock-outsdeg/ (page consultée le 13 novembre 2013). 

LE QUOTIDIEN, 2013a, Un appui moral et financier, Le Quotidien, [En ligne], http://www.lapresse.ca/le-quotidien/actualites/201311/07/01-4708492-un-appui-moral-et-financier.php (page consulté le 13 novembre 2013).

LE QUOTIDIEN, 2013b, Un employé devant le tribunal, Le Quotidien, [En ligne], http://www.lapresse.ca/le-quotidien/justice-et-faits-divers/201310/21/01-4702021-un-employe-devant-le-tribunal.php (page consultée le 13 novembre 2013).

LE QUOTIDIEN, 2013c, Jean Tremblay appelle à la tolérance, Le Quotidien, [En ligne], http://www.lapresse.ca/le-quotidien/actualites/201310/06/01-4696980-jean-tremblay-appelle-a-la-tolerance.php (page consultée le 13 novembre 2013).

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