Le
Devoir rapportait récemment dans
un article
que
les négociations locales dans le réseau de la santé n’avaient
pas abouti, le tiers ayant débouché sur un processus de médiation
tandis que seulement la moitié des négociations auraient été
conclues dans les délais légaux.
Retour
sur une réforme unanimement condamnée
Le
25 septembre 2014, le ministre sortant de la Santé, alors
nouvellement élu, dépose un projet de loi (PL10) visant à
restructurer le réseau de la santé et des services sociaux en
regroupant au sein de 28 centres régionaux et « supranationaux »
les 182 établissements publics de santé et de services sociaux du
Québec. Selon le ministre, cette réforme devait permettre
d’amélioration les services à la population, de débureaucratiser
le réseau et d'assurer une économie annuelle de 220 millions de
dollars.
Cependant,
peu d’organisations appuient la démarche. Les
groupes communautaires, les différents syndicats représentés en
santé, les ordres professionnels, les médecins, etc. déposent tous
des mémoires questionnant le bien-fondé de cette réforme. Les
milieux universitaires viennent aussi en rajouter, des chercheurs
comme Contandriopoulos
(professeur de l’Université de Montréal) soulignant que rien ne
permet de croire que la réforme aura les impacts souhaités. Dans
les 125 mémoires
déposés dans le cadre de la consultation, certaines critiques
reviennent plus souvent : la désorganisation des services qui
accompagne inévitablement toute réforme d’envergure pendant un
certain temps; la concentration des pouvoirs entre les mains du
ministre de la santé; la centralisation des décisions dans les
établissements; et le transfert des budgets vers les hôpitaux au
détriment des services de proximité (ex, Centre local en santé
communautaire, CLSC).
Malgré
ces oppositions, insatisfait
de la vitesse des débats, le gouvernement forcera l’adoption sous bâillon du projet de loi après
moins d’un an
créant
ultimement les Centres intégrés en santé et services sociaux
(CISSS) ou CIUSSS lorsqu’une université y est rattachée.
Impact
sur l’organisation du syndicalisme dans le réseau de la santé
Le
projet devenu loi, a aussi des impacts importants sur les droits
associatifs des employé-e-s du réseau : exit les multiples
syndicats locaux, désormais il n’y aura plus que quatre syndicats
par Centre intégré, soit un par « catégories »
d’employé :
Catégorie
1 : Soins infirmiers et inhalothérapeutes
Catégorie
2 : Métiers et paratechnique (ex, les “cols bleus”, préposés
aux bénéficiaires, etc.)
Catégorie
3 : Le personnel de bureau
Catégorie 4 : Les professionnelles et techniciennes (travailleur-e-s sociaux,
ergothérapeutes, etc.)
Cette
situation entraine la fusion forcée des accréditations syndicales
et par extension, une longue période de maraudage dans l’ensemble
du réseau où chacun des syndicats déjà présents dans un
établissement entre en compétition pour pouvoir gagner plus de
membres. Ce processus sera condamné
par les syndicats qui souligneront non seulement que ce processus
remet en question le droit d’association (puisque la période de
maraudage n’est pas due à une volonté des personnes syndiquées),
mais aussi que l’ampleur des nouvelles unités syndicales entraîne
un changement dans la manière de faire des syndicats locaux.
Les
nouvelles dimensions des unités d’accréditation pose aussi le
risque de diminuer la vie démocratique des syndicats et de baisser
le caractère « représentatif » de syndicats de plus en
plus éloignés de la réalité de leurs membres, ne serait-ce que
géographiquement (bien que plusieurs mesures sont prises afin de
diminuer cet impact). La tendance à l’hospitalocentrisme présente
dans le réseau risque aussi de se retrouver dans certaines unités
syndicales puisque les employé-e-s travaillant dans les hôpitaux
sont souvent numériquement plus nombreux que ceux d’autres
établissements comme les centres jeunesses et les centres de
réadaptation.
Au
final, la campagne de maraudage, qui a culminé au début de l’année
2017 durant la période de vote aura entrainé
un changement important du paysage syndical. En effet, les
syndicats traditionnellement importants dans le milieu de la santé
perdent de nombreux membres au profit de syndicats autonomes. Ainsi,
alors que le plus important syndicat présent en santé, la
Fédération de la santé et desservices sociaux (FSSS)
de la Centrale des syndicats du Québec
(CSN) perd 20 000 membres,
l'Alliance du personnel professionnel ettechnique de la santé et des services sociaux
(APTS)
présente uniquement dans la catégorie quatre en gagnera tout autant.
Pareillement, la Fédérationinterprofessionnelle de la santé du Québec
(FIQ)
réussira à consolider son quasi-monopole
dans la catégorie un.
En
dehors de ce que cela suppose au niveau organisationnel (changement
des représentants syndicaux, période de transition dans plusieurs
dossiers, perte ou gain de revenus pour les syndicats, etc.), c’est
l’ensemble des « conventions locales » qui doivent
aussi être renégociées, la date limite pour y arriver étant le 30
septembre dernier dans plusieurs établissements.
Négociations
locales
La
Loisur le régime de négociation des conventions collectives dans lessecteurs public et parapublic (chapitre R-8.2)
qui
structures les négociations dans le secteur public détermine 26
éléments devant être négocié localement. Bien qu’il existait
déjà des conventions locales, la fusion des syndicats a entraîné
l’obligation de les réviser afin qu’il n’y en ait qu’une
seule par unité d’accréditation.
Parmi
ces éléments, on retrouve plusieurs éléments importants,
notamment les horaires de travail, les vacances, les périodes de
probations, les éléments liés aux déplacements (per
diem,
port d’attache), etc.
Ainsi, si le salaire et certaines clauses générales sont déterminés
au niveau national, une quantité importante d’éléments dépendent
des conventions
locales en
faisant
des éléments extrêmement structurants des emplois malgré le peut
d’intérêt quelles suscites parfois.
Et
les négociations vont mal. Très mal même. Car
si plusieurs ententes locales ont été conclues, l’APTS
rapporte que la partie patronale s’est retirée d’unequinzaine de négociations.
La FSSS rapporte aussi des
blocages [salle de presse], tout comme le Syndicat
canadien de la fonction publique
(notamment en Estrie)
et la FIQ (par exemple en Outaouais).
Au
coeur de plusieurs conflits, la tendance des employeurs à faire un
nivellement vers le bas des conditions de travail. Ainsi, comme
l’exprime Josée Marcotte, vice-présidente à la Fédération de
la santé et des services sociaux (FSSS–CSN),
les comités patronaux ont tendance à aller chercher les éléments
les plus problématiques de chacune des anciennes conventions (ex,
retirer la possibilité d’avoir des congés différés ou les
horaires comprimés sur 4 jours, retirer certains frais
remboursables, nombre
de postes permanents vs temporaire, horaires à temps plein, etc.).
Ainsi,
en
Outaouais, l’employeur voudrait, pour
les infirmières,
« […]
enlever
le droit à une fin de semaine de congé sur deux. Il veut pouvoir
modifier l’horaire de travail à moins de 48 heures, et ce, sans
préavis. Il veut plafonner à trois le nombre de jours consécutifs
pour un congé pendant la période des Fêtes. »
Cette
tendance est doublée d’un nouvel enjeu d’importance : la
mobilité. En effet, maintenant que les CISSS et CIUSSS couvrent des
territoires parfois très vastes et regroupent plusieurs
établissements, il y a une forte
pression
pour que les employé-e-s se retrouvent forcés à accepter des
affectations se trouvant loin de leur lieu
de travail d’origine. Par exemple, en Gaspésie, l’employeur
aurait proposé d’élargir le port d’attache à un rayon de 100km
selon les comptes rendus du syndicat local APTS. Ceci
impliquerait donc que les personnes devraient se rendre disponibles
au travail sur un très large territoire, et ce sans compensation ni
mesures d’accommodement.
Ce
genre de demande, qui relève plus du ridicule que de la saine
gestion du réseau, renvoie à une tendance forte à demander une
flexibilité de plus en plus grande aux travailleuses et
travailleurs, tout en retirant cette obligation aux employeurs. Cette
tendance à la flexibilisation, qui a déjà été abordée
ici
et ici,
traverse l’ensemble des marchés de l’emploi en touchant
particulièrement certains milieux et est rendu possible dans le
réseau de la santé par l’état
des rapports de forces entre
employeur et syndicat.
En
effet, du fait de la loi fusionnant les établissements de santé,
les employeurs se retrouvent d’un côté à avoir accès à des
employé-e-s captifs puisqu’ils possèdent souvent le monopole des
emplois dans certains domaines pour toute une région. De l’autre
côté, les syndicats se retrouvent non seulement désorganisés par
leur fusion obligatoire (qui est plus récente que celle des
établissements), éloignés de leurs membres et réduits à ne
pouvoir créer un rapport
de force grâce
au recours à la grève qui est
interdite pour les négociations locales. Ne
leur reste plus que des moyens de pression symboliques.
Nous
avons donc ici l’effet d’une loi largement contestée et adoptée
sous bâillon, qui centralise les processus de décision dans le
réseau de la santé et force la fusion des syndicats sans
considération pour le droit d’association avec comme conséquence
de niveler vers le bas les conditions de travail de centaines de
milliers de travailleuses et travailleurs. Et les services aux
usagers? On attend toujours de voir des impacts positifs...
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