La séance “Organisation collective et travailleurs et
travailleurses pauvres – enjeux et defis contemporains” du 28 septembre
regroupe trois panelistes en provenance de trois pays different, avec des
cursus et expériences différentes mais aussi des spécialités variées. Nik
Theodore de l’Université de l’Illinois est professeur d’urbanisme et de
politique, il explore ici le rôle des worker
centers (centres de travailleurs) dans les négociations collectives des
salaires des travailleurs de jour. Deena Ladd travaille dans le Worker’s Action
Center en Ontario et est très impliquée dans la campagne « 15 and
Fairness » et parlera ici des succès de la mobilisation et de ses
conséquences. Finalement, Rodolfo Elbert, sociologue à l’Université de Buenos
Aires s’intéresse à l’identification des classes des travailleurs formels et
informels en Argentine.
Le premier paneliste se penche sur le cas du centre de
travailleurs Casa Latina à Seattle. Les workers
centers, contrairement aux syndicats, n’entreprennent pas de négociations
collectives, ils visent principalement à assister les travailleurs dans
l’obtention de meilleures conditions de travail. Plus précisément, le centre
Casa Latina se spécialise dans les droits des travailleurs immigrés originaires
d’Amérique Latine[1]. Il
faut noter qu’il est souvent très délicat pour les travailleurs migrants,
souvent associés aux emplois précaires ou temporaires, d’accéder à une
protection adéquate. Cela peut, par exemple, s’expliquer par un manque de
connaissance des dispositifs[2].
De plus, le monde du travail contemporain est caractérisé par une compétitivité
au niveau international, ce qui justifie une certaine flexibilisation quant à la
durée ou la nature du travail [3]
et se sont souvent les travailleurs migrants qui occupent les postes
temporaires et les moins avantageux[4].
Ces travailleurs ainsi exposés aux aléas du marché et aux besoins des
entrepreneurs participent souvent à une baisse des conditions de travail[5].
Dans cette optique les centres de travailleurs offrent plusieurs outils
nécessaires pour s’attaquer efficacement à ces problèmes. D’abord, pour
reprendre l’exemple du centre Casa Latina, les groupes de travailleurs sont
ciblés ce qui peut permettre une intégration au monde du travail plus adaptée.
De plus, à la différence des syndicats, Casa Latina entretien de bonnes
relations avec les sites d’emplois. Ainsi, le centre devient une plateforme
grâce à laquelle les travailleurs peuvent choisir le type et la charge de
travail qu’ils désirent, ce qui contribue à lutter contre la flexibilisation.
Et ce tout en promettant des conditions de travail décente. En effet, Theodore
a recueilli des données qui le confirment : le salaire moyen et le taux
d’emploi sont plus élevés tandis que le vol salarial est plus bas chez les
travailleurs membres de Casa Latina que chez les travailleurs informels.
Ultimement ce type de centre contribue à l’élargissement du répertoire d’actions
des travailleurs.
Ensuite, la présentation d’Elbert nous informe de la
situation des travailleurs informels en Amérique Latine. C’est que près de 60% des travailleurs en
Amérique Latine sont des travailleurs informels, c’est à dire qui reçoivent un
salaire sans bénéficier des droits sociaux qui l’accompagnent. Cette catégorie
de travailleurs semble persister malgré la croissance économique, il est donc
important de la comprendre et de la théoriser. Car la façon dont on théorise le
groupe aura un impact sur la façon de traiter le problème. Elbert présente donc
plusieurs écoles : d’abord l’école de la modernisation qui prévoit que
cette nouvelle catégorie sera éventuellement absorbée, théorie qui s’est
évidemment avérée fausse. Ensuite, l’école de la dépendance avance que cette
catégorie est à la fois exclue et dépendante de la structure des classes.
Finalement, l’école structuraliste définie les travailleurs informels comme une
nouvelle classe, qui implique le besoin de modifier la structure des classes.
Quant à lui, Elbert dévie de la perspective structuraliste. Pour lui cette
catégorie est déjà intégrée au système puisque les prolétariats formels et
informels ne sont que des divisons d’une même classe. Ils ont cependant des intérêts
et stratégies différentes [6].
En effet, comme l’explique De Soto lorsque le marchand informel quitte la voie
publique et met fin à sa période de déambulation, ses intérêts changent :
n’ayant plus besoin de se protéger des autorités[7]
il accorde d’avantage d’importance à la promotion de ses intérêts financiers
qu’à la défense de leurs droits. C’est donc bien que le niveau d’accès à la
propriété ou de stabilité de l’emploi influe beaucoup sur les intérêts de
chaque groupe. C’est pourquoi, il faut étudier les liens entre toutes les
catégories. Elbert, par ses recherches, prouve que les catégories de
travailleurs formels ou informels en Amérique Latine sont très floues. Il
estime que 60% des travailleurs formels avaient eu au moins un travail informel
dans leur vie. Il établit donc les catégories de « formel stable » ,
« « formel mixe », « informel mixe » et
« informel stable » pour parler du phénomène. Ainsi l’identification
à une de ces catégories se fait par la localisation de la classe et la
trajectoire d’informalité de chacun.
Finalement, l’intervention de Deena Ladd, si elle porte plus
précisément sur la bataille pour le salaire minimum à 15$ en Ontario, permet
aussi d’identifier les facteurs qui font l’efficacité d’un mouvement de
travailleurs. Il faut tout d’abord proposer une approche globale du problème en
question afin de devenir un moyen de pression. Ensuite, il faut faire preuve
d’une capacité d’organisation au niveau local. Mais, Il faut surtout une base
forte composée de travailleurs syndiqués et non syndiqué[8].
Ceci peut s’avérer plus compliqué dans les groupes de travailleurs informels[9].
Dans cette optique les workers
center qui permettent un accès à tout types de travailleurs ainsi que la
compréhension des groupes de travailleurs informels et de leurs intérêts sont décisifs.
Élisabeth Fluet-Asselin
[1] THEODORE, Nik.
2018. « Regulating Informality : Worker Centers and Collective Bargaining of Day
Laborers’ Wages”. Colloque le travail qui
rend pauvre.
[2] SOUSSI, Sid A. 2013. « Les flux du travail migrant temporaire et la
précarisation de l’emploi : une nouvelle figure de la division internationale
du travail », REMEST, vol. 8, no.2. pp.158.
[3] NOISEUX, Yannick. 2012. « Mondialisation, travail atypique et précarisation
: le travail migrant temporaire au Québec », Recherches sociographiques, pp. 392.
[6] ELBERT,
Rodolfo. 2018. « Informality and Class in Argentina : The Linkage between
Class Position, Job Trajectory and Class Identity among Formal and Informal
Workers ». Colloque
le travail qui rend pauvre.
[7] SOTO, Hernando de. 1994. « Le commerce informel » et « Conclusion », dans L’autre sentier, La Découverte, Paris. Pp. 52-74; 209-218.
[8] LADD, Deena.
2018. « The Fight for Fifteen and Fairness in Ontario: The Day After ». Colloque le
travail qui rend pauvre.
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