jeudi 2 novembre 2017

Le plus grand défi des fronts communs syndicaux : la boîte de pandores et l’offre à rabais


Par Olivier Gentil
2 novembre 2017



S’il y a bien un défi de taille pour les fronts communs syndicaux, c’est à mon avis la difficulté qu’ont les différentes parties d’une alliance à s’entendre sur le minimum à gagner pour déclarer une victoire, et par conséquent, de réussir à retenir certains syndicats et associations tentés de lâcher le regroupement à la première offre bidon du patronat ou du gouvernement qui lui est offerte. La plupart du temps, lors d’une lutte, le thème est clair : « non à la hausse », « non à l’austérité », etc. En contrepartie, les modalités à négocier le sont beaucoup moins, si bien qu’une même offre peut être vue comme une aubaine pour l’un et une véritable blague ou insulte pour un autre. Bref, un thème de campagne est d’abord une idée rassembleuse et capable de mobiliser. Mais elle est également une boîte vide à remplir. En ce sens, le réel défi est de s’entendre sur les éléments clés à apporter, du minimum à gagner durant les négociations pour accepter une offre.

Les slogans rassembleurs

« Non à l’austérité », « Non à la hausse » « 15$/h » : ces thèmes ont sans contredit un pouvoir d’action énorme, parlant largement et puisant dans un vécu collectif significatif. Toutefois, leurs définitions à géométrie variable est probablement ce qui en fait leur plus grande force et leur plus grande faiblesse. Leurs modalités peuvent rapidement devenir des sujets d’enjeux névralgiques et de vives tensions entre syndicats lorsque vient le temps de négocier avec la parti adverse. 

En soi, l’idée est plutôt simple et la plupart du temps efficace : faire front commun dans le milieu syndical, c’est rassembler ses énergies sur une même bataille afin de défendre des intérêts communs
et ainsi créer une plus grande pression sur le parti adverse, tout en attirant une plus grande attention 
Louis Laberge (FTQ), Marcel Pépin (CSN) et 
Yvon Charbonneau (CEQ), Front commun 
intersyndical historique de 1972. Crédit photo: La Presse.
médiatique(1). En théorie, tout fonctionne : tous les partis négocient selon des exigences et des revendications communes. Et comme le montrent certains gains obtenus dans le passé, force est de constater que cette tactique semble fonctionner. À ce titre, notons les événements de 1972 où la CSN, la FTQ et la CEQ avaient unies leurs forces pour en vue de négociation de travail pour la fonction publique(2). 

Toutefois, bien souvent les écarts idéologiques entre les différentes organisations s’imposent comme des défis de taille. Comment concilier les intérêts entre le syndicat d’affaire et le groupe de militants anti-capitalistes et révolutionnaire(3) ? Une organisation forte vient la plupart du temps avec une identité forte, en plus d’avoir développé dans certains cas son propre système, ses manières de faire et ses propres codes. Elle s’est également créé un répertoire d’action bien à elle, une image politique à tenir et un certain rapport avec la scène publique. En ce sens, la question s’impose : comment imaginer un front commun capable de réunir et de garder les plus corporatistes et les plus radicaux ?

Bref, dès le départ, le défi de créer un front commun est ardu, demandant parfois à plusieurs organisations fonctionnant sous des logiques et des idéaux complètement différents de s’entendre et de négocier un plan de match et des objectifs en deçà desquels le retrait est impensable. La tâche, on s’en doute, est particulièrement périlleuse et délicate, et le point d’inconfort n’est jamais bien loin : les revendications sont rapidement soit trop radicales pour certains, soit trop molles pour certains autres.

C’est en ce sens que j’ajoute ici un petit bémol au terme « fonctionner » du précédent paragraphe. La plupart du temps, tout se complique lorsque les négociations tournent en vrille ou en rond, et que la pression sur les syndicats augmente (autant du côté de son propre membership que du parti adverse bien souvent). On accepte alors de négocier au rabais quelque chose qui ne serait pas si mal de manière à sauver les meubles et d’éviter de perdre la face. De là, les conditions de départ sont vite oubliées ou regardées sous l’égide du compromis et de la « de bonne foi ».

De l’autre côté, autant le patronat que le gouvernement connait désormais l’astuce : le meilleur moyen de briser un front commun est de négocier bilatéralement dans le corridor avec le plus conciliant et de diaboliser les plus radicaux : bref, tenter de diviser. L’astuce est d’autant plus facilitée lorsque les revendications divergent entre les syndicats : il est alors possible d’acheter certains avec des promesses pour ainsi briser la solidarité.

Trop souvent, les fronts communs s’écroulent. En 2015 par exemple, lors de la lutte contre l’austérité menée contre le gouvernement libéral, certains avaient été jusqu’à proposer un repli stratégique et d’autres avaient affichés un désintéressement de s’afficher avec les groupes les plus radicaux afin de préserver leur image sur la scène publique, faisant ainsi fi du principe de respect de la diversité des tactiques, principe fondamental dans un front commun.

Pour un front commun en vue du 15$/h

Qu’en sera-t-il de la coalition pour la réclamation d’un salaire minimum à 15$/h ? À cet effet, lorsque la FTQ décide de ne pas adopter les revendications des 5/10/15 (l’horaire disponible 5 jours à l’avance, 10 jours payés pour maladies et 15$/h)(4), elle affaiblit le mouvement, et achoppe à l’avance les chances d’avoir des gains plus substantiels qu’un meilleur salaire minimum. Et qu’advient-il si le gouvernement propose une politique de 15$/h pour 2022, comme le propose le Parti québécois ? Est-ce que les centrales syndicales seront à même de tenir tête et de ne pas accepter une entente à rabais ?

En 2012, pour éviter les écueils entre les différents regroupements étudiants, la CLASSE, la FECQ et la FEUQ avait fait front commun sous la condition claire qu’aucun des partis, sous aucun prétexte, n’accepterait d’offre sans que tous les partis de la coalition se soient positionnés en faveur de celle-ci. C’est ce qui avait permis de maintenir la lutte et de créer un réel rapport de force. Trois offres avaient été refusées, et le gouvernement avait alors accusé les associations étudiantes de négocier de mauvaise foi.

Bref, une coalition en vue d’un salaire minimum à 15$/h ne peut se penser sans préalablement avoir coordonnées ses attentes, et s’être engagé à ne pas accepter d’offre à rabais. Dans le cas contraire, la lutte me semble vouée à l’échec et peut être garante d’un essoufflement en vue des futures alliances. Parce qu’une offre patronale ou gouvernementale à rabais, c’est un peu comme la boîte de pandores : données par les dieux, elle peut sembler à première vue tentante, mais rapidement elle apparaît sous son vrai jour : un cadeau empoisonné tirant les conditions de travail et les salaires vers le bas.


(1) Clin d'oeil à : Dupuis, Marie-Josée. 2004. « Renouveau syndical: proposition de redéfinition du projet syndical pour une plus grande légitimité des syndicats en tant que représentants de tous les travailleurs », CRIMT, Montréal : 1-26.
(2) http://archives.radio-canada.ca/societe/syndicalisme/dossiers/3609/, consulté le 2 novembre 2017.
(3)  Clin d'oeil à :  Paquet, R. Gosselin, E. et J-F Tremblay. Mai 2002. « Une synthèse des grandes théories du syndicalisme », document de recherche 02-01, CRIMT, UQAH : 1-28.
(4) Table ronde « Lutter contre le travail précaire : la campagne pour la hausse du salaire minimum au Québec et en Ontario », Université de Montréal, 19 octobre 2017.


Aucun commentaire:

Publier un commentaire