Depuis le 17 octobre 2018 est rendu légal l’achat de
cannabis récréatif au Canada. Au Québec, c’est la Société québécoise du
cannabis (SQDC), une filiale de la Société des alcools du Québec (SAQ), qui est
chargée « d’assurer la vente responsable du cannabis au Québec en
priorisant la santé et la sécurité de [leur] clientèle »[1].
Dès cette première journée, deux succursales (celles de Rosemont et de
Rimouski) ont choisi le syndicat des Travailleurs et Travailleuses unis del’alimentation et du commerce (TUAC), affiliés à la Fédération des travailleurs
du Québec (FTQ) pour les représenter. Comme le relate plusieurs quotidiens,
plusieurs syndicats et centrales ont manifesté leur intérêt de représenter les
différentes succursales de la SQDC dont la CSN (Confédération des syndicats
nationaux), le SEMB-SAQ (Syndicat des employés de magasin et de bureau de la
SAQ) et le SCFP (Syndicat canadien de la fonction publique). Ces derniers
étaient présents aux différents points de vente pour recruter des membres et
plusieurs ont dénoncé la rémunération offerte par la société de 14$ de l’heure.
Rappelons que le salaire minimum est de 12$ au Québec. D’un autre côté, la SAQ
quant à elle offre un salaire horaire de 19,33$ aux conseillers-vendeurs et de
21,70$ aux conseillers en vin.
Fait intéressant : sur le site de la SQDC, la société
se vante d’offrir des » conditions de travail avantageuses » dont
une « rémunération concurrentielle ».[2]
Faut-il en comprendre que 14$ de l’heure est une rémunération intéressante?
Plus ou moins et ce, surtout si l’on compare aux salaires offerts par la SAQ.
Sous cet angle, la rémunération de la SQDC laisse à désirer. Mais pourquoi offrir
un salaire aussi bas? Après tout, il semble impossible de mobiliser l’argument
de la concurrence entre entreprises puisque la SQDC aura le monopole de la
vente licite de cannabis au Québec. (Collombat et Noiseux, 2016) De plus, tout
porte à croire que la vente de cannabis rapportera gros à l’État, plusieurs
quotidiens faisant référence à un « Or vert »[3]
éventuel. Cela reste évidemment à surveiller et à confirmer, mais reste une
éventualité réaliste lorsqu’on observe ce que la légalisation a entraîné au
niveau de l’économie dans certains États américains. En effet, au Colorado, par
exemple, « le marché du cannabis a créé 18.000 emplois à temps plein en
trois ans », « Les ventes ont engendré des recettes fiscales colossales
[…] » en plus d’avoir contribué à une augmentation du tourisme [4]. Bref,
on se serait attendus au moins à des salaires équivalents.
Bien qu’offrant d’autres avantages sociaux comme l’accès à
un régime de retraite, il est pertinent de comparer davantage la situation de
la SQDC à celle de la SAQ. Cette dernière a fait parler d’elle dernièrement en
raison de « points en litige » portant sur la précarité d’emploi et
des questions monétaires[5].
Malgré des rémunérations intéressantes, ce qui est reproché à la SAQ est le
nombre d’heures travaillées par les employés : « Les gens s’arrêtent
au salaire et ne regardent pas l’ensemble des conditions […]. Que tu sois payé
19,33 $ de l’heure, si tu travailles trois heures, tu paies pas ton
épicerie. »[6].
Yerochewski et al font une
observation qui va dans ce sens, indiquant que « La pauvreté des
travailleurs et, surtout, des travailleuses résulte aussi de l’insuffisance du
nombre d’heures travaillées […] ». (Yerochewski et al, 2014 : 131) Devons-nous nous attendre à ce que la SQDC
soit gérée de la même façon que la SAQ? Peut-être. En tant que filiale de la
SAQ, une société d’État, il s’agit d’une possibilité raisonnable.
Enfin, nous sommes témoins des débuts du processus de
syndicalisation de la SQDC qui, nous l’espérons, réussira à améliorer son
salaire et à faire entendre toutes ses revendications éventuelles. Il reste que
ce qui a été observé ce mercredi témoigne de notre pluralisme syndical
québécois. Pour faire suite à l’article de Collombat et Noiseux (2016), cet
exemple de compétition entre syndicats pourrait être avantageuse dans la mesure
où les auteurs avancent l’hypothèse suivante :
Une « offre » syndicale diversifiée permet aux
groupes de travailleurs et travailleuses de choisir le type d’organisation qui
leur convient le mieux, ou encore, lorsqu’ils sont insatisfaits, de changer de
centrale syndicale plutôt que d’abandonner toute forme de représentation
syndicale. (3)
Ainsi, il est, du coup, possible d’imaginer que cela
contribuera à maintenir les efforts du côté syndical pour améliorer les
conditions de travail et faire respecter les droits des travailleurs.
Références
AFT.
« Le cannabis, futur « or vert » du Canada? », Le Journal de Montréal, 14 octobre
2018. En ligne au : https://www.journaldemontreal.com/2018/10/14/le-cannabis-futur-or-vert-du-canada
COLLOMBAT,
Thomas et Yanick NOISEUX. 2016 (à paraître). « Le syndicalisme » dans
Les
groupes de pressions et les mouvements sociaux au Québec (S. Paquin et J-P Brady, dirs). Québec : PUL.
GENOIS
GAGNON, Jean-Michel. « SQDC : le syndicat des TUAC représentera les
travailleurs de deux succursales », Le Soleil, 17 octobre 2018. En ligne
au : https://www.lesoleil.com/affaires/sqdc-le-syndicat-des-tuac-representera-les-travailleurs-de-deux-succursales-626e70fc64933f1f3d8e42f460d4e7e8
« Les
syndiqués de la SAQ votent en faveur de 18 jours de grève
supplémentaires », Radio-
Canada, 28 septembre 2018. En ligne au : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1126766/saq-greve-negociation-strategie
RUBETTI,
Morgane. « Aux États-Unis, le « business » du cannabis légalisé en
plein
essor », Le Figaro, 29 décembre 2017. En ligne au : http://www.lefigaro.fr/international/2017/12/29/01003-20171229ARTFIG00242-aux-etats-unis-le-business-du-cannabis-legalise-en-plein-essor.php
Société Québécoise du cannabis, Carrières, 2018. En ligne au : https://www.sqdc.ca/fr-CA/a-propos/carrieres
YEROCHEWSKI,
Carole, E. GALERAND, F. LESEMANN, Y. NOISEUX, S. SOUSSI
et L. ST-GERMAIN. 2014. « Non qualifiés les
travailleurs pauvres? », dans La
crise des emplois non qualifiés (sous la direction de S. Amine).
Montréal : Presses internationales polytechniques, pp. 125-155.
[1] Société
Québécoise du cannabis, Carrières,
2018. En ligne au : https://www.sqdc.ca/fr-CA/a-propos/carrieres
[2] Ibid
[3]
AFT.
« Le cannabis, futur « or vert » du Canada? », Le Journal de Montréal, 14 octobre 2018.
En ligne au : https://www.journaldemontreal.com/2018/10/14/le-cannabis-futur-or-vert-du-canada
[4]
RUBETTI,
Morgane. « Aux États-Unis, le « business » du cannabis légalisé
en plein essor », Le Figaro, 29
décembre 2017. En ligne au : http://www.lefigaro.fr/international/2017/12/29/01003-20171229ARTFIG00242-aux-etats-unis-le-business-du-cannabis-legalise-en-plein-essor.php
[5]
« Les
syndiqués de la SAQ votent en faveur de 18 jours de grève
supplémentaires », Radio-Canada,
28 septembre 2018. En ligne au : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1126766/saq-greve-negociation-strategie
[6] Ibid
Aucun commentaire:
Publier un commentaire