Durant
la fin de semaine dernière, se tenait à l'Université de Montréal
le troisième colloque international du GIREPS
dont la thématique était Le
travail qui rend pauvre. L'expression,
qui n'est pas nouvelle, permet de rendre compte qu'avec l'émergence
du néolibéralisme, « le travail n’apparaît plus comme unrempart contre la pauvreté : il constitue bien souvent le chemin quiy conduit. »
Ainsi, le colloque a été
l'occasion d'aborder de nombreux problèmes liés aux transformations
du travail et des politiques publiques, de même que les résistances
qui émergent dans ces nouveaux contextes. Par exemple, J. Woodcock (University of
Oxford) a présenté comment, dans la « gig-économie »,
le fait que les travailleurs soient considérés comme autonomes
entraînait d'un côté une absence de (ou faible) protection par les
normes du travail; précarité doublée de nombreuses difficultés
pour s'organiser collectivement, mais inversement permettait aux
coursiers à vélo faisant de la livraison de nourriture d'utiliser
certains moyens de pression qui leurs auraient été impossible en
temps normal (ex, faire la grève sans préavis).
(Pour un contexte, voir cette vidéo).
Au-delà
de l'analyse des conditions réelles de travail et de résistance,
tant au Nord qu'au Sud,
plusieurs des
présentations du colloque proposaient aussi des réflexions
épistémologiques importantes pour la sociologie du travail, et plus
largement pour la recherche sociale. Par
exemple, la
pertinence de l'analyse intersectionnelle,
qui est présentée ici,
a été plusieurs fois soulignée par des
conférencières et conférenciers. Remettant
plus fortement en question certains axiomes de la sociologie du
travail, S. Ahmed Soussi a, notamment, présenté certains travers de
la tendance à plaquer des concepts issus du nord sur des réalités
qui sont propres « aux suds » et qui
ne peuvent être réduites à des exceptions (on peut penser
notamment au travail informel).
La table ronde de clôture
portait elle aussi sur des enjeux d'épistémologie. Le panel, qui
regroupait cinq chercheur-e-s, proposait trois questions :
1
: Qu'est-ce que la recherche engagée
2
: Quelle relation établir avec les partenaires non universitaires et
quels en sont les enjeux éthiques
3
: Comment aborder la diffusion et la publication des résultats de
recherche
Au travers des discussions
qu'ont emmené ces questions, certains éléments sont ressortis,
exposant à quel point la recherche engagée est toujours confrontée
à plusieurs défis. Ainsi, il a été exposé qu'il existait plus
d'une forme de recherche engagée, la posture des chercheur-e-s étant
conséquemment différentes (entre étudier les problèmes ainsi que
les solutions de l’extérieur comme chercheur et avoir un point de
vue interne en tant que chercheur-e militant activement dans un
mouvement) et impliquant des défis tout aussi différents.
L'isolement des chercheur-e-s et l'importance de partager davantage
nos réflexions et expériences par apport à la recherche engagée a
aussi été soulignée comme étant un enjeu important. L'ambivalence
du rapport des chercheur-e-s avec leurs partenaires et ce que cela
implique (ex, brûler des ponts avec des organisations que l'on
critique ou encore perdre du travail afin de répondre à la demande
d'un partenaire de ne pas diffuser des résultats) ainsi que les
dynamiques qui s'établissent avec les comités d'éthiques (dont la
logique ne s'applique pas ou peu à ce type de recherche) ou encore
la prise de parole pour/à la place des groupes sociaux étudiés
(« I write aboute them, I'm not them! » pour reprendre
les paroles de Janice Fine qui exposait qu'elle privilégiait la
parole de ses partenaires sur la sienne dans plusieurs événements)
sont tous des éléments qui emmènent plusieurs réflexions.
Il aurait aussi été possible
de se demander comment le choix de partenaire se fait. Outre le fait
que la prospection de partenaire ne doit pas nécessairement partir
du milieu universitaire, de nombreux enjeux, tant éthiques que
pratiques se posent : est-ce que l'on va vers un partenaire ayant les
moyens matériels de faciliter le suivi durant le processus de
recherche ou est-ce que l'on privilégie de travailler avec une
organisation ayant une analyse politique plus proche de nos
convictions; dans quelle mesure est-ce que l'on peut demander du
temps et de l'énergie à des personnes militantes qui sont souvent
déjà surchargées; comment s'assurer d'éviter d'établir des
rapports inégaux avec les partenaires; quelle est la place d'un
protocole de recherche (qui n'est pas systématique, mais permet de
formaliser les relations entre chercheur-e-s et partenaire) et
comment éviter qu'il empêche de réévaluer le partenariat si une
des parties constate des problèmes?
Ces éléments, présentés de
manière disparate, expriment à quel point la recherche militante
(ou engagée) suscite toujours de nombreuses réflexions critiques
qui viennent enrichir la sociologie du travail, l'empêchant de
stagner et lui assurant un futur prospère.
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