dimanche 21 octobre 2018

Négociation locales dans le réseau de la santé : La flexibilité au cœur des enjeux

Le Devoir rapportait récemment dans un article que les négociations locales dans le réseau de la santé n’avaient pas abouti, le tiers ayant débouché sur un processus de médiation tandis que seulement la moitié des négociations auraient été conclues dans les délais légaux.

Retour sur une réforme unanimement condamnée

Le 25 septembre 2014, le ministre sortant de la Santé, alors nouvellement élu, dépose un projet de loi (PL10) visant à restructurer le réseau de la santé et des services sociaux en regroupant au sein de 28 centres régionaux et « supranationaux » les 182 établissements publics de santé et de services sociaux du Québec. Selon le ministre, cette réforme devait permettre d’amélioration les services à la population, de débureaucratiser le réseau et d'assurer une économie annuelle de 220 millions de dollars.

Cependant, peu d’organisations appuient la démarche. Les groupes communautaires, les différents syndicats représentés en santé, les ordres professionnels, les médecins, etc. déposent tous des mémoires questionnant le bien-fondé de cette réforme. Les milieux universitaires viennent aussi en rajouter, des chercheurs comme Contandriopoulos (professeur de l’Université de Montréal) soulignant que rien ne permet de croire que la réforme aura les impacts souhaités. Dans les 125 mémoires déposés dans le cadre de la consultation, certaines critiques reviennent plus souvent : la désorganisation des services qui accompagne inévitablement toute réforme d’envergure pendant un certain temps; la concentration des pouvoirs entre les mains du ministre de la santé; la centralisation des décisions dans les établissements; et le transfert des budgets vers les hôpitaux au détriment des services de proximité (ex, Centre local en santé communautaire, CLSC).

Malgré ces oppositions, insatisfait de la vitesse des débats, le gouvernement forcera l’adoption sous bâillon du projet de loi après moins d’un an créant ultimement les Centres intégrés en santé et services sociaux (CISSS) ou CIUSSS lorsqu’une université y est rattachée.

Impact sur l’organisation du syndicalisme dans le réseau de la santé

Le projet devenu loi, a aussi des impacts importants sur les droits associatifs des employé-e-s du réseau : exit les multiples syndicats locaux, désormais il n’y aura plus que quatre syndicats par Centre intégré, soit un par « catégories » d’employé :

Catégorie 1 : Soins infirmiers et inhalothérapeutes
Catégorie 2 : Métiers et paratechnique (ex, les “cols bleus”, préposés aux bénéficiaires, etc.)
Catégorie 3 : Le personnel de bureau
Catégorie 4 : Les professionnelles et techniciennes (travailleur-e-s sociaux, ergothérapeutes, etc.)

Cette situation entraine la fusion forcée des accréditations syndicales et par extension, une longue période de maraudage dans l’ensemble du réseau où chacun des syndicats déjà présents dans un établissement entre en compétition pour pouvoir gagner plus de membres. Ce processus sera condamné par les syndicats qui souligneront non seulement que ce processus remet en question le droit d’association (puisque la période de maraudage n’est pas due à une volonté des personnes syndiquées), mais aussi que l’ampleur des nouvelles unités syndicales entraîne un changement dans la manière de faire des syndicats locaux.

Les nouvelles dimensions des unités d’accréditation pose aussi le risque de diminuer la vie démocratique des syndicats et de baisser le caractère « représentatif » de syndicats de plus en plus éloignés de la réalité de leurs membres, ne serait-ce que géographiquement (bien que plusieurs mesures sont prises afin de diminuer cet impact). La tendance à l’hospitalocentrisme présente dans le réseau risque aussi de se retrouver dans certaines unités syndicales puisque les employé-e-s travaillant dans les hôpitaux sont souvent numériquement plus nombreux que ceux d’autres établissements comme les centres jeunesses et les centres de réadaptation.

Au final, la campagne de maraudage, qui a culminé au début de l’année 2017 durant la période de vote aura entrainé un changement important du paysage syndical. En effet, les syndicats traditionnellement importants dans le milieu de la santé perdent de nombreux membres au profit de syndicats autonomes. Ainsi, alors que le plus important syndicat présent en santé, la Fédération de la santé et desservices sociaux (FSSS) de la Centrale des syndicats du Québec (CSN) perd 20 000 membres, l'Alliance du personnel professionnel ettechnique de la santé et des services sociaux (APTS) présente uniquement dans la catégorie quatre en gagnera tout autant. Pareillement, la Fédérationinterprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) réussira à consolider son quasi-monopole dans la catégorie un.

En dehors de ce que cela suppose au niveau organisationnel (changement des représentants syndicaux, période de transition dans plusieurs dossiers, perte ou gain de revenus pour les syndicats, etc.), c’est l’ensemble des « conventions locales » qui doivent aussi être renégociées, la date limite pour y arriver étant le 30 septembre dernier dans plusieurs établissements.

Négociations locales

La Loisur le régime de négociation des conventions collectives dans lessecteurs public et parapublic (chapitre R-8.2) qui structures les négociations dans le secteur public détermine 26 éléments devant être négocié localement. Bien qu’il existait déjà des conventions locales, la fusion des syndicats a entraîné l’obligation de les réviser afin qu’il n’y en ait qu’une seule par unité d’accréditation.

Parmi ces éléments, on retrouve plusieurs éléments importants, notamment les horaires de travail, les vacances, les périodes de probations, les éléments liés aux déplacements (per diem, port d’attache), etc. Ainsi, si le salaire et certaines clauses générales sont déterminés au niveau national, une quantité importante d’éléments dépendent des conventions locales en faisant des éléments extrêmement structurants des emplois malgré le peut d’intérêt quelles suscites parfois.

Et les négociations vont mal. Très mal même. Car si plusieurs ententes locales ont été conclues, l’APTS rapporte que la partie patronale s’est retirée d’unequinzaine de négociations. La FSSS rapporte aussi des blocages [salle de presse], tout comme le Syndicat canadien de la fonction publique (notamment en Estrie) et la FIQ (par exemple en Outaouais).

Au coeur de plusieurs conflits, la tendance des employeurs à faire un nivellement vers le bas des conditions de travail. Ainsi, comme l’exprime Josée Marcotte, vice-présidente à la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS–CSN), les comités patronaux ont tendance à aller chercher les éléments les plus problématiques de chacune des anciennes conventions (ex, retirer la possibilité d’avoir des congés différés ou les horaires comprimés sur 4 jours, retirer certains frais remboursables, nombre de postes permanents vs temporaire, horaires à temps plein, etc.).

Ainsi, en Outaouais, l’employeur voudrait, pour les infirmières, « […] enlever le droit à une fin de semaine de congé sur deux. Il veut pouvoir modifier l’horaire de travail à moins de 48 heures, et ce, sans préavis. Il veut plafonner à trois le nombre de jours consécutifs pour un congé pendant la période des Fêtes. »

Cette tendance est doublée d’un nouvel enjeu d’importance : la mobilité. En effet, maintenant que les CISSS et CIUSSS couvrent des territoires parfois très vastes et regroupent plusieurs établissements, il y a une forte pression pour que les employé-e-s se retrouvent forcés à accepter des affectations se trouvant loin de leur lieu de travail d’origine. Par exemple, en Gaspésie, l’employeur aurait proposé d’élargir le port d’attache à un rayon de 100km selon les comptes rendus du syndicat local APTS. Ceci impliquerait donc que les personnes devraient se rendre disponibles au travail sur un très large territoire, et ce sans compensation ni mesures d’accommodement.

Ce genre de demande, qui relève plus du ridicule que de la saine gestion du réseau, renvoie à une tendance forte à demander une flexibilité de plus en plus grande aux travailleuses et travailleurs, tout en retirant cette obligation aux employeurs. Cette tendance à la flexibilisation, qui a déjà été abordée ici et ici, traverse l’ensemble des marchés de l’emploi en touchant particulièrement certains milieux et est rendu possible dans le réseau de la santé par l’état des rapports de forces entre employeur et syndicat.

En effet, du fait de la loi fusionnant les établissements de santé, les employeurs se retrouvent d’un côté à avoir accès à des employé-e-s captifs puisqu’ils possèdent souvent le monopole des emplois dans certains domaines pour toute une région. De l’autre côté, les syndicats se retrouvent non seulement désorganisés par leur fusion obligatoire (qui est plus récente que celle des établissements), éloignés de leurs membres et réduits à ne pouvoir créer un rapport de force grâce au recours à la grève qui est interdite pour les négociations locales. Ne leur reste plus que des moyens de pression symboliques.

Nous avons donc ici l’effet d’une loi largement contestée et adoptée sous bâillon, qui centralise les processus de décision dans le réseau de la santé et force la fusion des syndicats sans considération pour le droit d’association avec comme conséquence de niveler vers le bas les conditions de travail de centaines de milliers de travailleuses et travailleurs. Et les services aux usagers? On attend toujours de voir des impacts positifs...

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