Le monde selon H&M : petites mains dissimulées
et surconsommation
Tout récemment, Radio-Canada
diffusait dans le cadre de sa série Les grands reportages un documentaire
réalisé par le réseau français Canal + intitulé Le monde selon H&M [1],
dans lequel on y dévoile la face cachée du géant du prêt-à-porter. L’entreprise suédoise, qui se targue d’être le modèle
de la multinationale responsable et équitable s’assurant du traitement
exemplaire de ses travailleurs et du respect de l’environnement, représente en
quelque sorte le parangon de la mondialisation heureuse. Mais qu’en est-il
réellement ?
Créée en Suède dans les années 1940, l’entreprise jadis
modeste est désormais numéro un de l’habillement dans le monde. Le chiffre d’affaires
de la société devrait atteindre plus de 21 milliards de dollars cette année
(bénéfices prévus de 2,3 milliards) d'après le magazine Forbes. Toujours selon la publication économique, la marque compterait présentement 105 000 employés [2]. Néanmoins,
le groupe constitue l’une des entreprises les plus profitables dans le monde et
jouit d’une forte image sociale. Mais l’icône angélique de la chaîne se
lézarde à l’en croire les deux documentaristes françaises qui ont sillonnées
le globe, du Bangladesh à l’Éthiopie, afin de déboulonner le mythe de la
multinationale irréprochable.
Des ONG internationales implantées dans les pays où
H&M « s’approvisionnent » en produits, bref là où elle fait fabriquer ses habits,
reprochent entre autres aux fournisseurs qui font affaire avec la multinationale
de ne pas respecter les limites légales d’heures travaillées par semaine.
Certains travailleurs bangladais soutiennent ainsi travailler régulièrement plus
de 80 heures alors que la loi ne permet qu’un maximum de 72 heures, et ce, en
périodes exceptionnelles. Les installations qu’occupent ces travailleurs
soulèvent également de nombreuses inquiétudes : bien que la marque suédoise
ne fît pas partie des locataires du Rana Plaza, cet immeuble-usine vétuste de
la banlieue de la capitale bangladaise Dacca effondré en 2013 et faisant plus
de 1000 victimes, les actuels locaux occupés par les fournisseurs d’H&M au
Bangladesh font craindre le pire.
La catastrophe de Dacca a en outre soulevé l’indignation
et levé le voile sur les conditions de travail des ouvriers embauchés par les
fournisseurs des multinationales de l’habillement. De nombreuses manifestations
revendiquant de meilleures conditions de travail émergèrent, essentiellement
dans les pays « producteurs ». Face à ce tollé, le PDG de la société H&M,
Karl-Johan Persson, dans un exercice fortement médiatisé, demande au décideur bangladais d'hausser le salaire
minimum, concernant notamment les travailleurs du textile, ces « petites mains
» qui soutiennent littéralement le modèle d’affaire de H&M et de ses
concurrents. Mais la démonstration n’est autre qu’écran de fumée : au même
instant, la multinationale entreprend de délocaliser des centaines d'emploi en
Éthiopie, État répressif s’il en est un, mais aussi et surtout un pays où la
main-d'œuvre est encore moins coûteuse. À quel point ? Eh bien, sachez que
le secteur privé éthiopien est légalement exempté de mesures de salaire
minimum. Ainsi, certains ouvriers du textile ne gagneraient qu'entre 38 et 52
dollars américains… par mois !
H&M réplique que la
compétition est féroce (les géants de l’habillement délocalisent tous une
certaine partie de leur masse ouvrière afin d’économiser) et, qu’au final, elle
permet à des milliers d’individus en situation précaire d’avoir un boulot. Mais
à quel prix…
Pendant ce temps, le
fiscaliste en chef de la griffe suédoise confirme que celle-ci n'a acquitté
aucun impôt relativement à ses activités avec ses fournisseurs, et ce peu
importe l'État dans lequel ceux-ci sont établis. Manèges fiscaux respectant les cadres légaux mais dont l'éthique est assurément discutable. De plus, la société a entrepris
de réduire la base fiscale disponible relative à ses points de vente à travers
le monde, rapatriant à Stockholm des « coûts » inhérents au design, à la
publicité, etc. Enfin, la multinationale bénéficie du soutien de la communauté
européenne, celle-ci subventionnant généreusement la construction de gigantesques
entrepôts sur le territoire de l'union. Cette même union et ses membres qui
souffrent d'un manque à gagner substantiel causé par le récent stratagème
comptable du groupe.
Système économique dominant et
surconsommation
Évidemment, la
multinationale évolue dans un système économique dominé par le libre-marché et
la mise en concurrence des acteurs économiques, et ce faisant, se soucie d’abord
et avant tout de ses marges bénéficiaires et du rendement de ses actifs
financiers. Son modèle d’affaires,
désormais bien connu dans le secteur du vêtement, se déploie sur deux fronts afin
de séduire le consommateur.
D’un côté, comme nous
le soulignions ci-dessus, H&M développe l’image d’une marque à la fois
responsable et branchée qui représente un style de vie essentiellement jeune, urbain
et moderne, en phase avec les tendances et enjeux (l’environnement, notamment) de
l’époque. À ce propos, elle s’associe à des icônes de la mode, du sport ou de
la musique qui participent à l’élaboration de design et apposent leur sceau à
diverses collections.
De l’autre, la griffe
offre des vêtements fashion au plus bas prix et ce, dans
un éventail pléthorique, selon la stratégie des « 52 collections par année » (une
nouvelle à chaque semaine), tactique commerciale mise en lumière dans le documentaire
No Logo de la célèbre militante de gauche Naomi Klein.
À la clé de cette stratégie marketing efficace
: des achats irrationnels et compulsifs agrémentés d’une consommation (acquisition/abandon)
rapide qui s’inscrit dans une sorte d’obsolescence programmée mais à vitesse
grand V, où la mode de l’heure – et c’est quasiment le cas de le dire – relègue
celle tout juste émergée. Des ingrédients idoines au cocktail de la
surconsommation et de tous ses effets – psychologiques, sociaux,
environnementaux – ultimement délétères.
Bien loin, finalement, de symboliser la mondialisation
heureuse, H&M peut cependant convoiter le titre de parangon du capitalisme
débridé.
Olivier Béland-Côté
[1] Le
reportage :
[2]