jeudi 30 novembre 2017

Les processus d’exclusion des immigrant.es qualifié.es du marché du travail au Québec ou comment rendre le terrain fertile aux inégalités sociales ?


Un article de Radio-Canada parut le 27 novembre dernier relatait l’histoire de  Mostafa Annaka, immigrant égyptien, qui, après avoir publié une vidéo expliquant sa difficulté à se trouver un emploi en tant qu’immigrant hautement qualifié au Québec, s’était finalement fait embaucher par une entreprise à Trois-Rivières. Selon les dires de M.Annaka, après avoir entamé des démarches auprès de plus de 1000 potentiels employeurs qui étaient restées sans suite, « c'est important de se remettre debout et de continuer à persévérer[1] ». Son cas n’est pourtant pas unique; des milliers d’immigrant.es peinent à se trouver un travail qui correspond à leurs compétences professionnelles au Québec. Cependant, depuis le début de l’année 2017, on dénote une certaine volonté politique de la part de l’administration Couillard de favoriser l’intégration de la population immigrante qualifiée sur le marché du travail. En effet, le gouvernement provincial  mutliplie les stratégies pour tenter de pallier l’exclusion des immigrant.es de certaines sphères d’emplois qui s’opère, entre autres, à travers une déqualification presque systématique des diplômes étrangers : L’injection de plus de 300 000$ dans le programme « un emploi en sol québécois », conclusion d’une entente avec les ordres professionnels pour faciliter la reconnaissance de diplômes étrangers le mois dernier et  l’adoption du projet de loi 98. Or, force est de constater que ces mesures, bien qu’elles puissent sembler à première vue prometteuses, ne prennent pas suffisamment en compte certaines dynamiques sociales, économiques et culturelles ce qui pourrait limiter ultimement leur efficacité. Il ne s’agit pas ici de nommer des problèmes sans solution et de critiquer toute tentative politique à ce sujet qui s’apparente à du stratège électoral. Le but est de procéder à une brève analyse des pratiques en matière d’intégration des immigrant.es sur le marché de l’emploi dans la province qui considère à la fois la discrimination systémique, les trajectoires intersectionnelles ainsi que la question de la représentation syndicale.

1.État des lieux : Quand la réalité ne colle pas au discours

« Tu travailles comme la machine qui est devant moi, il faut pas arrêter,
il faut pas tourner la tête, il faut pas faire ceci . . .
Ce travail m'a détruit moralement, c'est vrai. »[2]

-Feirouz, biologiste originaire de l’Afrique du Nord travaillant maintenant dans une manufacture

La province québécoise s’est dotée de la mission, par certaines mesures législatives ou stratégies politiques, de promouvoir la pleine intégration des nouveaux arrivants et favorise les migrantes et les migrants hautement qualifiés dans les processus de sélection. Or, la réalité ne colle pas au discours et la déqualification des diplômes s’opère presque systématiquement.  En effet, on enregistre un taux de déqualification des diplômes de 31% chez la population immigrante[3] qui va se redigirer vers des  emplois précaires ce qui peut augmenter leur vulnérabilité économique tout en alimentant une vision raciste de l’immigrant.e qui est en cantoné dans un rôle de citoyen.ne de seconde classe.

Cependant, bien que plusieurs se résoudent à occuper des emplois qui ne sont pas forcément en lien avec leur domaine d’étude, certains immigrant.es qualifi.ées parviennent toutefois à faire valoir leurs acquis scolaires et à obtenir une équivalence de diplôme ou du moins, à accéder à des formations universitaires. Encore à ce niveau, plusieurs problématiques persistent. Tel que rapporté par Myrlande Pierre, « beaucoup d’employeurs jugent  les immigré.es d’après la couleur de leur peau et entretiennent des préjugés sur leurs habitudes de travail (…) leurs compétences sont souvent remises en question par certains employeurs et certains collègues et ce, même lorsqu’elles occupent un emploi pour lequel ils sont surqualifiés »[4]. Il est également important de mentionner que la reconnaissance difficile, tant au Québec qu’au Canada, des diplômes obtenus à l’étranger s’explique par les procédures complexes qui y sont associées. En effet, la démarche est extrêmement longue et couteuse, « manque de transparence [5]» et, dans plusieurs cas, n’est tout simplement pas accessible pour certains en raison, notamment, de certaines stratégies familiales ou situations économiques.

Par ailleurs, les ententes passées entre le gouvernement Couillard et les ordres professionnels ne visaient pas à revoir les critères d’éligibilité mais bien de restructurer le processus d’accompagnement ce qui soulève certaines intérrogations quant au caractère très spécifique de la déqualification.

1.2 La déqualification au féminin : Quand le racisme et le sexisme prennent le dessus

« Une femme immigrante qui se fait professionnelle ici, c’est différent que lorsque tu arrives en 1975 avec un diplôme, comme celui de médecin, obtenu dans un pays qualifié de sous-développé ou du Tiers-monde. […] C’est comme avoir un titre maudit. »[6]
-Elsa, médecin dans son pays d’origine en Amérique latine

De plus, comme la plupart des grands maux qui affectent l’humanité, la déqualification des diplômes étrangers ainsi que l’exclusion de la population immigrante au Québec de certains types d’emplois affectent principalement les femmes immigrantes en raison des inégalités socio-culturelles de genre qui persistent au Québec ainsi que des trajectoires intersectionnelles. Dans la région de Montréal, on enregistre, chez les immigrantes issues d’une minorité visible récemment arrivée en sol canadien, un taux de déqualification des diplômes universitaires de 44%, alors que chez les homologues masculins le taux est nettement inférieur, soit de 28%[7]. De plus, selon une étude menée par Marie-Thérèse Chica, près de 29% des femmes immigrantes issues d’une minorité visible arrivées au pays depuis moins de cinq ans vivent sous le seuil de la pauvreté[8] et on enregistre un taux de chômage de près de 12% chez ces dernières alors que chez les femmes « natives » il n’est que de 5,3%[9].

Il est également important de mentionner qu’au niveau des politiques fédérales et des programmes relatifs à l’intégration des immigrants et immigrantes, on persiste à entretenir une vision de la femme immigrante comme une « mère » et de l’homme comme le pourvoyeur de la famille ce qui a des répercussions considérables sur la perception collective de la femme immigrante et son accès au marché du travail. En effet, tel que rapporté par Celia Rojas-Viger, « l’idéologie des politiques du Canada et du Québec consiste à traiter les questions d’immigration sous l’angle du genre masculin, fait en sorte que le statut de la femme est assujetti à celui de l’homme (…)[10] ». Plus spécifiquement, ceci se traduit par une perception qui dé-professionnalise les migrantes et un processus de déqualification des diplômes acquis à l’étranger alors, qu’initialement, pour obtenir le statut de résident permanent ou la citoyenneté canadienne, il faut, dans la majorité des cas, certaines qualifications scolaires et linguistiques.

3. Conclusion : Des mesures qui pourraient s’avérer complètement obsolètes

« J’ai appris à l’école polytechnique, j’ai travaillé, j’ai pris des cours, j’ai une bonne connaissance de base, toutes les choses que j’ai apprise quand je travaillais dans mon département, je peux me développer très vite. On répond « ah non il faut avoir de l’expérience » [11]
-Yulenka
Dans ce contexte, les récentes mesures adoptées par le gouvernement Couillard pouraient se révéler inutiles puisque, sur un premier plan, elles ne considèrent pas les conditions particulières et la situation spécifique des femmes immigrantes qui sont majoritaires dans les processus de déqualification ce qui ne règle en aucun cas le problème. Sur un second plan, injecter que 300 000 dollars dans une stratégie d’intégration en emploi est trop peu si l’on considère le nombre d’immigrant.es qualifié.es qui peinent à se trouver un emploi qui correspond à leurs compétences professionnelles. Par ailleurs, il persiste certains flous quand au projet de loi 98 ainsi que qu’à l’entente entre le gouvernement provincial libéral et les ordres professionnelles. En effet, nous ne pouvons que nous questionner sur le rôle que le gouvernement aura dans les discussions à venir. En d’autres termes, est-ce qu’il encadrera les discussions, comment s’assurera-t-il que les ordres professionnelles adoptent certaines mesures qui devraient faciliter l’intégration et quel sera le rôle des syndicats ?

Pour conclure, nous pouvons également relever le fait que la  Commission d’enquête sur la discrimination systématique au Québec qui devrait avoir lieu cet automne a été annulée par le gouvernement libéral ce qui aurait pourtant permis de mettre en lumière certaines dynamiques sur le marché de l’emploi. Par ailleurs, l’adoption d’un projet de loi sur la neutralité religieuse doit faire sourcillier puisqu’elle entravera indirectement l’accès au marché du travail et encourage une certaine forme de racisme qui ciblera, encore une fois, les femmes en raison, entre autres, du port du voile.

Par Justine Chenier



[1]
[2] Chicha, Marie-Thérèse. « Discrimination systémique et intersectionnalité : la déqualification des immigrantes à Montréal » Canadian Journal of Women and the Law 24 (1) 2012 : 82
[3] Chica,Marie-Thérèse. « Le mirage de l’égalité : Les immigrées hautement qualifiées à Montréal ». Rapport de recherche de la fondation canadienne des rapports raciales. Septembre 2009. En ligne : http://www.cc-femmes.qc.ca/documents/MTChicha_MirageEgalite.pdf
[4] Pierre, Myrlande. « Les facteurs d’exclusion faisant obstacle à l’intégration socio- économique de certains groupes de femmes immigrées au Québec » Nouvelles pratiques sociales, 17(2) 2005. p.86
[5] Chicha, Marie-Thérèse. « Discrimination systémique et intersectionnalité : la déqualification des immigrantes à Montréal » Canadian Journal of Women and the Law 24 (1) 2012 . p.97
[6] Celia Rojas-Viger « Femmes professionnelles latino-américaines à Montréal : conditions d’insertion dans le milieu universitaire et au marché du travail1 » Les Cahiers du Gres, vol. 6, n° 1, 2006, p. 25-43. http://id.erudit.org.proxy.bibliotheques.uqam.ca:2048/iderudit/012681ar
[7] Ibid,p.86
[8] Chicha, Marie-Thérèse. « Discrimination systémique et intersectionnalité : la déqualification des immigrantes à Montréal » Canadian Journal of Women and the Law 24 (1) 2012. p.86
[9] Chica,Marie-Thérèse. « Le mirage de l’égalité : Les immigrées hautement qualifiées à Montréal ». Rapport de recherche de la fondation canadienne des rapports raciales. Septembre 2009. En ligne : http://www.cc-femmes.qc.ca/documents/MTChicha_MirageEgalite.pdf
[10] Celia Rojas-Viger « Femmes professionnelles latino-américaines à Montréal : conditions d’insertion dans le milieu universitaire et au marché du travail » Les Cahiers du Gres, vol. 6, n° 1, 2006, p. 43
[11]  Chicha, Marie-Thérèse. « Discrimination systémique et intersectionnalité : la déqualification des immigrantes à Montréal » Canadian Journal of Women and the Law 24 (1) 2012 : p. 103

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