Durant le colloque « Le travail qui
rend pauvre; Action publique, résistances et dialogues Nord-Sud », j’ai assisté
à la présentation intitulée; « Conditions de travail et revendications
juridiques des travailleurs agricoles migrants ». Cette présentation se plaçait
dans un panel intitulé « Action publique et précarité au Québec : Enjeux
actuels ». Martin Gallié avait la tâche colossale d’exposer l’étude sans ses
collègues. Tâche colossale, car son exposé était dense sur le plan théorique et
a pu paraître complexe pour certaines personnes. Martin nous a présenté les
résultats de deux études de terrain. Ces études de terrain furent réalisées en
collaboration avec des travailleuses et travailleurs agricoles migrants de
Saint-Rémi qui participent au Programme
des travailleurs agricoles saisonniers. De plus, des travailleurs et
travailleuses du Programme de
travailleuses et travailleurs domestiques ont participé à la recherche.
En s’inspirant des théories marxistes
orthodoxes, les chercheurs et chercheuses ont caractérisé cette forme de
travail – le travail migrant temporaire – comme étant un « travail non libre ».
Cette analyse marxiste postule que les travailleurs et travailleuses migrants
temporaires ne disposent pas des moyens de production, du statut de salarié et
d’aucune mobilité dans la vente de leur force de travail sur le marché du
travail. Ainsi, ces programmes les privent du droit de se syndiquer, de l’accès
à des régimes de protection sociale et de la possibilité de circuler. Ces deux programmes
d’emplois mènent à des emplois précaires qui ne demandent pas ou très peu de
qualifications.
Les participants et participantes
sont assujetties à un programme spécifique que leur pays d’origine négocie avec
le Canada et les agences qui les emploient. Ces travailleurs et travailleuses ne
sont pas protégées par les législations du travail (par exemple : loi sur
les normes du travail et le code du travail) comme les travailleurs et
travailleuses du Québec et du Canada. Ils et elles sont aussi attachées à un
employeur précis. La plupart d’entre eux et elles habitent sur leur lieu de
travail, c’est-à-dire chez l’employeur. Les employeurs peuvent même conserver
les passeports des travailleurs, ce qui est souvent leur seule pièce d’identité.
Ce régime de travail et ce type de pratiques de la part des employeurs mettent
les travailleurs et travailleuses dans une situation de dépendance à leur égard.
C’est aussi en regardant la position des travailleuses et travailleurs à
l’intérieur du lieu de travail et concernant leur temps de travail qu’on
observe certaines particularités s’inscrivant dans la transformation du travail
capitaliste.
À titre d’exemple, les travailleuses
domestiques restent souvent au domicile qui leur a été attitré afin de venir en
aide à la famille. Celles-ci vont souvent faire des heures supplémentaires non
rémunérées, car le lieu de travail et leur lieu de repos se confondent. Il n’y
a pas de séparation. Dire non à des « extras-services » non rémunérés pourrait
leur apporter de mauvaises grâces et occasionner un renvoi. Qui dit renvoi d’emploi,
peut aussi dire, pour elles, renvoi dans leur pays d’origine. D’autant plus, ces
femmes n’ont souvent pas accès à un moyen de transport autre que celui fourni
par l’employeur. Compte tenu de leur rapport de dépendance envers leur
employeur (la famille), elles peuvent rester confinées à leur domicile.
En ce qui concerne les travailleurs agricoles,
les camps de travail sont la norme. Toutefois, il y a une certaine incertitude
liée à la nature de ce travail. En plus d’être un travail saisonnier, donc limité
dans le temps, certaines fermes ne travaillent pas sous la pluie, s’il fait
trop froid ou trop chaud. De sorte qu’une journée de travail peut durer que quelques
heures ou peut durer 10-12 heures. Par ailleurs, les heures effectuées au-delà
d’une journée régulière de 8 heures sont payées au salaire normal. Cela fait en
sorte qu’il y a une grande compétition entre ces travailleurs, qui souhaitent
travailler le plus longtemps possible selon les opportunités qui se présentent
à eux. Les salaires restent alors assez bas et l’éthique de travail de ces travailleurs
doit être irréprochable.
L’analyse des deux études de cas ne
révèle pas une grande compétition entre les travailleurs et travailleuses des
deux différents programmes. La raison est qu’il y a une forte « construction de
rôles genrés ». Il y a des travaux d’hommes et des travaux de femmes, donc une
division sexuelle du travail. Dans le cas du programme de travailleurs migrants
temporaires domestiques, il est question à 99% de femmes. Celles-ci se
retrouvent en situation de solitude et habitent chez l’employeur. La solitude
entraîne évidemment une difficulté sur le plan de la solidarité et de la
mobilisation. La recherche de Martin et ses collègues démontre que le programme
de travailleurs migrants temporaires agricoles est composé en majorité d’hommes
(approximativement 80%). Ceux-ci sont en compétition avec les travailleurs
locaux, mais restent solidaires entre travailleurs du même programme. S’ils ne
se font pas payer des heures travaillées, il semblerait qu’ils sont aptes à se mobiliser
afin d’être payés. La compétition la plus significative dans ce domaine est
probablement celle qui existe entre les travailleurs migrants temporaires et
les travailleurs et travailleuses au niveau local. Il y a conjonction entre des
travailleurs et travailleuses syndiquées et des travailleurs et travailleuses qui
n’ont pas accès à la syndicalisation dans l’entreprise. Cela forge alors une
absence de solidarité entre les travailleurs libres et les travailleurs et
travaillsues non libres. Même que l’utilisation de ces deux types de
travailleurs qui ont des intérêts divergents pourrait avoir des impacts
réduisant le salaire des deux.
Selon Martin, le Canada est un modèle
de ségrégation de travailleurs migrants temporaires. Alors que le capitalisme
devrait exclure l’esclavagisme, les chercheurs et chercheuses se questionnent à
savoir si ce modèle serait la nouvelle figure mondiale à en devenir « d’esclavagisme
moderne ». Les rapports de travail passant par des concepts tels qu’ «
esclavage moderne » et de « travail non libre » engendrent « une classe de
travailleurs exclue » du droit du travail et « racisée ». De plus, il y a une
séparation sexuée marquante.
Enfin, dans cet article, je ne tente
pas de décrire de manière exhaustive les résultats de cette recherche. Les
auteurs et autrices impliquées sont les mieux outillés pour cela. Ce qui
m’apparait important à retenir est que cette recherche met en relief
l’existence d’un « travail non libre » exécuté par une classe de travailleurs
et travailleuses racisées. En résumé, les défis relevés par les chercheurs et
chercheuses étaient « de questionner la manière d’articuler deux
revendications, a priori irréconciliables : 1) l’amélioration des conditions de
travail et 2) le maintien de ces programmes qui les privent, de jure et de
facto, du droit de s’organiser et de négocier collectivement. »
Jonatan Lavoie
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