jeudi 18 octobre 2018

Débuts de syndicalisation pour la Société québécoise du cannabis (SQDC)



Depuis le 17 octobre 2018 est rendu légal l’achat de cannabis récréatif au Canada. Au Québec, c’est la Société québécoise du cannabis (SQDC), une filiale de la Société des alcools du Québec (SAQ), qui est chargée « d’assurer la vente responsable du cannabis au Québec en priorisant la santé et la sécurité de [leur] clientèle »[1]. Dès cette première journée, deux succursales (celles de Rosemont et de Rimouski) ont choisi le syndicat des Travailleurs et Travailleuses unis del’alimentation et du commerce (TUAC), affiliés à la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) pour les représenter. Comme le relate plusieurs quotidiens, plusieurs syndicats et centrales ont manifesté leur intérêt de représenter les différentes succursales de la SQDC dont la CSN (Confédération des syndicats nationaux), le SEMB-SAQ (Syndicat des employés de magasin et de bureau de la SAQ) et le SCFP (Syndicat canadien de la fonction publique). Ces derniers étaient présents aux différents points de vente pour recruter des membres et plusieurs ont dénoncé la rémunération offerte par la société de 14$ de l’heure. Rappelons que le salaire minimum est de 12$ au Québec. D’un autre côté, la SAQ quant à elle offre un salaire horaire de 19,33$ aux conseillers-vendeurs et de 21,70$ aux conseillers en vin.

Fait intéressant : sur le site de la SQDC, la société se vante d’offrir des » conditions de travail avantageuses » dont une « rémunération concurrentielle ».[2] Faut-il en comprendre que 14$ de l’heure est une rémunération intéressante? Plus ou moins et ce, surtout si l’on compare aux salaires offerts par la SAQ. Sous cet angle, la rémunération de la SQDC laisse à désirer. Mais pourquoi offrir un salaire aussi bas? Après tout, il semble impossible de mobiliser l’argument de la concurrence entre entreprises puisque la SQDC aura le monopole de la vente licite de cannabis au Québec. (Collombat et Noiseux, 2016) De plus, tout porte à croire que la vente de cannabis rapportera gros à l’État, plusieurs quotidiens faisant référence à un « Or vert »[3] éventuel. Cela reste évidemment à surveiller et à confirmer, mais reste une éventualité réaliste lorsqu’on observe ce que la légalisation a entraîné au niveau de l’économie dans certains États américains. En effet, au Colorado, par exemple, « le marché du cannabis a créé 18.000 emplois à temps plein en trois ans », « Les ventes ont engendré des recettes fiscales colossales […] » en plus d’avoir contribué à une augmentation du tourisme [4]. Bref, on se serait attendus au moins à des salaires équivalents.
Bien qu’offrant d’autres avantages sociaux comme l’accès à un régime de retraite, il est pertinent de comparer davantage la situation de la SQDC à celle de la SAQ. Cette dernière a fait parler d’elle dernièrement en raison de « points en litige » portant sur la précarité d’emploi et des questions monétaires[5]. Malgré des rémunérations intéressantes, ce qui est reproché à la SAQ est le nombre d’heures travaillées par les employés : « Les gens s’arrêtent au salaire et ne regardent pas l’ensemble des conditions […]. Que tu sois payé 19,33 $ de l’heure, si tu travailles trois heures, tu paies pas ton épicerie. »[6]. Yerochewski et al font une observation qui va dans ce sens, indiquant que « La pauvreté des travailleurs et, surtout, des travailleuses résulte aussi de l’insuffisance du nombre d’heures travaillées […] ». (Yerochewski et al, 2014 : 131) Devons-nous nous attendre à ce que la SQDC soit gérée de la même façon que la SAQ? Peut-être. En tant que filiale de la SAQ, une société d’État, il s’agit d’une possibilité raisonnable.
Enfin, nous sommes témoins des débuts du processus de syndicalisation de la SQDC qui, nous l’espérons, réussira à améliorer son salaire et à faire entendre toutes ses revendications éventuelles. Il reste que ce qui a été observé ce mercredi témoigne de notre pluralisme syndical québécois. Pour faire suite à l’article de Collombat et Noiseux (2016), cet exemple de compétition entre syndicats pourrait être avantageuse dans la mesure où les auteurs avancent l’hypothèse suivante :  
Une « offre » syndicale diversifiée permet aux groupes de travailleurs et travailleuses de choisir le type d’organisation qui leur convient le mieux, ou encore, lorsqu’ils sont insatisfaits, de changer de centrale syndicale plutôt que d’abandonner toute forme de représentation syndicale. (3)
Ainsi, il est, du coup, possible d’imaginer que cela contribuera à maintenir les efforts du côté syndical pour améliorer les conditions de travail et faire respecter les droits des travailleurs.
Par Samantha Duchesne

Références
AFT. « Le cannabis, futur « or vert » du Canada? », Le Journal de Montréal, 14 octobre

COLLOMBAT, Thomas et Yanick NOISEUX. 2016 (à paraître). « Le syndicalisme » dans
Les groupes de pressions et les mouvements sociaux au Québec (S. Paquin et J-P Brady, dirs). Québec : PUL.

GENOIS GAGNON, Jean-Michel. « SQDC : le syndicat des TUAC représentera les

« Les syndiqués de la SAQ votent en faveur de 18 jours de grève supplémentaires », Radio-

RUBETTI, Morgane. « Aux États-Unis, le « business » du cannabis légalisé en plein

Société Québécoise du cannabis, Carrières, 2018. En ligne au : https://www.sqdc.ca/fr-CA/a-propos/carrieres

YEROCHEWSKI, Carole, E. GALERAND, F. LESEMANN, Y. NOISEUX, S. SOUSSI
et L. ST-GERMAIN. 2014. « Non qualifiés les travailleurs pauvres? », dans La crise des emplois non qualifiés (sous la direction de S. Amine). Montréal : Presses internationales polytechniques, pp. 125-155.


[1] Société Québécoise du cannabis, Carrières, 2018. En ligne au : https://www.sqdc.ca/fr-CA/a-propos/carrieres
[2] Ibid
[3] AFT. « Le cannabis, futur « or vert » du Canada? », Le Journal de Montréal, 14 octobre 2018. En ligne au : https://www.journaldemontreal.com/2018/10/14/le-cannabis-futur-or-vert-du-canada
[4] RUBETTI, Morgane. « Aux États-Unis, le « business » du cannabis légalisé en plein essor », Le Figaro, 29 décembre 2017. En ligne au : http://www.lefigaro.fr/international/2017/12/29/01003-20171229ARTFIG00242-aux-etats-unis-le-business-du-cannabis-legalise-en-plein-essor.php
[5] « Les syndiqués de la SAQ votent en faveur de 18 jours de grève supplémentaires », Radio-Canada, 28 septembre 2018. En ligne au : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1126766/saq-greve-negociation-strategie
[6] Ibid

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