lundi 4 décembre 2017

Concilier le travail et la famille : plus facile lorsqu’on est mère?

Lorsqu’on entend l’expression « conciliation travail-famille », on pense généralement au problème social émanant de la façon dont le marché du travail est construit qui fait en sorte qu’une femme, lorsqu’elle a une famille, est plus restreinte au niveau professionnel puisqu’elle doit partager son temps entre ces deux aspects de sa vie et que ce dévouement partiel au travail ne fonctionne pas, supposément, avec certains postes ou certains milieux de travail. Ce problème existe parce qu’on associe culturellement à la mère un plus grand nombre de tâches dans la construction de la famille, qu’on considère qu’il revient à elle plutôt qu’au père de s’occuper des enfants et de l’entretien de la maison. Ces normes sont cependant en train d’évoluer et la séparation des tâches reliées à la famille entre le père et la mère se fait de plus en plus de manière équitable, même que certains pères doivent s’occuper de l’entièreté de ces tâches, une semaine sur deux par exemple, dans le cas des gardes partagées. Les pères se voient donc désormais dans l’obligation, eux aussi, de concilier le travail et la famille. Comme le résume l’article « Conciliation travail-famille : plus d’obstacle pour les pères » d’Alexandre Vigneault dans La Presse, les législations ont suivi ce changement de normes, avec les congés de paternité par exemple, mais dans les faits, il reste plus difficile pour les hommes, dans certains milieux du moins, d’avoir à la fois un emploi et une famille. Ces congés et autres mesures de flexibilité existent mais ne seront pas nécessairement pris par les travailleurs, notamment en raison des jugements fait par les collègues, lorsqu’ils sont utilisés, mais aussi parce que le travailleur qui se décide à les prendre verra sa qualité de travailleur changé, dans la tête de son patron, et qu’il sera donc plus susceptible de perdre son emploi, par la suite. Aussi, même si ces mesures existent dans certaines compagnies et que les patrons sont en général assez ouverts aux négociations, les accommodements qui sont offerts peuvent nuire aux conditions de travail, par exemple en enlevant le droit d’avoir des pauses, durant les journées de travail, ou en obligeant à faire du 50 heures, une semaine sur deux, et ce sans un salaire à temps supplémentaire.
La prise de responsabilité familiale de la part des pères est-elle donc réellement encouragée? S’ils se risquent à des réprobations dans leur lieu de travail et à des journées de travail beaucoup plus pénibles, la conciliation a un lourd poids et si la conciliation est plus facile pour la mère, c’est encore elle qui se retrouvera à s’acquitter du plus grand nombre de tâches familiales. Les syndicats ont donc beau travailler à rendre la conciliation travail-famille plus accessible pour les hommes, si les employeurs mettent en compétition les travailleurs sur la base de qualités qui font d’eux traditionnellement des « hommes », comme le fait d’être capable de travailler dans des conditions inconfortables et de se dévouer entièrement à leur travail, sans prendre de congés, si on les valorisent quand ils n’ont pas de « besoins personnels » qui nécessitent qu’ils réduisent l’énergie qu’ils accordent au travail, le rapport au travail des hommes restera le même et pourra même s’empirer, considérant que l’existence de la possibilité d’user des mesures de conciliation devient un matériel de mise en compétition des travailleurs. Cela nous pousse à remettre en question le pouvoir des syndicats, même s’ils sont capables de faire obtenir des avantages à leurs membres, lorsque le pouvoir des employeurs sur les employés est tel qu’ils ne voient plus ces avantages comme des gains mais plutôt comme des signes de faiblesse.
J’aimerais aussi rappeler, en dernière instance, que malgré qu’on admette moins que les hommes aient besoin d’accommodements en raison de leur vie familiale, il reste que ce sont les femmes qui ont le plus de « bâtons dans les roues » au niveau de la conciliation travail-famille puisqu’elles se voient toujours empêcher l’accès à des postes de gestion en raison de cette conciliation qu’on ne leur donne parfois pas le choix de faire ou de l’idée que ces postes ne peuvent être occupés par des femmes, parce qu’elles sont faites pour d’autres responsabilités que celles-là. En 2012, seulement 36%1 des emplois de gestion étaient occupés par des femmes. Il est donc peut-être plus difficile pour les hommes de se voir offrir la possibilité de concilier le travail et la famille, mais il est encore plus difficile pour les femmes de se défaire de l’obligation de concilier le travail et la famille.

Par Juliette Palardy-Proulx

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1. Institut de la Statistique du Québec, L’accès limité des femmes aux emplois de gestion : un plafond de verre?, 2013. En ligne au « http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/travail-remuneration/bulletins/acces-limite-femme.pdf », consulté le 3 décembre 2017.

Source de l’article :

VIGNEAULT, Alexandre, « Conciliation travail-famille : plus d’obstacles pour les pères », La Presse, 3 décembre 2017, En ligne au : http://www.lapresse.ca/vivre/famille/201712/01/01-5145612-conciliation-travail-famille-plus-dobstacles-pour-les-peres.php, consulté le 3 décembre 2017.       

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