mercredi 24 octobre 2018

Conditions de travail et revendications des travailleurs et travailleuses migrants temporaires


Durant le colloque « Le travail qui rend pauvre; Action publique, résistances et dialogues Nord-Sud », j’ai assisté à la présentation intitulée; « Conditions de travail et revendications juridiques des travailleurs agricoles migrants ». Cette présentation se plaçait dans un panel intitulé « Action publique et précarité au Québec : Enjeux actuels ». Martin Gallié avait la tâche colossale d’exposer l’étude sans ses collègues. Tâche colossale, car son exposé était dense sur le plan théorique et a pu paraître complexe pour certaines personnes. Martin nous a présenté les résultats de deux études de terrain. Ces études de terrain furent réalisées en collaboration avec des travailleuses et travailleurs agricoles migrants de Saint-Rémi qui participent au Programme des travailleurs agricoles saisonniers. De plus, des travailleurs et travailleuses du Programme de travailleuses et travailleurs domestiques ont participé à la recherche.

En s’inspirant des théories marxistes orthodoxes, les chercheurs et chercheuses ont caractérisé cette forme de travail – le travail migrant temporaire – comme étant un « travail non libre ». Cette analyse marxiste postule que les travailleurs et travailleuses migrants temporaires ne disposent pas des moyens de production, du statut de salarié et d’aucune mobilité dans la vente de leur force de travail sur le marché du travail. Ainsi, ces programmes les privent du droit de se syndiquer, de l’accès à des régimes de protection sociale et de la possibilité de circuler. Ces deux programmes d’emplois mènent à des emplois précaires qui ne demandent pas ou très peu de qualifications.

Les participants et participantes sont assujetties à un programme spécifique que leur pays d’origine négocie avec le Canada et les agences qui les emploient. Ces travailleurs et travailleuses ne sont pas protégées par les législations du travail (par exemple : loi sur les normes du travail et le code du travail) comme les travailleurs et travailleuses du Québec et du Canada. Ils et elles sont aussi attachées à un employeur précis. La plupart d’entre eux et elles habitent sur leur lieu de travail, c’est-à-dire chez l’employeur. Les employeurs peuvent même conserver les passeports des travailleurs, ce qui est souvent leur seule pièce d’identité. Ce régime de travail et ce type de pratiques de la part des employeurs mettent les travailleurs et travailleuses dans une situation de dépendance à leur égard. C’est aussi en regardant la position des travailleuses et travailleurs à l’intérieur du lieu de travail et concernant leur temps de travail qu’on observe certaines particularités s’inscrivant dans la transformation du travail capitaliste.

À titre d’exemple, les travailleuses domestiques restent souvent au domicile qui leur a été attitré afin de venir en aide à la famille. Celles-ci vont souvent faire des heures supplémentaires non rémunérées, car le lieu de travail et leur lieu de repos se confondent. Il n’y a pas de séparation. Dire non à des « extras-services » non rémunérés pourrait leur apporter de mauvaises grâces et occasionner un renvoi. Qui dit renvoi d’emploi, peut aussi dire, pour elles, renvoi dans leur pays d’origine. D’autant plus, ces femmes n’ont souvent pas accès à un moyen de transport autre que celui fourni par l’employeur. Compte tenu de leur rapport de dépendance envers leur employeur (la famille), elles peuvent rester confinées à leur domicile.

En ce qui concerne les travailleurs agricoles, les camps de travail sont la norme. Toutefois, il y a une certaine incertitude liée à la nature de ce travail. En plus d’être un travail saisonnier, donc limité dans le temps, certaines fermes ne travaillent pas sous la pluie, s’il fait trop froid ou trop chaud. De sorte qu’une journée de travail peut durer que quelques heures ou peut durer 10-12 heures. Par ailleurs, les heures effectuées au-delà d’une journée régulière de 8 heures sont payées au salaire normal. Cela fait en sorte qu’il y a une grande compétition entre ces travailleurs, qui souhaitent travailler le plus longtemps possible selon les opportunités qui se présentent à eux. Les salaires restent alors assez bas et l’éthique de travail de ces travailleurs doit être irréprochable.

L’analyse des deux études de cas ne révèle pas une grande compétition entre les travailleurs et travailleuses des deux différents programmes. La raison est qu’il y a une forte « construction de rôles genrés ». Il y a des travaux d’hommes et des travaux de femmes, donc une division sexuelle du travail. Dans le cas du programme de travailleurs migrants temporaires domestiques, il est question à 99% de femmes. Celles-ci se retrouvent en situation de solitude et habitent chez l’employeur. La solitude entraîne évidemment une difficulté sur le plan de la solidarité et de la mobilisation. La recherche de Martin et ses collègues démontre que le programme de travailleurs migrants temporaires agricoles est composé en majorité d’hommes (approximativement 80%). Ceux-ci sont en compétition avec les travailleurs locaux, mais restent solidaires entre travailleurs du même programme. S’ils ne se font pas payer des heures travaillées, il semblerait qu’ils sont aptes à se mobiliser afin d’être payés. La compétition la plus significative dans ce domaine est probablement celle qui existe entre les travailleurs migrants temporaires et les travailleurs et travailleuses au niveau local. Il y a conjonction entre des travailleurs et travailleuses syndiquées et des travailleurs et travailleuses qui n’ont pas accès à la syndicalisation dans l’entreprise. Cela forge alors une absence de solidarité entre les travailleurs libres et les travailleurs et travaillsues non libres. Même que l’utilisation de ces deux types de travailleurs qui ont des intérêts divergents pourrait avoir des impacts réduisant le salaire des deux.   
Selon Martin, le Canada est un modèle de ségrégation de travailleurs migrants temporaires. Alors que le capitalisme devrait exclure l’esclavagisme, les chercheurs et chercheuses se questionnent à savoir si ce modèle serait la nouvelle figure mondiale à en devenir « d’esclavagisme moderne ». Les rapports de travail passant par des concepts tels qu’ « esclavage moderne » et de « travail non libre » engendrent « une classe de travailleurs exclue » du droit du travail et « racisée ». De plus, il y a une séparation sexuée marquante.

Enfin, dans cet article, je ne tente pas de décrire de manière exhaustive les résultats de cette recherche. Les auteurs et autrices impliquées sont les mieux outillés pour cela. Ce qui m’apparait important à retenir est que cette recherche met en relief l’existence d’un « travail non libre » exécuté par une classe de travailleurs et travailleuses racisées. En résumé, les défis relevés par les chercheurs et chercheuses étaient « de questionner la manière d’articuler deux revendications, a priori irréconciliables : 1) l’amélioration des conditions de travail et 2) le maintien de ces programmes qui les privent, de jure et de facto, du droit de s’organiser et de négocier collectivement. »

Jonatan Lavoie

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