jeudi 4 octobre 2018

Compte-Rendu du Panel: Organisation collective et travailleurs et travailleuses pauvres – enjeux et défis contemporains.


La séance “Organisation collective et travailleurs et travailleurses pauvres – enjeux et defis contemporains” du 28 septembre regroupe trois panelistes en provenance de trois pays different, avec des cursus et expériences différentes mais aussi des spécialités variées. Nik Theodore de l’Université de l’Illinois est professeur d’urbanisme et de politique, il explore ici le rôle des worker centers (centres de travailleurs) dans les négociations collectives des salaires des travailleurs de jour. Deena Ladd travaille dans le Worker’s Action Center en Ontario et est très impliquée dans la campagne « 15 and Fairness » et parlera ici des succès de la mobilisation et de ses conséquences. Finalement, Rodolfo Elbert, sociologue à l’Université de Buenos Aires s’intéresse à l’identification des classes des travailleurs formels et informels en Argentine.


Le premier paneliste se penche sur le cas du centre de travailleurs Casa Latina à Seattle. Les workers centers, contrairement aux syndicats, n’entreprennent pas de négociations collectives, ils visent principalement à assister les travailleurs dans l’obtention de meilleures conditions de travail. Plus précisément, le centre Casa Latina se spécialise dans les droits des travailleurs immigrés originaires d’Amérique Latine[1]. Il faut noter qu’il est souvent très délicat pour les travailleurs migrants, souvent associés aux emplois précaires ou temporaires, d’accéder à une protection adéquate. Cela peut, par exemple, s’expliquer par un manque de connaissance des dispositifs[2]. De plus, le monde du travail contemporain est caractérisé par une compétitivité au niveau international, ce qui justifie une certaine flexibilisation quant à la durée ou la nature du travail [3] et se sont souvent les travailleurs migrants qui occupent les postes temporaires et les moins avantageux[4]. Ces travailleurs ainsi exposés aux aléas du marché et aux besoins des entrepreneurs participent souvent à une baisse des conditions de travail[5]. Dans cette optique les centres de travailleurs offrent plusieurs outils nécessaires pour s’attaquer efficacement à ces problèmes. D’abord, pour reprendre l’exemple du centre Casa Latina, les groupes de travailleurs sont ciblés ce qui peut permettre une intégration au monde du travail plus adaptée. De plus, à la différence des syndicats, Casa Latina entretien de bonnes relations avec les sites d’emplois. Ainsi, le centre devient une plateforme grâce à laquelle les travailleurs peuvent choisir le type et la charge de travail qu’ils désirent, ce qui contribue à lutter contre la flexibilisation. Et ce tout en promettant des conditions de travail décente. En effet, Theodore a recueilli des données qui le confirment : le salaire moyen et le taux d’emploi sont plus élevés tandis que le vol salarial est plus bas chez les travailleurs membres de Casa Latina que chez les travailleurs informels. Ultimement ce type de centre contribue à l’élargissement du répertoire d’actions des travailleurs.


Ensuite, la présentation d’Elbert nous informe de la situation des travailleurs informels en Amérique Latine.  C’est que près de 60% des travailleurs en Amérique Latine sont des travailleurs informels, c’est à dire qui reçoivent un salaire sans bénéficier des droits sociaux qui l’accompagnent. Cette catégorie de travailleurs semble persister malgré la croissance économique, il est donc important de la comprendre et de la théoriser. Car la façon dont on théorise le groupe aura un impact sur la façon de traiter le problème. Elbert présente donc plusieurs écoles : d’abord l’école de la modernisation qui prévoit que cette nouvelle catégorie sera éventuellement absorbée, théorie qui s’est évidemment avérée fausse. Ensuite, l’école de la dépendance avance que cette catégorie est à la fois exclue et dépendante de la structure des classes. Finalement, l’école structuraliste définie les travailleurs informels comme une nouvelle classe, qui implique le besoin de modifier la structure des classes. Quant à lui, Elbert dévie de la perspective structuraliste. Pour lui cette catégorie est déjà intégrée au système puisque les prolétariats formels et informels ne sont que des divisons d’une même classe. Ils ont cependant des intérêts et stratégies différentes [6]. En effet, comme l’explique De Soto lorsque le marchand informel quitte la voie publique et met fin à sa période de déambulation, ses intérêts changent : n’ayant plus besoin de se protéger des autorités[7] il accorde d’avantage d’importance à la promotion de ses intérêts financiers qu’à la défense de leurs droits. C’est donc bien que le niveau d’accès à la propriété ou de stabilité de l’emploi influe beaucoup sur les intérêts de chaque groupe. C’est pourquoi, il faut étudier les liens entre toutes les catégories. Elbert, par ses recherches, prouve que les catégories de travailleurs formels ou informels en Amérique Latine sont très floues. Il estime que 60% des travailleurs formels avaient eu au moins un travail informel dans leur vie. Il établit donc les catégories de « formel stable » , « « formel mixe », « informel mixe » et « informel stable » pour parler du phénomène. Ainsi l’identification à une de ces catégories se fait par la localisation de la classe et la trajectoire d’informalité de chacun.


Finalement, l’intervention de Deena Ladd, si elle porte plus précisément sur la bataille pour le salaire minimum à 15$ en Ontario, permet aussi d’identifier les facteurs qui font l’efficacité d’un mouvement de travailleurs. Il faut tout d’abord proposer une approche globale du problème en question afin de devenir un moyen de pression. Ensuite, il faut faire preuve d’une capacité d’organisation au niveau local. Mais, Il faut surtout une base forte composée de travailleurs syndiqués et non syndiqué[8]. Ceci peut s’avérer plus compliqué dans les groupes de travailleurs informels[9].
Dans cette optique les workers center qui permettent un accès à tout types de travailleurs ainsi que la compréhension des groupes de travailleurs informels et de leurs intérêts sont décisifs.

Élisabeth Fluet-Asselin


[1] THEODORE, Nik. 2018. « Regulating Informality : Worker Centers and Collective Bargaining of Day Laborers’ Wages”. Colloque le travail qui rend pauvre.

[2] SOUSSI, Sid A. 2013. « Les flux du travail migrant temporaire et la précarisation de l’emploi : une nouvelle figure de la division internationale du travail », REMEST, vol. 8, no.2. pp.158.
[3] NOISEUX, Yannick. 2012. « Mondialisation, travail atypique et précarisation : le travail migrant temporaire au Québec », Recherches sociographiques, pp. 392.

[4] SOUSSI Sid A. Op Cit. , pp.157
[5] NOISEUX, Yannick. Op Cit., pp.404
[6] ELBERT, Rodolfo. 2018. « Informality and Class in Argentina : The Linkage between Class Position, Job Trajectory and Class Identity among Formal and Informal
Workers ». Colloque le travail qui rend pauvre.
[7] SOTO, Hernando de. 1994. « Le commerce informel » et « Conclusion », dans L’autre sentier, La Découverte, Paris. Pp. 52-74; 209-218.

[8] LADD, Deena. 2018. « The Fight for Fifteen and Fairness in Ontario: The Day After ». Colloque le travail qui rend pauvre.
[9] SOTO, Hernando de. Op Cit.

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